Le Quercy Blanc, pays de cocagne
Montpezat-de-Quercy, perchée sur sa butte

Pays de cocagne : l'expression vient aussitôt à l'esprit lorsqu'on découvre ce Quercy blanc à cheval entre le nord du Tarn-et-Garonne et le sud du Lot. Nous resterons dans le premier département, qui nous suffit amplement en termes de villages, de paysages riants, de gastronomie généreuse. Commençons par Montpezat-de-Quercy, perchée sur sa butte. Tout est déjà là : le panorama sur la campagne vallonnée, les couverts (arcades) de la place de la Mairie, les ruelles fleuries de lavande et de laurier-rose, les maisons à pans de bois. Le trésor de Montpezat se niche à l'intérieur de la collégiale. Celle-ci fut bâtie au XIVe siècle sur ordre d'un enfant du pays, Pierre des Prés (vers 1280-1361), qui fut cardinal et vice-chancelier des papes d'Avignon. Une quinzaine de prêtres formaient un collège et priaient pour le salut de son âme.
Dans le chœur, il faut appuyer sur un bouton : aussitôt, un rideau rouge s'ouvre et on découvre, ébahi, une splendide tapisserie de haute-lisse flamande du XVIe siècle. La vie de saint Martin y est racontée à la façon d'une bande dessinée tissée. La qualité des drapés, la richesse du décor, les expressions des personnages sont remarquables. Les couleurs des fils de laine et de soie ont traversé les siècles miraculeusement.

On retrouve Pierre des Prés à Notre-Dame de Saux, une église isolée au milieu d'un bois de chênes verts, à 5 kilomètres du village. Le grand prince de l'Église commandita les peintures murales du XIVe siècle, qui seraient restées oubliées sous leur enduit de chaux si on ne les avait pas retrouvées en 1957. Les fresques rouges et orange ornent les murs jusqu'au plafond du chœur. Malgré les injures du temps, la finesse des expressions et l'attitude des personnages laissent pantois. Dans le côté droit du chœur, il faut admirer le Miracle du blé, une scène de l'Évangile très représentée dans le Quercy. Notre-Dame-des-Eaux, tel est son nom, nous conduit naturellement aux eaux menthe à l'eau du lac Vert, tout près d'ici. Cette ancienne carrière de pierre a été inondée et est désormais le territoire des pêcheurs « no-kill ».
Lafrançaise, un air d'Orient

Pour rejoindre Lauzerte, la star du Quercy blanc, passons de préférence par Lafrançaise. Deux curiosités orientalisantes font mentir le patronyme du bourg. La première prend la forme de pierres tombales en forme de pyramide ! La mode aurait été lancée par un membre de la famille Montratier de Parazols, à son retour de la campagne d'Égypte de Bonaparte en 1798. Il fut bientôt imité, et désormais une vingtaine de pyramides pointent leur sommet pointu dans le cimetière !

Non loin de là, le dôme de Notre-Dame de Lapeyrouse nous emmène sur les bords du Bosphore. Bâtie à la fin du XIXe siècle, l'église étonne par son style romano-byzantin : pierre blanche rayée de brique rouge, coupole ellipsoïdale, pilier extérieur aux airs de minaret. Dans l'abside, les apôtres peints sur fond de palmiers, aux auréoles dorées, rappellent l'iconographie orthodoxe. Des visites guidées et des concerts font vivre l'édifice en été.

Un autre dépaysement nous attend à la ferme de Lacontal, non loin de Lauzerte. Une ligne violette tranche sur les champs blonds des blés. On ne rêve pas : des boules violettes de lavande sont sagement rangées, toutes bourdonnantes d'abeilles. C'est la Provence en plein Sud-Ouest. Pourtant la culture de la lavande ne date pas d'hier : « 10 % de la production nationale de lavande venait du Quercy des années 1930 aux années 1970. Les anciens se souviennent encore de l' époque des récoltes. Hélas, il y a eu les molécules de synthèse et la concurrence du lavandin provençal. Et puis on n'a pas l'autoroute du Sud ! ", explique Xavier Leplaideur. Ses 8 hectares de lavande, plantés avec sa compagne Hélène Lafon dès 2006, signent la renaissance d'une culture oubliée. Les lavandes sont en pleine floraison mi-juin, la récolte et la distillation commencent à la mi-juillet. « Derrière ce joli paysage, il y a du boulot : plus de 1 500 heures de travail », ajoute le producteur-distillateur. Une façon de demander au public de respecter les plantations. Les défilés de touristes piétinant les lavandes comme à Valensole, non merci !
Lauzerte, la star du Quercy blanc

Au détour d'un virage, Lauzerte apparaît en haut de son éperon rocheux, dominant blés, vignes et bosquets. Des siècles d'agriculture patiente et obstinée ont dessiné cette campagne douce, sans à-coups. Le village fut d'abord un castelnau avant de se rapprocher de la bastide grâce à sa belle place des Cornières, entourée de maisons sur arcades.

Un beau marché de producteurs s'y tient le samedi matin, sans compter les marchés gourmands chaque jeudi soir en été (marché, concert et pique-nique). Le céramiste Jacques Buchholtz est intervenu partout dans le village. C'est à lui qu'on doit les plaques en émail des rues et surtout ce drôle de coin de pavés relevé sur la place, comme un coin de page écornée. Une douceur de vivre irradie de ce village en amande, dont une seule ruelle fait le tour. De belles maisons à brique et pans de bois l'entourent comme une couronne. Incrustées dans le roc, les caves de la Sénéchaussée présentent quatre belles voûtes de pierre où l'on prend le frais, les jours de canicule.

Des remparts qui ceinturaient le village au Moyen Âge, il reste la barbacane et l'ancienne salle d'armes, où l'on trouve la forge de Didier Soligon. Rond et massif dans sa salopette bleue, ce ferronnier est le Vulcain du Quercy. Le week-end, il bat son enclume devant le public. Il en sort des enseignes, des dagues, des lampes-pot d'échappement ou des lampes-fer-à-cheval...
Montjoi et les bastides secrètes

Nous rejoignons Montjoi sur l'air des Jolies colonies de vacances, de Pierre Perret. Le chanteur y conte avec humour ses souvenirs de « colo » de l'été 1942, dans ce petit village perché sur sa butte. En bon cancre, le chanteur ne dit rien de la guerre de Cent Ans, qui ravagea cette bastide de 1255. Montjoi a tout de même conservé son puits, sa porte fortifiée et de belles maisons en pierre d'un blanc crème, qui s'alignent le long des deux rues paisibles. On peut faire le tour des remparts par le chemin de ronde et assister au coucher du soleil depuis le belvédère au bout du village. Trop beau pour une « colo » !

La bastide de Castelsagrat est tout aussi secrète que celle de Montjoi. Ces deux voisines furent longtemps rivales. Pendant la guerre de Cent Ans, l'une tombait aux mains des Anglais quand l'autre était française, et inversement. Castelsagrat peut s'enorgueillir de posséder une place plus complète que celle de Lauzerte, avec quatre côtés d'arcades et d'impeccables cornières (angles où se rejoignent les couverts). Des commerces animent la place de la Liberté même si, au creux de l'après-midi, on ne voit guère que les hirondelles slalomer sous les piliers des voûtes. Le dimanche matin, à Valence d'Agen, le Quercy blanc nous ravit une dernière fois : parmi les accents chantants, les parfums du melon, du chasselas, des tomates se mélangent sous la belle halle du marché. « Avec plaisir ! », lancent les marchands. On ne saurait mieux dire.