Une histoire de ponts

Pour découvrir Cahors, capitale historique de la province du Quercy, prenons de la hauteur et grimpons le mont Saint-Cyr, auquel on accède par un sentier escarpé depuis le pont Louis-Philippe. Une vue panoramique s’ouvre ici sur tout Cahors prit en tenaille dans un méandre du Lot formant comme une presqu’île. La cité médiévale, compacte, dense, homogène se blottit dans la partie est, tandis que la ville nouvelle – née au XIXe siècle – s’étale sur le reste de la presqu’île. Le boulevard Léon-Gambetta, construit le long de l’ancien rempart, fait office de frontière entre les deux tissus urbains. Une fois en ville, il convient de commencer la visite par le célèbre pont Valentré situé à l’ouest, côté ville nouvelle. Dressant fièrement ses trois tours au-dessus du Lot, sa majestueuse silhouette force l’admiration. « C’est le seul pont médiéval fortifié encore debout en France », explique Claire Pardieu, une Cadurcienne d’adoption férue d’histoire. Devenu l’emblème de Cahors, le motif de sa construction au Moyen Âge avait surtout un but symbolique. « Comme vous le voyez, il est situé à l’opposé de la ville médiévale, en dehors de l’axe de circulation. C’est un pont ostentatoire qui montre qui a le pouvoir dans la ville », précise Claire. À Cahors, ville encerclée par une rivière, la guerre des pouvoirs s’exprime dans l’architecture, notamment celle des ponts. Dès le XIIe siècle, les évêques font construire le premier pont, le pont Vieux, qui reliait la voie commerciale. Au XIIIe siècle, les consuls, un contre-pouvoir naissant constitué de banquiers et de riches commerçants, s’associent avec les évêques pour ériger un deuxième pont, le pont Neuf. Au XIVe siècle, les consuls s’affranchissent de l’évêché et construisent leur propre pont, le pont Valentré, plus beau et plus impressionnant que les deux autres. Résultat, Cahors possédait à cette époque trois ponts en pierre, alors que Paris n’en possédait qu’un seul en bois. « Bien qu’il soit bien plus impressionnant, le pont Valentré n’a pas l’utilité des deux premiers, car il n’est pas traversé par les principales voies de passage. C’est cette “ inutilité” qui sauvera le monument. Il ne subira pas le même sort que les deux autres ponts médiévaux qui ont été détruits à la fin du XIXe siècle pour être remplacés par les ponts Louis-Philippe et de Cabessut, plus modernes, plus larges et qui permettent de fluidifier les passages », précise Claire. Aujourd’hui, avec la cathédrale Saint-Étienne, il est classé au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Prospérité commerciale

Rejoignons la rue Saint-Géry qui mène à l’allée Fénelon, lieu de promenade des Cadurciens. La statue de Léon Gambetta, natif de Cahors, domine la grande place François-Mitterrand face à la Bibliothèque nationale. À ses pieds, la fontaine de la Paix fait jouer ses jets d’eau. Traversons sans tarder le grand boulevard Léon-Gambetta en laissant les larges avenues et les bâtiments du XIXe siècle pour pénétrer dans l’univers médiéval en empruntant l’étroite rue Docteur-Bergougnioux. Changement de décor immédiat, des ruelles enlacées et sombres où s’alignent de vieux logis marchands témoignent de l’âge d’or médiéval de Cahors. « Dans la vieille ville, il faut toujours penser à lever la tête. Vous découvrirez alors de superbes fenêtres sculptées Renaissance sur les structures des maisons du XIIIe comme ici », explique Claire en indiquant une fenêtre triple enrichie de sculptures. Un ange, une sirène, parfois une foison de décors sculptés se révèlent çà et là lors de la balade dans ces ruelles, résurgence d’un passé glorieux. Bénéficiant de sa position sur la voie romaine et le Lot, axes majeurs des transports de marchandises, Cahors s’est développé grâce au commerce dès le XIIe siècle, notamment depuis la création du port de Bordeaux. Au cours des siècles suivants, commerçants, banquiers et marchands usuriers s’enrichissent et la ville devient une puissante place financière à l’échelle européenne. Plus de 400 arcades de boutiques marchandes parsemées dans toute la cité témoignent de cette prospérité commerciale. C’est dans la rue Nationale, l’artère principale de la vieille ville, que les plus beaux exemples s’alignent de façon quasi ininterrompue. Aujourd’hui encore, fidèle à son passé commercial, la « Grand-Rue », comme on la surnomme, grouille de boutiques et de commerces où les Cadurciens aiment faire leurs emplettes.
Une noblesse de robe

Cahors devient également une ville universitaire au rayonnement important grâce au Cadurcien Jacques Duèze, sacré pape sous le nom de Jean XXII à Avignon, en 1316. Dès 1332, il ouvre à Cahors par une bulle pontificale une université où sont formés huissiers, avocats et magistrats qui participeront dès lors à la renommée de la ville. « Cahors sera la sixième ville de France à posséder une université, alors que Marseille et Bordeaux n’en avaient pas », précise Claire. L’université prend le relais du commerce qui décline avec la guerre de Cent Ans, et cette nouvelle noblesse de robe laisse son empreinte dans l’architecture, comme en témoigne au n° 116 de la rue Nationale une porte monumentale baroque aux boiseries sculptées. « Au XVIIe siècle, ce n’est plus par les fenêtres que l’on montre son statut social mais par des portes magnifiquement ouvragées comme ici. La mode est de représenter le naturalisme avec des fruits, des feuillages, sans oublier les raisins, très importants pour Cahors. »
Les belles demeures de la Daurade

Marchands, banquiers et nobles ont façonné ici l’architecture en bâtissant villas et hôtels particuliers, que l’on peut découvrir çà et là en déambulant dans les rues Nationale, de Lastie, du Docteur-Bergougnioux ou dans l’impasse de la Chanterie. Mais c’est dans le quartier de la Daurade, près de la cathédrale Saint-Étienne, que l’on peut admirer un ensemble harmonieux de maisons à pans de bois superbement restaurées, comme celle du n° 42 avec ses arcades boutiques et une rangée de fenêtres géminées. La porte du n° 24 s’ouvre sur une cour intérieure typique du Moyen Âge, tandis que le n° 12 abrite l’une des plus vieilles maisons de Cahors datée de 1280, selon la méthode de dendrochronologie ou l’analyse des éléments de bois. Au cœur de la cité, la cathédrale Saint-Étienne constitue avec ses deux coupoles un joyau architectural à l’allure singulière. Construite à partir du XIIe siècle sur des vestiges plus anciens, c’est un édifice original mêlant plusieurs styles comme ses coupoles néobyzantines, son imposante façade du XIIIe siècle ou son portail nord surmonté d’un grand tympan historié, ainsi qu’un enchevêtrement de roman et de gothique à l’intérieur. « Il faut ajouter la Sainte Coiffe, la cinquième relique reconnue de la Passion du Christ abritée dans la chapelle Saint-Sauveur qui rend la cathédrale aussi précieuse qu’originale », explique Claire. Il s’agirait d’un bonnet en lin que la Vierge Marie aurait cousu et qu’elle aurait mis sur la tête du Christ au moment de la mise au tombeau. De superbes peintures médiévales aux couleurs éclatantes (1280-1290) qui racontent la Genèse telle une bande dessinée ornent la coupole ouest. Enfin, son cloître est un chef-d’œuvre du gothique flamboyant. « Il a la particularité d’être inachevé, car le nouvel évêque italien, arrivé en 1550, arrête les travaux considérant le gothique flamboyant démodé. » À l’instar du pont Valentré, la cité médiévale a échappé à la destruction. Elle est restée derrière ses remparts jusqu’à la Révolution, laissant le reste de la presqu’île vacant. « Ce fut sa chance, car la ville nouvelle a pu se développer au XIXe sur ce terrain non occupé sans qu’on ait eu besoin de toucher à la vieille ville. »