Grenoble, l'alchimie des époques
Grenoble fut l’une des premières villes de France à adopter les transports durables. L’ancienne capitale du Dauphiné dévoile un étonnant patrimoine ancien que vient bousculer un urbanisme en mutation permanente. De rues piétonnes en espaces verts, cette métropole verte, scientifique et sportive, livre un modèle de cité visionnaire fait pour durer.
Grenoble bénéficie d’une topographie plane qui sert indiscutablement ses intentions de transport. Les larges avenues haussmanniennes, le faible dénivelé se prêtent au tracé du tramway, inauguré il y a bientôt trente ans. Quant aux pistes cyclables, Grenoble est pionnière et en compte 300 kilomètres.
Un écheveau de rues médiévales
C’est donc dans la vieille ville que notre balade « cyclo » débute. La place Grenette en est l’épicentre, avec ses cafés-terrasses et ses grands magasins. L’ex-place aux grains du Moyen Âge accueillit la guillotine révolutionnaire et le campement des soldats de Napoléon, lors de sa remontée de l’île d’Elbe (du 7 au 9 mars 1815). On y trouve le vénérable magasin de chaussures Raymond et Christian, au fond de la place devant la fontaine des Dauphins (1826), preuve d’une certaine intemporalité de l’endroit. La sonnette du vélo est fort utile pour alerter les passants dans l’écheveau de rues médiévales qui prolonge la place. Briques, escaliers intérieurs à l’italienne, hôtels particuliers xvie et XVIIe siècle (Grande Rue, rue Brocherie...), places secrètes (d’Agier, de Gordes, Claveyson...), le noyau urbain de la capitale dauphinoise, commerçant et actif, est dynamique (sauf le dimanche).
La vieille ville dévoile ses plus beaux monuments. La place piétonne Saint-André – dite aussi « place du Trib » – rappelle le pouvoir de l’ancienne province du Dauphiné. S’y dresse, majestueuse, la façade gothique et Renaissance de l’ancien tribunal et palais du Parlement. La justice y fut rendue jusqu’en 2002. Avec ses faux airs du Sud, la place et ses terrasses de cafés sont un haut lieu de rencontres étudiantes – ils sont plus de 60 000 à Grenoble –, autour de la statue de Pierre Terrail, le fameux chevalier Bayard.
De Cularo à Gratianopolis
Après une halte sous les grands arbres du jardin de ville (poumon vert de l’hypercentre), poursuivons vers le cœur religieux de Grenoble, là où se dressent la cathédrale Notre-Dame et le musée de l’Ancien Évêché. La première, au clocher carré en briques façon « toulousaine », date du XIIIe siècle. Là siégeait l’évêque, qui se partageait la ville avec le Dauphin. Le second, ancien palais des évêques du XIIIe siècle, cache dans son sous-sol les vestiges d’un baptistère du IVe siècle, mis au jour lors des travaux du tramway. Un témoignage remarquable sur la ville, nommée alors Gratianopolis (après avoir été la Cularo des Romains). La visite montre les restes de l’enceinte gallo-romaine. Poursuivons vers la place de Verdun.
Au passage, un détour par la rue Sevran s’impose. C’est ici, dans l’ancien couvent des bernardines Sainte-Cécile (1624) que les éditions Glénat, premier éditeur indépendant français de bande dessinée, fondé en 1969, ont installé leurs bureaux. La chapelle, le cloître et l’escalier d’honneur, rhabillés au style de l’édition, exhalent un charme profond. Dans le hall d’accueil déployé dans l’ancienne chapelle, des éclairages néons circulaires mettent en lumière l’immense rayonnage mural qui abrite un exemplaire de chaque ouvrage publié par l’éditeur. Il valorise aussi les vitraux, représentant des scènes de bande dessinée.
La gastronomie qui unit
Autre lieu d’arrêt, les Halles Sainte-Claire. Elles ont soufflé leurs 140 bougies en 2014. C’est dire l’importance de ce bâtiment, mélange de style Baltard et Eiffel, construit à la place d’un couvent au XIXe siècle. Une vingtaine d’étals s’activent du mardi au dimanche. Les clients historiques ont grandi avec les commerçants, rejoints par de jeunes urbains. C’est ici, dans ce condensé de gastronomie dauphinoise, qu’on trouve le seul tripier de l’agglomération, ici que travaille le dernier boucher chevalin du centre-ville. Entre Robert Ferri, le doyen – 44 ans de boucherie – et Paul Mazeau, le jeune – 25 ans, fromager depuis 2012 –, la jonction des générations est faite. Tout ce petit monde se croise le matin au comptoir du Bistroquet, plus petit « rade » de Grenoble, mais grand par la fraternité qui y règne.
Dans le Grenoble haussmannien
Sorti des Halles, le Grenoble haussmannien se dresse tout proche en étendard. Grande et ouvrant la vue sur le massif de la Chartreuse, la place de Verdun affiche une rigueur toute militaire, illustrée par les façades classiques de la préfecture, de l’hôtel des Troupes de montagne, du tribunal administratif et de l’ancien musée-bibliothèque. Ce bâtiment abrite aujourd’hui la Plateforme, espace d’information sur l’urbanisme grenoblois. Y venir lors des expositions permet de découvrir la belle bibliothèque fin XIXe siècle. Plus centrale, la place Victor-Hugo est toujours très animée. Au centre du carré parfait entouré d’immeubles bourgeois, une fontaine et un square arboré créent une ambiance fraîche et ombragée, attirant jeunes, mamans à landaus et seniors.
Mais Grenoble est une cité sportive et, à vélo, il est d’usage de s’échapper du centre-ville. Le dimanche, jour où les voies sur berges de l’Isère sont réservées aux cyclistes et aux piétons – l’occasion d’échappées belles le long de la rivière et de son affluent le Drac –, nombreux sont les vététistes à grimper au fort de la Bastille par la montée de Chalemont. Édifié dès 1591 par le duc de Lesdiguières, ce fort, renforcé au XIXe siècle, devait défendre la ville d’une attaque des Savoyards... qui ne vint jamais. Le bastion s’étage sur plusieurs niveaux, dans la végétation montagnarde. Il offre ce que le touriste urbain apprécie : des loisirs (musée des Troupes de montagne, Centre d’Art, restaurants et cafés...) ainsi qu’une vue inoubliable sur les avenues diagonales de Grenoble et les massifs. Par beau temps, le mont Blanc est de la partie.
On vous l’accorde, tout le monde ne peut grimper à deux-roues la Bastille. Les moins agiles utiliseront les « bulles » (sans les vélos, interdits) et se hisseront par-dessus les eaux grises de l’Isère, les tuiles du quartier Saint-Laurent, le musée Dauphinois et les ruines de l’ancien Institut de géographie alpine – un désastre urbain. Les « bulles » (télécabines) appartiennent au paysage grenoblois comme le funiculaire à Lyon. Le vénérable « monte-charge » date de 1934. Construit à des fins touristiques, il est considéré comme l’un des premiers téléphériques urbains au monde, après ceux de Rio et de Cape Town. Depuis, rassurez-vous, les cabines ont été changées, mais les parois vitrées offrent toujours un frisson aux plus émotifs.
Les JO de 1968, la consécration
Retour en ville par les trottoirs du boulevard Jean-Pain, vers le parc Paul-Mistral. Cet espace dit beaucoup de l’histoire récente de Grenoble. À gauche, voici le stade des Alpes, arène footballistique moderne (2008) ; en face, le palais des Sports (1968), ancien fief de l’équipe de hockey sur glace multichampionne de France ; à droite, le stalinien hôtel de ville (fin 1967) ; à droite encore, l’ancien anneau de patinage de vitesse des JO d’hiver de 1968 ; et puis, la vasque olympique. Elle témoigne des nouvelles infrastructures et de la notoriété internationale dont Grenoble bénéficia à l’occasion des Jeux qui virent le sacre de Jean-Claude Killy. Au milieu du parc trône la tour Perret. Haute de 95 mètres, elle fut construite en 1925 pour « l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme » et rappelle les deux vocations fortes du Dauphiné au début du XXe siècle, l’énergie hydraulique et les excursions alpines.
Vers les quartiers excentrés
Un petit crochet par le jardin du Muséum, sa roseraie et ses serres tropicales et nous voilà pédalant vers les quartiers excentrés. Les premiers sont La Bajatière et Teisseire. On saute de la maison de la Culture (1968, rénovée en 2004) et du Conservatoire national de musique à la grande pelouse piquée de saules du récent parc Ouagadougou. Quelques rails ou tours de roues plus au sud et voilà deux autres quartiers populaires, de réputation difficile : Villeneuve et Village Olympique. Agglomérat de barres d’immeubles des années 1970, Villeneuve abrite un marché-souk quotidien autour du kiosque central. Village Olympique s’est reconverti : les bâtiments pour sportifs sont devenus des îlots d’habitation liés par des allées piétonnes. Passé le stade Lesdiguières (de rugby, celui-là !), le parc des Champs-Élysées s’ouvre aux promeneurs. Avec 12 hectares, c’est le plus vaste de Grenoble.
Bonne, nouveau paysage urbain
Ultime retour vers le centre-ville, pour cette fois découvrir les derniers aménagements urbains. Rue Sidi-Brahim, une secrète passerelle chevauche la voie ferrée et permet de rallier le parc Georges-Pompidou (1987) et sa désormais célèbre tortue, ainsi que l’écoquartier emblème du renouvellement de Grenoble : Bonne. Les militaires qui occupaient cette caserne n’y reconnaîtraient pas leurs chambrées. Les espaces ont été reconvertis en bureaux, centre commercial, boutiques. Une résidence hôtelière, des logements, et, surtout, trois jardins paysagers en enfilade, ont bouleversé le paysage urbain et conquis le public. Le projet a reçu, en 2009, le grand prix national des Écoquartiers.
Le plus long cours d'Europe
Par le quartier populaire Saint-Bruno, l’itinéraire s’achève sur les secteurs Bouchayer-Viallet et Europole. Il oblige auparavant à franchir le cours Jean-Jaurès, considéré comme le plus grand axe rectiligne d’Europe. Avec 8,2 kilomètres de long, il bat de 2,5 kilomètres la distance séparant la place de la Concorde de La Défense, à Paris ! À l’origine (XVIIe siècle), c’était une digue, construite pour protéger la ville des débordements du Drac. Prolongé au sud sous d’autres noms, le cours Jean-Jaurès court du pied de la Bastille jusqu’à la commune d’Échirolles. Bordé d’immeubles haussmanniens, puis de plus en plus modernes, il est en partie planté d’arbres. Depuis la construction de la dernière ligne de tramway, il vit une profonde mutation : trafic routier canalisé, piétonisation et élargissement des trottoirs... le cours redevient humain !
Europole, campus d'innovation
Europole, connecté à la gare SNCF, se présente comme un quartier d’affaires new-look. Il abrite le palais de justice, un world trade center et des hôtels. Le bout du quartier forme une presqu’île entre Drac et Isère et accueille le Polygone scientifique et le Synchroton. Avec l’arrivée du tramway cette année, il a vocation à devenir un immense campus d’innovation en matière de santé, de nouvelles technologies et d’énergie. La reconversion des sites industriels et militaires qui ont longtemps constitué l’ADN de Grenoble donne un nouveau visage à la capitale des Alpes. Mixant ainsi le charme de l’ancien avec l’audace de la création.