Mont Aiguille, totem "inaccessible"
Malgré sa forme originale, il n’a pas la notoriété qu’il mériterait. Fantastique éperon calcaire détaché du Vercors, au-dessus du Trièves, ce roc tabulaire perché à 2 086 mètres d’altitude est une destination iconique de l’alpinisme alpin. Sa géologie singulière, visible sous plusieurs angles, est aussi un motif de randonnées familiales, entre piémonts agricoles et plateau karstique.
Nous pensions l’escalader, dans un élan sportif légèrement présomptueux, mais ne grimpe pas qui veut au sommet du mont Aiguille, avec ses parois verticales aux passages encordés délicats. Au final, l’option « balade à distance » s’est révélée plus opportune. D’une part, elle est accessible à tous ; d’autre part, elle permet de profiter davantage de son profil que lorsqu’on est collé à la falaise. Parmi les itinéraires, celui conduisant au pas de l’Aiguille est un classique. En cet été finissant, les touristes randonneurs se sont évanouis et la place est libre. Nous sommes à 1 206 mètres d’altitude, aux Fourchaux, un cul de vallée niché près du hameau de La Richardière, commune de Chichilianne. Face à nous, la barrière du Vercors, que l’on doit « escalader », soit 500 mètres de dénivelé, pour passer du piémont au rebord calcaire, dans la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors.
Cours de géologie appliqué
Tout au long du sentier qui grimpe dans une encoignure du massif, le mont Aiguille nous fait face. Ou plutôt nous « fait dos ». À chaque regard posé sur lui, la magie opère. Fascination devant sa forme si géométrique, une dent carrée au sommet en galette, sur des falaises affichant plus de 300 mètres de hauteur, et des versants d’éboulis tapissés d’arbres. Un cours de géologie appliqué in vivo ! « Ici, c’est un haut lieu de la résistance à l’érosion », raconte Pascal Lluch, accompagnateur de moyenne montagne et habitué des lieux. À la base, des marnes et des calcaires tendres ; au-dessus, des calcaires plus résistants : il n’en fallait pas plus pour qu’au fil du temps, le mont Aiguille prenne sa forme caractéristique et se « détache » du Vercors.
La grotte de la résistance
Dans la grotte du pas de l’Aiguille, une vingtaine de maquisards trouvent refuge en juillet 1944. Pris sous le feu allemand, ils résisteront trois jours. Cinq furent tués et trois autres, grièvement blessés, mirent fin à leurs jours. Le reste de la troupe profita de la nuit et du brouillard pour s’extirper de la grotte et dévaler, sains et saufs, les pentes vers le Trièves. Une stèle et les tombes rappellent le sacrifice de ces hommes.
L'acte de naissance de l'alpinisme
De mythes en légendes, cette montagne hypnotique intrigue, et beaucoup se sont interrogés sur son origine surnaturelle. Il faut attendre 1492 pour qu’un seigneur lorrain, Antoine de Ville, capitaine du roi Charles VIII, effectue la première ascension de cet éperon appelé alors « mont Inaccessible ». L’exploit a un tel retentissement que les écrits de cette ascension ont perduré jusqu’à nos jours. Cette « grimpette », pour certains, signe en effet l’acte de naissance de l’alpinisme. Une fois le pas de l’Aiguille (1 622 mètres) franchi, sur les pelouses du plateau parsemées de pins à crochets, on aperçoit toujours le sommet, à l’écart, poinçon ultime aux allures de citadelle imprenable. Tantôt il apparaît large et imposant, tantôt étroit et réduit à une simple... aiguille. Des vautours, réapparus dans le Vercors, le survolent, renforçant la similitude avec un inselberg du Grand Ouest américain. Un jour, le mont Aiguille disparaîtra... Mais il est encore temps de profiter du formidable spectacle.
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