Antibes, la note bleue
Du cap d’Antibes à Juan-les-Pins en passant par la vieille ville, Antibes nous offre une palette de décors et d’ambiances radicalement différents. Le jazz règne toujours à Juan, le cap d’Antibes alterne villas de luxe et côte sauvage. Quant au vieil Antibes, Picasso et Nicolas de Staël ne s’y sentiraient pas dépaysés s’ils y revenaient aujourd’hui. Visite, sur un air de jazz, d’une ville plurielle qui mérite bien son « s » final.
Antibes possède deux « cathédrales » : Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception, avec sa belle façade baroque et son clocher niché dans la tour Sarrasine, et le musée Picasso. Disons-le, les fidèles sont plus nombreux dans le sanctuaire dédié au peintre espagnol depuis 1966. Picasso ne peignit que deux petits mois, durant l’automne 1946, dans l’atelier qui lui fut mis à disposition. En remerciement à la ville, le génie laissa en dépôt une série d’œuvres solaires – esquisses, dessins –, enrichie plus tard d’une profusion de céramiques. Avant lui, l’édifice eut d’autres locataires prestigieux : les Phocéens qui installent ici leur acropole (Antibes s’appelait alors Antipolis), les évêques qui y résident au Moyen Âge, puis la famille des Grimaldi (du XIVe au XVIIe siècle), qui a donné son nom au château et dont on voit les armoiries gravées dans la pierre.
Il faut musarder dans les rues environnantes pour laisser opérer le charme du vieil Antibes. Rue du Bateau, rue de la Baume, rue des Arceaux, place du Revely : ruelles charmantes et passages couverts, arcades et placettes secrètes... En quelques pas, on rejoint l’animation du marché provençal, qui se tient tous les jours sauf le lundi. La longue halle du cours Masséna regorge de légumes, charcuteries, huiles d’olive, paniers en osier. À travers la Porte Marine, les mâts des bateaux nous attirent vers le port, mais nous n’en avons pas fini avec le vieux centre !
La commune libre du safranier
Que serait Antibes sans la « commune libre du Safranier » ? Comme à Montmartre, ce micro-quartier s’est doté d’une association qui veille à maintenir les traditions locales, comme la fête des vendanges en septembre. Ses habitants se retrouvent autour de soupes au pistou et d’aïoli. Lauriers, agaves et bougainvilliers fleurissent dans la jolie rue du Haut-Castelet, qui mène à la placette Nikos-Kazantzákis. Dans ce cocon de paix, l’auteur de Zorba le Grec rédigea la majeure partie de son œuvre. On en ressort au niveau du bastion Saint-André (actuel musée d’Archéologie), qui offre une vue splendide sur la vieille ville.
La promenade de l’Amiral-de-Grasse suit les remparts construits face à la mer par Vauban. Nicolas de Staël a vécu, peint et mis fin à ses jours au-dessus de la plage de la Gravette, où l’on s’ébat joyeusement dans l’eau dès les premiers redoux. Non loin, d’énormes yachts se poussent du col sur le quai des Milliardaires. Les bateaux de pêche colorés paraissent bien modestes à côté de ces mastodontes enregistrés pour la plupart aux îles Caïmans ! Antibes se targue d’être le plus grand port de plaisance d’Europe par le tonnage de ses bateaux.
Juan-les-Pins, folles années
Du quai des Milliardaires à la baie des Milliardaires, il n’y a qu’un pas, ou plus exactement un chemin : le sentier Tire-poil. Cette balade de 3,7 kilomètres relie la plage de la Garoupe à la villa Eilenroc. Passées les villas de luxe, le cap d’Antibes dévoile sa véritable identité : une côte rocheuse sauvage, battue par les flots, bardée de rochers acérés. La végétation reprend ses droits aux abords de la villa Eilenroc, perchée sur une falaise. Agaves, pins parasols, grottes artificielles... Le cap d’Antibes retrouve son visage chic avec cette nature luxuriante et domestiquée. Inauguré en 1870, l’hôtel du Cap-Eden Roc fut le premier de la Côte d’Azur à ouvrir pour la saison d’été. Ernest Hemingway, Rita Hayworth, Marlene Dietrich y ont séjourné.
Ancien hameau de pêcheurs
Ce temple du luxe a fait tache d’huile, et le cap est désormais constellé d’opulentes demeures retirées derrière de hauts murs. Le contraste est saisissant avec le port de l’Olivette, petit abri serti de pins parasols et de figuiers. Pas de yacht en vue, mais de charmants « pointus » colorés. Drôle de destin qu’a eu cet ancien hameau de pêcheurs ! « Vers 1905, c’était rien. Petit, j’y allais, vêtu en marin, avec des gants, un béret. Les avenues étaient déjà tracées, les pins à leur poste, le Grand Hôtel construit... à part ça, nobody ! », se souvenait l’écrivain antibois Jacques Audiberti.
En 1925, un milliardaire américain, Frank Jay Gould, tombe amoureux de la station. Il y construit le Provençal, un somptueux palace, et exige l’arrivée du rail. La cité balnéaire fait le pari de la saison estivale à l’heure où Cannes et Nice ne fonctionnent qu’en hiver. Succès immédiat. Dans les belles villas, les Fitzgerald croisent Rudolf Valentino, Mistinguett ou Hemingway. Que reste-t-il de cet âge d’or ? Le Provençal et le Belles Rives prennent toujours leurs aises près de la pinède Gould où a lieu le célèbre festival de Jazz. Le front de mer imite la Croisette avec ses plages privées et ses immeubles de villégiature. Ici et là, maisons Art déco et allées de palmiers donnent un air floridien à la station. Voilà qui n’aurait pas déplu aux Américains des Années folles !