Détours en France : Rêver et visiter, apprendre et voyager, se divertir et voir la France autrement

La Camargue comme vous ne l'avez jamais vu

Les étangs et marais des Salins de Camargue près de Beauduc. © Manuel Cohen / Détours en France

Publié le par Vincent Noyoux

Loin des manades et des taureaux noirs, des chevaux blancs et des flamants roses, il existe une Camargue oubliée par le feu des projecteurs : celle des salins, des fossés bucoliques et des cabanons perdus… Immersion entre terre et mer.

Les paysages de la Camargue

Les cabanes des Sablons, hameau au bord de l'étang des Sablons dans le marais camarguais,
© Manuel Cohen / Détours en France

Aucun panneau ne signale Beauduc, vaste espace sauvage au bout des pistes, au bout de la Camargue. « Nous sommes sur le site du Conservatoire du littoral. L’accès est libre, mais mieux vaut connaître le chemin, d’autant que depuis la tempête de 2017 la mer rentre plus loin dans les terres. » Christophe Maïllis, de Camargue Confidentielle, organise des sorties à pied dans ce no man’s land qu’il connaît comme sa poche. Voici d’abord les anciens cabanons de pêcheurs de Beauduc, où quelques irréductibles continuent de vivre face aux éléments, sans eau courante ni électricité. Les campeurs sauvages, qui constituaient chaque été un village utopiste, ont laissé place à quelques kitesurfeurs, qui ont la plage de la Comtesse pour eux tout seuls. Cheminant pieds nus, nous abordons la sansouïre, vaste steppe salée, tantôt sèche, tantôt inondée. La salicorne, la petite saladelle et la soude commune y prospèrent. La croûte de sable salé craque sous nos pas dans la lagune des Sablons. Puis nous nous enfonçons dans l’eau d’une lagune, au milieu des mulets et des loups qui fuient aussi vite que possible. On fait parfois l’expérience des sables mouvants lors de ces balades insolites, où la sensation l’emporte sur le discours savant.

 

Au salin de Giraud, la vie en rose

Vue aerienne des tables salantes roses avec eau chaude près de Salin-de-Giraud, Bouches-du-Rhône,
© Manuel Cohen / Détours en France

Non loin de là, le paysage change. Exploité par les Salins du Midi, le salin de Giraud étend ses bassins sur environ 7 000 mètres carrés. En mai et juin, l’eau est d’un rose intense dans les cristallisoirs, les bassins les plus salés où se fait la récolte. « Cette couleur est due à la dunaliella salina, une algue microscopique qui fabrique du bêtacarotène, un pigment, pour protéger sa chlorophylle. Certaines halobactéries vivent dans ces saumures et participent aussi à cette couleur rose », explique le guide naturaliste Christophe Giraud. Les minuscules crevettes qui se nourrissent de ces algues sont elles-mêmes mangées par les flamants, donnant à ce volatile sa belle couleur rose. « Le goéland tailleur est aussi rosâtre sur le devant pour les mêmes raisons. Aucun oiseau ne vient dans les cristallisoirs, l’eau y est trop salée. En revanche, à l’entrée des salins c’est une explosion de vie, un biotope formidable. Un restaurant 3-étoiles pour les avocettes, échassiers, chevaliers gambettes, sternes et goélands ! » En plus de son exploitation salicole, le salin de Giraud est un reposoir et un espace de nichage pour des centaines d’espèces migratrices. Les flamants sont donc loin d’être seuls. « D’ailleurs, ils ont un prédateur ici, le grand- duc venu des Alpilles. Tout n’est pas rose au pays des flamants... », sourit le guide. Accessible mais payant, le site des salins de Giraud se découvre au fil des roubines (petits canaux d’irrigation), des digues et des bassins. On y voit le phare de Faraman. On y découvre surtout l’activité salicole. Ici, on extrait environ 340 000 tonnes de sel par an, utilisé principalement pour le déneigement. Le sel est déposé sur une camelle (colline de sel) par une noria de gros camions jaunes qui, de loin, ont des airs de jouets d’enfant. En Camargue, l’immensité des espaces réduit l’homme à l’échelle d’un insecte.

 

La poésie des fleurs sauvages

Luce Monier, fleuriste d'art, collectionnant des plantes sauvages en Camargue.
© Manuel Cohen / Détours en France

« Ici, rien n’arrête le regard. Le ciel se reflète dans le miroir des rizières, comme un dialogue perpétuel entre la terre et le ciel. C’est sauvage, âpre, venteux, la terre y est pauvre. Mais voyez ce tamaris décharné, esseulé sous les nuages. Moi, ça me prend aux tripes ! » Artiste florale, Luce Monier passe le plus clair de son temps à arpenter la Camargue, cheveux au vent. Elle n’aime rien tant que glaner les fleurs sauvages au bord des petites routes oubliées. Sa Berlingo est chargée de fleurs cueillies ici et là, au gré du hasard. Dans une roselière, des hommes s’apprêtent à mettre la sagne en bottes. Luce aime les panaches mélancoliques de ces roseaux, qui « sont plus beaux de septembre à octobre ». Elle apprécie aussi les fleurs de tamaris d’un beau rose fané, les chardons, dont le cœur est soyeux, et trouve de la poésie au plantain lancéolé. Nous musardons du côté de l’étang du Vaccarès, bordé d’algues vertes qui « ressemblent au pelage d’une créature, peut-être la bête du Vaccarès, le très beau conte de Joseph d’Arbaud ». Des taureaux camarguais sont couchés dans un pré semé de boutons d’or. « C’est un paysage qui va à l’essentiel : le noir des taureaux, le bleu du ciel, le jaune des champs, le blanc des chevaux. L’hiver, tout est beige fané, les grues cendrées dans les rizières se fondent dans la brume. » Aux côtés de Luce, on change de regard sur le territoire. Charme d’un iris d’eau dans une roubine, d’une salicorne dans la sansouïre. Dans son atelier arlésien, l’artiste passe des heures à nettoyer chaque brin d’herbe, créant des croix avec de la folle-avoine et des fleurs de salsifis, imaginant des perruques de sagne, des broderies de mimosa... Le résultat, aussi raffiné qu’inventif, séduit les hôtels, les restaurants et les particuliers au goût sûr.

 

La Camargue à vélo

La Digue à la Mer, digue de 2,5 m de haut entre le delta du Rhône et la mer Méditerranée,
© Manuel Cohen / Détours en France

La Camargue est un plat pays pour contemplatifs qui s’explore aussi à bicyclette. La balade de la digue à la mer offre une belle virée entre mer et lagune de 24 kilomètres aller-retour (compter 2 h 30 à 3 heures). On enfourche son vélo aux Saintes-Maries-de-la-Mer, capitale qui devient gitane chaque 24 mai lors du pèlerinage de sainte Sara la noire, patronne des gens du voyage. La piste sableuse file vers le phare de la Gacholle, élevé en 1882 pour empêcher les naufrages dans le golfe de Beauduc, tant redouté des marins. Luce Monier n’aurait pas dédaigné les bouquets de jonc et de folle-avoine au pied du phare. La julienne des sables fait de jolies fleurs d’un parme délicat. Taches roses dans la lagune couleur plomb, les flamants fouissent inlassablement le sol vaseux de leurs becs courbes. Au loin, les Alpilles et la Sainte-Victoire...

 

La maison de Prat-Noilly

Le château d'Avignon, construit au XVIIIe siècle pour Louis Prat-Noilly à Saintes-Maries-de-la-Mer,
© Manuel Cohen / Détours en France

Dans ce pays d’horizons lointains et de chevaux sauvages, on ne s’attend pas à trouver un lieu aussi élégant que le château d’Avignon. Cette bastide fut transformée dès 1893 par le négociant marseillais Louis Prat-Noilly (célèbre pour son vermouth !) en un pavillon de chasse truffé des dernières technologies du moment. À l’intérieur, les boiseries en noyer, la salle à manger rococo, les médaillons du petit salon, le grand escalier de pierre, le vestibule florentin... témoignent du rang social du propriétaire. Mais en bourgeois féru de sciences, perméable aux thèses hygiénistes de l’époque, Louis Prat-Noilly a doté son château des équipements les plus modernes : eau courante, électricité, calorifères, réfrigérateur... Même le tournebroche de la cuisine fonctionnait grâce à l’air pulsé des fourneaux ! Pour irriguer et dessaler les terres agricoles du domaine, l’industriel a conçu un complexe hydraulique composé d’une station de pompage, de bassins de décantation, d’un château d’eau et de dynamos électriques. Un pari dans cette région réputée insalubre. On visite tout cela avec le même émerveillement que les salins roses et les fleurs sauvages de Luce Monier. Pour qui sait la regarder, la Camargue surprend toujours.