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On a passé la nuit sur le pic de Midi

Touristes admirant les montagnes enneigées depuis une plateforme près d’un observatoire en altitude depuis la terrasse de l'observatoire, les visiteurs voient la coupole du coronographe installé à 2 877 mètres d'altitude et dédié à l'étude de la couronne solaire. - © Philippe Roy / Détours en France

Publié le par Vincent Noyoux

C’est un nid d’aigle, une plateforme scientifique et l’objet d’une incroyable aventure humaine. Du haut de ses 2 877 mètres d’altitude, le pic du Midi de Bigorre permet d’admirer la chaîne des Pyrénées le jour, et d’observer la voûte céleste la nuit. Entre astronomie et contemplation, visite à bord du « vaisseau des étoiles ».

Un observatoire d'exception 

séquence émotions fortes sur le « ponton dans le ciel », passerelle métallique suspendue au-dessus du vide, dont la partie vitrée du sol vous place au-dessus des nuages.
Séquence émotions fortes sur le « ponton dans le ciel », passerelle métallique suspendue au-dessus du vide, dont la partie vitrée du sol vous place au-dessus des nuages. © Philippe Roy / Détours en France

C’est un pic, c’est un roc... mais laissons plutôt à Victor Hugo le soin de le décrire, ce « pignon de l’abîme, bloc prodigieux » : « Son faîte est un toit sans brouillard et sans voile, où ne peut se poser d’autre oiseau que l’étoile ; c’est le pic du Midi. » Légèrement décroché de la chaîne pyrénéenne, telle une sentinelle dominant la plaine, ce sommet solitaire resta longtemps une vigie quasi inaccessible, un promontoire que les astronomes ralliaient au prix d’efforts invraisemblables. Aujourd’hui, une cabine téléphérique au départ de La Mongie, à quatre kilomètres du col du Tourmalet, nous y conduit en quinze minutes. Depuis son ouverture au public en 2000, plus de 120000 visiteurs s’y pressent chaque année. C’est qu’à cette altitude, le panorama sur les Pyrénées nous offre plus de trois cents kilomètres de sommets sur un plateau, depuis la Catalogne jusqu’au Pays basque. S’il ne fait pas beau en vallée, il arrive souvent que les terrasses dominent la mer de nuages sous un ciel azuréen. Par temps clair, le regard atteint
les contreforts du Massif central et la Rhune du Pays basque. C’est à la pureté de son ciel que le pic du Midi doit l’installation de son observatoire, dont la construction a commencé dès les années 1870. « Aucun pic autour de lui ne renvoie de vent, ce qui garantit une forte stabilité de l’atmosphère, condition essentielle pour scruter le ciel nocturne », explique Nicolas Bourgeois, directeur adjoint du site. Depuis 2007, le pic est au centre d’une réserve internationale du ciel étoilé. « C’est la première en Europe et la seule en France, souligne encore Nicolas Bourgeois. Le but est de contrer le phénomène de pollution lumineuse, qui nuit à l’observation astronomique, mais aussi à la faune et la flore. Au sein de la réserve, 250 communes environnantes se sont engagées à choisir des éclairages publics orientés vers le bas. » Pour l’heure, il fait encore jour, et les visiteurs se pressent sur les plateformes d’observation. Le site évoque une base spatiale avec ses 750 mètres carrés de terrasses aménagées, qui desservent une dizaine de coupoles blanches. L’antenne de télédiffusion de France se dresse comme un mât sur ce « vaisseau des étoiles ». La coupole centenaire Baillaud, la toute première à avoir été installée sur le Pic, abrite depuis quelques années un nouveau planétarium, le plus haut d’Europe. Doté d’un écran hémisphérique et immersif de 8 mètres de diamètre, il permet de se familiariser avec les constellations, les cratères de la lune et les anneaux de Saturne.

Un panorama unique en altitude 

L'un des 27 hôtes d'une nuit observe la lune, les astres et les étoiles depuis la terrasse de l'observatoire. Attention, si l'aventure vous tente, pensez à vous équiper, il y fait très froid !
L'un des 27 hôtes d'une nuit observe la lune, les astres et les étoiles depuis la terrasse de l'observatoire. Attention, si l'aventure vous tente, pensez à vous équiper, il y fait très froid ! © Philippe Roy / Détours en France

Quand la journée prend fin, les touristes regagnent la vallée en télécabine... sauf une poignée de chanceux. Depuis 2006, en effet, le pic du Midi offre la possibilité à ceux qui le souhaitent (et qui réservent bien en avance) de passer  la nuit sur place. Une expérience unique réservée à 27 personnes par jour. L’occasion de voir les lieux sous un nouveau jour, sans la foule. Les scientifiques, jusqu’alors discrets, sortent de leur bâtiment. Tandis que le coucher de soleil enflamme la mer de nuages, deux amateurs de coronographie (l’étude de la couronne solaire) immortalisent le rayon vert à l’appareil photo. Leur travail viendra alimenter une banque de données à Tarbes. Le Pic est sous la neige huit mois par an. Autrefois, les astronomes montagnards vivaient en ermites, coupés du monde durant de longues semaines. Le téléphérique a changé la donne, même s’il est arrivé que des conditions météo épouvantables empêchent toute évacuation du sommet durant vingt-et-un jours... La nuit tombe. On aperçoit dans le lointain l’éclat du phare de Biarritz, les lumières de Toulouse et même celles de Barcelone... Les visiteurs prennent possession de leur chambre, au décor minimaliste mais élégant. La vue sur la montagne est splendide, mais peu en profiteront: c’est qu’ici, la soirée et la nuit sont consacrées à l’observation de la voûte céleste. Le pic du Midi peut s’enorgueillir de posséder le seul hôtel où l’on ne vient pas pour dormir ! En rejoignant le restaurant, le site apparaît dans toute sa complexité: sept niveaux, cinq kilomètres de couloirs. Sans repère, on se perdrait facilement dans ce labyrinthe, dont une partie est réservée aux scientifiques. On peut croiser des astronomes venus superviser les observations, des climatologues, des chercheurs en sciences sociales, des géographes, des ingénieurs de recherche et des sismologues. Ici, on mesure la qualité de l’air, on relève des informations climatiques. Au restaurant, le menu fait défiler émincé de porc noir de Bigorre, foie gras poêlé et champagne. La soirée commence bien...

Visite dans les étoiles

Pour parachever cette expérience inoubliable, les plus courageux sont debout dès l'aube pour admirer le lever du soleil sur la chaîne des Pyrénées (les pics de la Munia, de Campbieil, le mont Perdu, le Cylindre du Marboré...).
Pour parachever cette expérience inoubliable, les plus courageux sont debout dès l'aube pour admirer le lever du soleil sur la chaîne des Pyrénées (les pics de la Munia, de Campbieil, le mont Perdu, le Cylindre du Marboré...). © Philippe Roy / Détours en France

Après une remise à niveau au planétarium, le petit groupe a rendez-vous avec un animateur dans une coupole pour observer les étoiles au télescope. Jupiter est la première à montrer le bout de son nez. Puis viennent la constellation de la Grande Ourse, Vénus, Cassiopée. Voici Saturne et ses anneaux. Dans la coupole, chacun chuchote instinctivement, comme par peur de déranger les étoiles. La Lune, qui brille comme un soleil, réduit légèrement la visibilité. « Le mieux est de venir pour la nouvelle lune, quand la lumière de notre satellite ne parasite pas le ciel », conseille l’animateur. La fascination maintient le groupe éveillé, mais passé minuit, le froid pénétrant chasse les participants un à un. Les plus courageux resteront en compagnie de l’animateur une bonne partie de la nuit. Après un court sommeil, le réveil sonne pour assister au lever du soleil. À 6 h 30, la boule orange émerge timidement au-dessus des nuages. Les Pyrénées forment une étendue mauve et bleue au-dessus d’un ciel encore pâle. À mesure que la lumière se fait plus crue, le panorama vire au sublime. Un vautour perché sur un roc en contrebas scrute le jeu des nuages sur le lac d’Oncet et la myriade de lacs d’altitude. Notre contemplation est interrompue par la visite du télescope Bernard Lyot, dont la construction a demandé dix ans de travaux. Avec son miroir primaire de deux mètres de diamètre, qui fut poli à la main en France pendant un an, c’est à ce jour le plus grand télescope optique en France métropolitaine. On étudie ici la spectropolarimétrie stellaire, soit la mesure des champs magnétiques des étoiles. Une vingtaine de techniciens règlent les instruments de ce type pour les astronomes qui, eux, interprètent les données bien au chaud, en plaine... En milieu de matinée, les premiers touristes font leur arrivée en télécabine. Le pic du Midi abandonne pour quelques heures sa solitude. Ne nous en plaignons pas: s’il veut perdurer, le site doit accepter les touristes tout en conservant son activité scientifique.

Sources

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