Tanargue, une montagne du tonnerre
Au sud-ouest de l’Ardèche, ce petit massif d’origine granitique échappe aux radars du grand tourisme. Constitué de landes, de plateaux et de forêts, il offre ses versants à des itinéraires de solitude, parsemés de villages perdus, de vallées profondes et de moutons transhumants. Cévenol à la marge, il en recueille les fortes pluies et des orages redoutables qui ont forgé sa réputation.
À 1 250 mètres d’altitude, Loubaresse, 28 habitants, est le plus petit village de l’Ardèche. Si le clocher fortifié de l’église semble presque factice, c’est pour une bonne raison : il a été reconstruit après que la foudre l’a détruit.
« Le mot Tanargue vient de Taranis, Dieu celte du tonnerre »,
Il ne fait pas bon grimper sur l’arête du Tanargue lorsque le ciel d’été se charge de nuages noirs… « Avec Montselgues, Loubaresse est l’un des deux villages d’Ardèche à recevoir le plus de pluie, jusqu’à 2 100 mm par an », dit l’édile. Les Loubaressiens voient alors les précipitations dévaler la combe de la Beaume jusqu’à mettre pieds dans l’eau les hameaux posés au bord de cette rivière, des centaines de mètres plus bas.
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Quand Taranis ne fait pas des siennes, c’est-à-dire quand les vents du sud-est ne viennent pas fracasser la montagne en déversant leur trop-plein de nuages, le Tanargue est un trésor de nature. Frontière entre influences méditerranéenne et océanique, il prend un franc accent cévenol au sud. Les départementales 203, depuis Joyeuse, et D24 le prouvent : routes aux virages serrés comme les Cévennes en ont le secret ; versants raides vert clair couleur châtaigniers ; maisons de schiste paysannes accrochées haut sur les pentes… Quel chemin y conduit donc ?
Sur le sentier des druides
Puisqu’il faut bien un bourg commerçant dans ces confins, le voici : Valgorge, 400 et quelques habitants, un bar-tabac, un magasin d’alimentation, un garage… et une poignée de hameaux égrenés dans les hauteurs. L’un d’eux s’appelle le Chalas et il résume bien le décor. Depuis le gîte de Maria et Hugo Kayser, le « sentier des druides » balaie ici tous les poncifs cévenols : chemins caillouteux pentus guidés par des murets de pierre sèche ; faïsses – des terrasses autrefois cultivées, devenues prairies ; béalières – bouts de ruisseaux canalisés pour alimenter les bassins et lavoirs ; imposants châtaigniers dont certains sont centenaires ; petit pont de pierre jeté sur la Beaume… Deux fois par an, les troupeaux de moutons viennent emprunter ces versants pour grimper en haut du Tanargue, terre de transhumance.
Prairies et conifères, façon plateau alpin
Retour à Loubaresse, pour rejoindre les sommets « foudroyants » du massif. « Le village a toujours été un lieu de passage entre la basse Ardèche et le plateau ardéchois vers le Puy-en-Velay », dit encore le maire. Chaque année, le 18 août, une foire traditionnelle s’y tient, prolongement de cette histoire. Passé le belvédère du col de Meyrand, à 1 371 mètres – par très beau temps, on aperçoit la Meije et le mont Viso –, la route glisse entre prairies de fauche et bois de conifères, façon plateau alpin.
On y trouve même une station de ski, la Croix de Bauzon, qui, à 1 308 mètres, souffre de déficit d’enneigement et ne peut presque plus accueillir de skieurs. L’été, c’est un point de départ pour des balades jusqu’au sommet du Grand Tanargue, 1 511 mètres, point culminant du massif. En direction de l’ouest et de Saint-Étienne-de-Lugdarès, la D19 gagne un lieu symbolique de la géographie française : la ligne de partage des eaux, elle aussi soumise aux fureurs de la météo locale. Au col du Bez (1 229 mètres), les eaux s’écoulent d’un côté vers la Méditerranée, de l’autre vers l’Atlantique. La chapelle du col, elle, est à cheval sur ses principes. Carrefour de transport muletier depuis la nuit des temps, le col était parfois noyé dans la brume. Pour ne pas égarer les marcheurs en route vers cette étape-relais (une auberge s’y tient depuis trois cents ans), une cloche de burle était actionnée (dite aussi « cloche de tourmente »). Quand on vous dit qu’ici, le temps est excessif !
Le partage des eaux, artistes entre deux mondes
La ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Atlantique traverse le coin ouest du Tanargue. Elle a inspiré « Le Partage des eaux », un parcours artistique contemporain à ciel ouvert. Accessible à pied, à vélo et à cheval, il s’étend sur 100 km, entre Saint-Agrève et Saint-Laurent-les-Bains, le long du GR7. L’oeuvre installée dans le Tanargue est Le Phare (photo), de Gloria Friedmann. Posé sur le Moure de l’Abéouradou, en surplomb de la vallée de la Borne, ce lieu de contemplation d’un bleu puissant évoque la mer. Depuis le col du Bez, comptez 2 h 30 à pied aller-retour. Infos sur le site web du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, pnrma.fr et sur lepartagedeseaux.fr
Territoire de lisière
Reste à gagner le vallon le plus intimiste du territoire : la Borne. La D301 rejoint le col de Pratazanier (1 222 mètres) avant de plonger dans une combe tapissée de châtaigniers. Monde rural perdu, symbolisé par le microvillage de Borne et son bâti, en ruine. Des kystes rocheux et une tour médiévale surnagent dans le décor vert et gris. Nous sommes sur une vieille terre de seigneurie, au sortir des gorges de la Borne qui offrent quelques vasques d’une fraîcheur délicieuse. Voilà l’intérêt du Tanargue, un territoire de lisière aux accents rageurs.