C'est toujours la mer qui décide. À la cale du port de Carantec, des panneaux préviennent les visiteurs, horaires des marées à l’appui : la route submersible vers l’île Callot (prononcez « Calotte ») est ouverte deux heures avant et jusqu’à deux heures après la basse mer et interdite aux voitures en été. Cette fenêtre de temps et quelque 800 mètres à parcourir à pied, entre ciel et terre, suffisent à rendre ce confetti de terre encore plus désirable. Nous sommes à marée basse. Partout sur l’estran aux senteurs marines se découpent les silhouettes des pêcheurs à pied, courbés en deux. « On cherche des coques et des palourdes », confie un jeune couple, seau et griffe à la main. L’île et ses 47 hectares se résument à quelques poignées de maisons avec leurs champs, de longues plages de sable et un clocher finement ciselé qui semble surnager au-dessus des buissons. Étape obligée, la chapelle de Notre-Dame de Callot étonne par sa préciosité, avec son jubé en bois, son retable ouvragé et ses ex-voto marins. Au XVIIe siècle, les corsaires de Morlaix avaient l’habitude de la saluer d’un coup de canon au départ de leurs expéditions. Une inscription rappelle qu’un chef breton l’érigea en 513 pour remercier la Vierge de l’avoir aidé à bouter hors de l’île des pirates danois qui pillaient la région. Une genèse qui a dès lors inspiré la légende d’un trésor enfoui dans les entrailles de la chapelle...
Nuit insolite à Louët

Depuis le promontoire de Carantec, une autre île, minuscule, fait de l’œil aux visiteurs. À 350 mètres au large de la plage de Tahiti, ses rochers escarpés donnent à Louët l’allure d’une citadelle naturelle. Mais il y a ce phare qui épouse la pierre et cette ancienne maison du gardien, d’un blanc immaculé, en partie masquée par les arbres. « Soyez prudents avec les goélands, ne cherchez pas à monter au sommet de l’île. En période de nidification, ils sont agressifs », a prévenu le moniteur du centre nautique avant de nous déposer sur le caillou pour la nuit. Après l’automatisation du phare en 1962, près de cent ans après sa construction, la maison du gardien a été abandonnée puis convertie en gîte dans les années 2000. Chaque saison, les réservations affichent complet en quelques minutes. Nous sommes chanceux. Une dizaine de marches taillées dans la roche et nous voilà sur la petite terrasse du logis, face à la terre ferme. Heureux prisonniers pour la nuit de cette île veillée par les oiseaux, on songe au couple avec sept enfants qui vécut ici entre 1890 et 1939. Les goélands ne nous laissent pas marcher bien loin. On entrevoit toutefois, depuis un ressaut, l’île-forteresse voisine : le château du Taureau...

Au lendemain de notre nuit insulaire, nous embarquons à bord du semi-rigide de Gwendal Le Guerch. Avec les Vagabonds de la baie, il fait découvrir aux visiteurs les pépites de la rade dont le château du Taureau est le point d’orgue. « Au XVIe siècle, l’île est située entre les deux chenaux d’accès à Morlaix dont le port florissant, grâce au commerce du lin, attise les convoitises. Après une attaque anglaise dévastatrice en 1522, les Morlaisiens obtiennent la construction d’un fort sur le rocher du Taureau. Il sera gardé par 50 hommes et des dogues », explique notre guide devant le pont-levis. Seule une tour ronde, rebâtie en 1614 sur la muraille ouest, remonte à cette époque. Le reste de l’édifice qui couvre le rocher sur 60 mètres porte la griffe de Vauban. À la fin du XVIIe, de Belle-Île à Saint- Malo, l’architecte militaire de Louis XIV sème des ouvrages défensifs sur tout le littoral breton. C’est l’un de ses disciples, Jean-Siméon Garangeau, qui travaille sur le château du Taureau. Surélevée d’un étage pour atteindre la coque et la mâture des navires ennemis, la sentinelle de la baie de Morlaix se distingue par une muraille asymétrique : courbe au nord pour une large fenêtre de tir, équipée d’un redan, à l’est, pour contrer les boulets. Il ne sera jamais attaqué. « Prison avant d’être achevé, résidence secondaire dans les années 1930, école de voile en 1960, le château du Taureau a connu plusieurs vies », insiste notre guide.
Côté mer, le regard embrasse les éminences rocheuses qui affleurent dans la baie : l’île Noire dont le phare devrait accueillir un gîte d’ici à 2025 et, plus au nord, les îlots de la réserve ornithologique de la baie de Morlaix. C’est vers ce sanc- tuaire que nous mettons le cap. Le Vezou est le repaire des cormorans, où on les voit étirer leurs ailes sur le récif pour faire sécher leur plumage. L’île aux Dames est un autre vaisseau de pierre, apprécié des sternes. Nombreux, les goélands, argentés, bruns et marins, bercent l’air de leur ricanement. L’huîtrier pie, l’aigrette garzette s’observent facilement. « Une trentaine d’espèces d’oiseaux sont recensées, incluant les migrateurs », précise le pilote qui veille à ne pas trop s’approcher des îlots protégés. Il se réjouit d’une rencontre de moins en moins inattendue. Devant nous, des phoques prennent la pose sur un des rochers à fleur d’eau.
Mausolée mystère
Sur la rive est de la baie, dominant la mer depuis la presqu’île de Kernéléhen, le cairn de Barnenez exsude le mystère propre aux architectures funéraires de la préhistoire. Isolé sur la lande, long de 70 mètres, ce monument de pierre érigé au néolithique est le plus grand mausolée mégalithique d’Europe. On observe une à une les onze ouvertures qui marquent l’entrée de tombes à couloir. Les secrets de son architecture ont été révélés dans les années 1950 : quatre chambres funéraires sont mises au jour lors de travaux d’extraction sur un site alors exploité comme carrière ! Sur la façade nord, une tombe est restée à l’air libre. On a aussi retrouvé à Barnenez des ossements et des dalles ornées, avec de fortes valeurs symboliques. Elles ne sont pas visibles par le public à l’exception d’un signe en « u » évoquant l’encornure d’un bovidé. Dans la salle d’accueil, « l’idole à chevelure rayonnante » est peut-être la figure la plus envoûtante de l’art mégalithique retrouvée sur le site. Elle évoquerait une déesse de la fécondité et de la mort.
Enfin, cap sur la pointe de Primel, qui ferme la baie à l’est. La conclusion sauvage à notre itinérance.