Détours en France : Rêver et visiter, apprendre et voyager, se divertir et voir la France autrement

Plongez dans l'univers mystérieux des "gueules noires" du bassin minier

Galerie souterraine d'une mine avec rails, chariots et éclairage tamisé Le Métaphone, au pied du terril de la fosse n° 9-9 bis de Dourges. Instrument de musique géant, cette salle de spectacle est l’un des projets phares de reconversion du Bassin. - © Franck Charel / Détours en France

Publié le par Dominique Roger

Corons, chevalements, grisou, ducasses, fosses, terrils... Tous ces mots évoquent la mine, son langage, ses rites et ses périls. Cet univers mystérieux est à portée de connaissance depuis l’inscription, en 2012, du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, au titre de « paysage culturel évolutif vivant ». L’histoire des « gueules noires », une épopée humaine, sociale et économique qui revêt une dimension mythique.

Rapide flash-back. L’histoire minière débute dans le Nord en 1720, à Fresnes-sur-Escaut, près de Valenciennes. Elle est la conséquence directe de la bataille de Denain, en 1712. En mettant fin à la guerre de la Succession d’Espagne, soldée par la signature du traité d’Utrecht, la bataille stabilise les frontières du nord de la France et autorise enfin la prospection sur ce territoire, situé dans le prolongement du bassin wallon. Le filon, prometteur, signe le début de l’aventure. Elle durera deux cent soixante-dix ans, jusqu’en 1980. Dans l’intervalle, des centaines de milliers d’hommes et de femmes se seront escrimés dans les galeries et en surface, arrachant au sous-sol deux milliards de tonnes de charbon ! Une telle histoire ne pouvait se dissoudre sans laisser d’empreintes. On les découvre en sillonnant un territoire de 120 kilomètres de long, au gré de villages de briques à maisons basses et rues rectilignes, entrecoupés de rares espaces agricoles, sous un ciel de plomb.

La catastrophe de Courrières

À Lewarde, le Centre historique minier, plus important musée de la mine en France, propose des visites guidées dans les galeries de la fosse Delloye.
À Lewarde, le Centre historique minier, plus important musée de la mine en France, propose des visites guidées dans les galeries de la fosse Delloye. © Franck Charel / Détours en France

Lewarde, entre Valenciennes et Douai. C’est le meilleur site pédagogique pour comprendre la mine et ses à-côtés. Musée, centre d’archives et d’études techniques depuis 1984, l’ancienne fosse Delloye est surtout bluffante par sa reconstitution d’une galerie, où l’illusion d’une descente à quelques centaines de mètres de fond est totale.

salle de tri, au Centre historique minier de Lewarde, où les « cafus », ou trieuses, séparaient le charbon brut des impuretés (pierres, métal, bouts de bois).
Salle de tri, au Centre historique minier de Lewarde, où les « cafus », ou trieuses, séparaient le charbon brut des impuretés (pierres, métal, bouts de bois). © Franck Charel / Détours en France

Bruits d’artificiers, de marteaux-piqueurs, de machines, évocation de l’eau ruisselante et de la poussière... la mise en perspective du travail du mineur, plié en deux dans des filons étroits, raconte l’absolue dureté du métier. « À cause de la chaleur, beaucoup ne portaient pas le masque de protection, certains travaillaient même en sous-vêtement, torse nu », rappelle Stéphane Laridan, responsable des médiateurs culturels du site. En surface, la salle de  moulinage où les femmes (surnommées « les cafus ») triaient la houille, dans le bruit assourdissant des berlines vidant le minerai, témoigne d’un labeur aussi éprouvant. Tout, dans le travail, répondait à une codification précise. La salle des pendus, avec les habits hissés au plafond, « par gain de place et pour permettre le séchage rapide des vêtements ».

la salle de bains (ou salle « des pendus »), où les mineurs suspendaient leurs vêtements avant d’enfiler leur bleu de travail.
la salle de bains (ou salle « des pendus »), où les mineurs suspendaient leurs vêtements avant d’enfiler leur bleu de travail. © Franck Charel / Détours en France

La lampisterie, où, en échange d’un jeton, le mineur récupérait sa lampe de fond. « Lorsque la flamme grandissait et devenait bleue, cela annonçait la présence de grisou », rappelle Stéphane Laridan. Terrible grisou, responsable de plusieurs catastrophes, dont celle de Courrières, en 1906, où 1 099 mineurs y laissèrent la vie. Puis, les bureaux des cadres. Celui des géologues et sa grande table en verre, avec la carte des filons ; celui du comptable, grillagé, où l’on distribuait en espèces aux mineurs, leurs quinzaines– desquelles étaient déduites les amendes, pour non-respect de la sécurité ou de la hiérarchie ; celui du directeur, enfin, maître des lieux et représentant tout-puissant des compagnies minières, avant que celles- ci ne soient nationalisées après la Seconde Guerre mondiale pour devenir les Charbonnages de France.

Les corons de la fosse d’Arenberg

Cap sur Wallers-Arenberg, quelques kilomètres à l’ouest de Lewarde. Le site, fermé en 1989, livre son histoire aux visiteurs, grâce à d’anciens mineurs devenus guides. Longtemps administrée par la Compagnie des mines d’Anzin, l’organisation a été ici savamment orchestrée. L’éducation, la santé, les loisirs... tout était pris en charge par la compagnie. À l’entrée de la fosse d’Arenberg, une cité aligne ses maisons semi-mitoyennes à étage, en briques, avec jardin, toutes identiques. Elles datent du début du xxe siècle. Certaines sont encore habitées par des familles d’anciens mineurs, d’autres sont louées comme logements sociaux. Plus loin trône l’ancienne salle des fêtes, de style Art Nouveau. Construite en 1910, elle servait de lieu de réunion aux associations et aux harmonies (orchestres) ; c’est là aussi que se préparaient les ducasses, les fêtes populaires. D’autres préféraient dépenser leur quinzaine dans les estaminets ou se jauger à la colombophilie, passe-temps encore vivace. À côté de la salle des fêtes, l’école des enfants jouxte celle des arts ménagers. Sitôt mariées, les femmes quittaient la mine et allaient y apprendre leur rôle de femme au foyer. Ce paternalisme social n’a pas empêché les conflits. En 1963, une violente grève éclate dans le bassin minier, à l’initiative des gueules noires. Le conflit durera trente-cinq jours et bénéficiera d’une grande solidarité nationale. Qu’ils habitent les corons (maisons en bandes), les cités pavillonnaires, les cités-jardins ou les camus (habitats préfabriqués en béton), beaucoup de mineurs se rendent le dimanche à l’église. Sainte Barbe est leur patronne et le 4 décembre, jour de la sainte, est férié.

Les montagnes du labeur

À Raismes, le terril de l’ancienne fosse Sabatier, édifié à partir de 1913, est devenu un véritable sanctuaire pour la faune et la flore. Une verdoyante forêt de hêtres et de chênes s’étend sur plusieurs hectares et abrite également un étang d’affaissement, dit « des Trois Mortiers », royaume des amphibiens et paradis des pêcheurs amateurs.
À Raismes, le terril de l’ancienne fosse Sabatier, édifié à partir de 1913, est devenu un véritable sanctuaire pour la faune et la flore. Une verdoyante forêt de hêtres et de chênes s’étend sur plusieurs hectares et abrite également un étang d’affaissement, dit « des Trois Mortiers », royaume des amphibiens et paradis des pêcheurs amateurs. © Samuel Dhote / Détours en France

L’empreinte de la mine, quand elle n’est pas urbaine ou souterraine, est paysagère. Plusieurs lieux en témoignent, comme le site minier de Sabatier, à Raismes. Depuis la Maison de la forêt, la drève (chemin) de la Fosse file droit à travers le bois de feuillus, jusqu’au chevalement, vestige perdu de l’exploitation charbonnière. De là, un sentier grimpe au sommet du terril n° 175. Entamé en 1913, il domine le panorama du pays de Hainaut, boisé et hérissé d’autres terrils. Ils sont souvent plus hauts que la tour abbatiale de Saint-Amand-les-Eaux, que l’on aperçoit au loin, dans la brouillasse. Redevenus semi-naturels, les sites miniers de surface, démantelés, sont des poumons verts. C’est le cas de la mare à Goriaux, étonnant plan d’eau issu de l’affaissement de terrains miniers. Ainsi, ce sont 112 hectares d’un nouvel écosystème, où près de 200 espèces d’oiseaux s’ébrouent, qui sont livrés au public. Depuis le terril voisin, colonisé par des bouleaux dont l’écorce blanche jure avec le noir schisteux, le bassin minier offre le visage d’un territoire reconquis. Entre souvenirs du fond à fleur de peau et filons d’avenir prometteurs.

Sources

Sujets associés