Vers le pic de Néouvielle

C’est l’un des itinéraires initiatiques de la haute montagne dans le massif des Pyrénées. Culminant à 3091 m, ce sommet peu technique affiche cependant 950 mètres de dénivelé, à gravir sur des éboulis rocheux hors de tout sentier. Un parcours magnifique pour des marcheurs en forme, avec pour récompense les Pyrénées en Cinémascope. Depuis le lac d’Aubert (2148 m), l’un des six qui s’étirent au pied du massif de Néouvielle, l’objectif du jour se dessine... Ce n’est pas le piton qui se dresse là-haut, au premier plan (le pic Ramougn, 3 011 m), mais celui situé derrière, 90 m plus élevé. De sentier pour y accéder, il n’y en a point. Juste des traces et des cairns, preuve que l’on parle d’ascension et non de randonnée. C’est d’ailleurs l’une des premières remarques de Pascal Pellarey, notre guide. « Au bureau de Saint-Lary, nous vendons le Néouvielle comme une découverte de l’alpinisme. D’ailleurs, la montée s’effectue avec des crampons jusqu’à début août, à cause des névés », éclaire le spécialiste. La première heure ressemble à toutes les entames de randonnée en montagne : une mise en jambes transpirante, réalisée ici « droit dans la pente », jusqu’au seuil de la crête de Barris d'Aubert. En dessous, les lacs offrent déjà leur tracé en mode drone. On jette un rapide coup d’œil sur leur bleu miroitant avant d’entamer le plat de résistance, la sévère montée dans un chaos rocheux vers la brèche de Chausenque (2790 m). Aucun répit n’est à espérer dans ce goulot. Chaque pas sur une pierre, ronde, angulaire, inclinée (jamais la même, les pieds s’en souviendront), hisse en altitude. Quelques dizaines de mètres avant d’arriver à l’échancrure, le second souffle est déjà largement trouvé quand nous obliquons vers la gauche. Tête levée, le pic de Néouvielle nous tend les bras, 100 ou 150 m au-dessus. Il paraît loin mais lorsque le guide nous jure qu’il ne reste que vingt minutes pour l’atteindre, une décharge d’énergie décuple notre envie. Il est 11 h 45 quand nous atteignons le sommet. 3 h 45 d’effort, avec « effet waouh garanti ». La position centrale du pic dans les Pyrénées, comme le ciel immaculé, ouvre la vue sur les ténors du massif : à l’est, le pic d’Arbizon ; au nord, le pic du Midi de Bigorre (ainsi que la vallée de Barèges et la plaine de Tarbes) ; à l’ouest, le Vignemale et ses restes de glacier; au sud et au sud-est, le dos des cirques de Gavarnie, Estaubé et Troumouse (avec la brèche de Roland) et les grands d’Espagne, le mont Perdu, Les Posets et le pic d'Aneto, roi des Pyrénées (3404 m). Rien que du granite costaud, minéral et enivrant.
Dans les hautes vallées du Salat et de Vicdessos

Au centre de cette randonnée entre les hautes vallées du Salat et de Vicdessos, le bouquetin, réintroduit dans les Pyrénées en 2014, et qui a retrouvé sa place aux confins de l’Ariège, au même titre que plusieurs rapaces. Une échappée qui mêle effort et connaissance animale. Dans le « 09 », le parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises couvre 40 % de la superficie du département. C’est dire si les grands espaces occupent de la place. L’Ariège était donc bien indiquée pour accueillir des Capra pyrenaica, cette race de bouquetins réintroduite côté français en 2014 après que le dernier spécimen hexagonal a disparu en 1901, victime de la chasse. Voilà l’intérêt de cette randonnée : observer un animal jadis familier des falaises dont le retour, même tardif, semble s’opérer avec succès. Tenter de les observer exige de la sueur. Depuis le plateau de Coumebière, zone d’estive située entre Aulus-les-Bains et le col d’Agnes, le GR®10 mène jusqu’au port de Saleix, un col séparant la vallée du Garbet de celle de Saleix, reconnaissable à son ruisseau d’argent ondulant en contrebas. L’itinéraire est limpide. Le pertuis se rejoint par un sentier en zigzags qui s’élève de 1 400 à 1 794 mètres d’altitude, dans les pâtures d’estive. À 1 868 m d’altitude, le lac d’Alate se niche au pied d’un amphithéâtre de falaises, interface entre granite et calcaire. Toujours aucun bouquetin en vue, bien que nous soyons sur leur territoire. « Ils sont là pourtant, c’est leur biotope. Ils nous observent », jure Sébastien Jabally. Excepté durant la parenthèse 1901-2016, les bouquetins ont sans cesse trouvé dans ce milieu rocheux de quoi subvenir à leurs besoins : des graminées l’été ; des mousses et du lichen l’hiver. « Ils étaient présents durant la Préhistoire, les peintures rupestres visibles à la grotte de Niaux en témoignent. De même qu’au XIVe siècle : Gaston Fébus en parlait dans son livre de chasse », rappelle notre guide. L’absence d’étagnes (femelles) et d’éterlous (jeunes mâles) nous conduit à oublier leur présence, tandis que nous grimpons au pic de Cabanatous, point culminant du périple (2053 m). À la descente, nous réglons la mire sur la pique Rouge de Bassiès (2 676 m), avant de plonger à droite, au col de las Fouzès, vers le cirque du Garbet. Un troupeau de brebis et des patous plus loin, nous pénétrons une fraîche forêt de hêtres lorsque, à la sortie, Sébastien Jabally, accompagnateur en moyenne montagne pour Oxalys, pousse une exclamation étouffée. Là-haut, sur la ligne de crête, un bouquetin nous défie ! Il était là, ce diable... La fin du périple n’en est que plus légère, rassurés que nous sommes par la présence de l’animal. Coumebière et ses sommets sont bien l’un des nouveaux territoires du Capra pyrenaica…
Vers le cirque d’Estaubé

Niché entre ceux de Gavarnie et de Troumouse, c’est le plus intime des trois amphithéâtres pyrénéens. En lisière du Parc national, il demeure une terre d’élevage où une vingtaine de producteurs envoient, l’été, jusqu’à 1 200 ovins et 400 bovins. Une balade familiale tranquille et vivifiante entre pâturages, gave et cascades. Chaque été, des éleveurs du pays Toy y montent leurs troupeaux de brebis et de vaches. La tradition ne date pas d’hier : il y a 600 ans, des accords entre bergers français et espagnols géraient la transhumance et le partage des pâturages. Une « vallée suspendue » qui fut aussi un axe d’échanges entre la France et l’Espagne. Elle est inscrite à ce titre, comme Gavarnie et Troumouse, sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco depuis 1997 (appellation Pyrénées-Mont Perdu). L’itinéraire ne présente pas de piège. Depuis le lac des Gloriettes, il suffit de remonter le gave d’Estaubé jusqu’à sa source. Ou du moins jusqu’à sa cascade, qui se jette depuis les blocs rocheux au plus profond du cirque. En marchant dans le vallon, les premiers signes animaliers s’annoncent. Des hirondelles fendent l’air à hauteur du barrage. Les sonnailles d’ovins tintent sur les premiers versants. Les marmottes sifflent comme des bouilloires, signalant l’homo touristicus. Un rapace plane devant la paroi rocheuse. Au passage d’un verrou rocheux, l’estive apparaît dans sa plénitude, cernée de hauts versants aux parois grises. Ses 2436 hectares sont partagés entre les communes du canton et gérés par une Commission syndicale, qui fixe les règles et « engage les travaux (cabanes d’estive, clôtures...). Une vingtaine d’éleveurs confient leurs troupeaux à des bergers. L’herbe d’altitude, parsemée en ce début septembre de colchiques violets, n’est pas pour rien dans la qualité de la viande ovine de race barégeoise. Elle bénéficie d’une AOC depuis 2003 et d’une AOP depuis 2008, sous le nom « Barèges-Gavarnie ». L’eau claire et parfois torrentielle du gave d’Estaubé conduit jusqu’au pied du cirque. La ligne de crête s’établit en moyenne à 2800 mètres d’altitude, dominée à droite par le Grand Astazou (3071 m). Formidable barrière naturelle, piquée de deux à trois névés! Un palier plus haut et nous voilà au pla d’Ailhet, haute pâture à l’allure de steppe d’Asie centrale. Des vaches placides y paissent, dans leur belle robe beige clair. La cascade ne tarde pas à apparaître, jaillissant d’une fêlure rocheuse et glissant jusqu’à une vasque. Nous n’irons pas plus loin, les très hauts versants étant réservés aux randonneurs visant les parages du mont Perdu, via le refuge des Espuguettes. Reste à redescendre le sentier en profitant de la plénitude de ce terroir pastoral, vivant et protégé.
Depuis le lac de Bouillouses

Au pied du Puig Carlit (2 921 m), dans les Pyrénées-Orientales, le circuit des neuf étangs – les estanys, en catalan – offre depuis le lac des Bouillouses un décor changeant. Riant sous le soleil méridional, il prend une teinte gris vert jaune austère sous les nuages, affichant un air celtique sous ces cieux sudistes. Pour profiter de cette randonnée, il faut d’abord rejoindre le lac des Bouillouses, via 14 longs kilomètres en montagne par la sinueuse D60, jusqu’au lac de barrage, perché à plus de 2 000 mètres d’altitude. Le spot est très fréquenté l’été. La route y conduit mais aussi un télésiège, que les touristes empruntent en juillet et en août depuis la station de Font-Romeu. Quand il fait beau aux Bouillouses, le site affiche complet et il n’est pas déplaisant de voir ces familles s’égayer plus haut, au bord des étangs, pour un pique-nique prolongé. Mais lorsqu’on y arrive un après-midi maussade de septembre, à l’heure où les visiteurs commencent à quitter les lieux, l’atmosphère devient soudain plus étrange... La boucle des neuf étangs ne présente pas de difficulté majeure. Tout juste propose-t-elle une sèche montée initiale sur des rochers. Le temps, en 35 minutes depuis le barrage, de gagner une bifurcation qui mène à droite au premier étang, celui du Vivès. L’eau sombre entourée de conifères, les blocs rocheux affleurant, le ciel bas sur fond de versants pelés, l’absence apparente de vie... l’immédiate impression est celle d’un décor écossais ou irlandais. La sensation est confirmée par les deux étapes suivantes. Le sentier longe ou traverse des étendues tourbeuses, humides et spongieuses, parfait reflet de landes celtiques. Il en sera ainsi tout au long du parcours. Peu exigeant en dénivelé, le sentier gagne le second étang, le plus haut, Dougnes (2 240 m). Au milieu du granite, on gagne ensuite celui de Bailleul, point de départ vers la variante des 12 lacs, en direction de ceux de Castellà, Trébens et Sobirans. Là-haut, le pic Carlit joue les abonnés absents, noyé sous une épaisse couche grise. De petits verrous rocheux en vallons d’herbe rase, le parcours glisse vers une sorte de steppe humide limitée à droite par l’anneau de l’étang de Llat et l’écrin sombre de l’étang Long. Il est 17 heures et plus personne n’erre dans les parages. C’est alors que nous progressons entre les étangs Sec et de la Comassa que surgissent, sur un revers de versant, trois magnifiques chevreuils. Une terre promise pour eux, en l’absence de visiteurs. Un cri de canard puissant nous alerte et signe notre arrivée auprès de l’étang Noir, caché derrière une haie de sapins. La brume tombe, se relève, se dissipe, retombe... Beauté austère des montagnes de Cerdagne, rendues à leur virginité de fin de saison.