Kreiz Breizh : balade en Centre-Bretagne

Trouver l’accès demande du temps. Si la voiture de Google Maps est passée sur ces terres, comme partout ailleurs dans le monde, elle semble avoir été déroutée par certains lieux perdus de ce Centre-Bretagne (Kreiz Breizh), que certains appellent avec humour le Kreizbreizhistan... C’est donc avec un mélange de technique et de flair que l’on déniche enfin le parking de Convenant Hoat, à Saint-Nicodème, point d’accès aux gorges du Corong. Un site naturel majeur du territoire. Ce canyon atteignable par un sentier tracé dans un bois de chênes et de hêtres tordus, humide, bordé de pierres moussues, est assez étrange. Après 30 minutes de marche, on croit trouver la rivière, mais nous n’entendons que son murmure. À la place, un amas gigantesque de blocs rocheux arrondis et polis par des millénaires. L’eau est là, mais tapie sous le granit, invisible. De sauts de cabri en glissades sur les rochers, on marche à même le lit caché, entouré du silence de la végétation. Un mythe raconte que le géant Boudédé se serait ainsi délesté en ces lieux des gravillons (les fameux rochers) encombrant sa marche et ses sabots...

Ainsi est ce territoire, introverti, loin des évidences de la côte. Peu valorisé, il ne draine pas les foules mais incarne cette Bretagne des légendes qui jadis effrayait des locaux toujours prompts à évoquer les malédictions de l’Ankou, représentation spectrale de la communauté des morts... La route du Kreiz Breizh passe ensuite par Saint-Nicodème, fief des frères Morvan, quatuor légendaire de chanteurs bretons. Puis mène aux landes de Locarn, un biotope à tourbières de 172 hectares, classé espace naturel sensible. Autre espace mystérieux, sécréteur d’anxiété par son mutisme et sa solitude. Aucune âme qui vive dans cet horizon désolé, juste un sentier de découverte de six kilomètres à travers landes et forêt, scandé de genêts et de buissons épineux. Deux menhirs s’y tiennent cois, dont celui de Quelennec.

Déserte, la petite départementale D31 se faufile jusqu’à Kergrist-Moëlou. Arrêt impératif dans ce village de granit, le plus breton de l’itinéraire. Lorsque nous y débarquons, le bourg est envahi par les équipes de tournage des Algues vertes : l’histoire interdite, un film de Pierre Jolivet, inspiré du travail d’investigation et de la BD de la journaliste Inès Léraud sur le scandale de ces algues, issues du système agricole productiviste. Mais Kergrist-Moëlou est aussi un village breton à l’âme forte. Rare, son église Notre-Dame, dotée de piliers en granit, dévoile une superbe voûte à lambris et... une cheminée, ornement peu habituel dans un édifice religieux. Elle avait pour fonction de réchauffer les bébés lors des baptêmes et les paroissiens l’hiver. À l’extérieur, face à un porche orné de statues d’apôtres en bois, l’enclos abrite plusieurs ifs séculaires et un calvaire à personnages de 1578, en kersantite, probablement le plus ouvragé des Côtes-d’Armor. Le centre-bourg, minuscule, livre aussi sa délicieuse architecture bretonne, avec plusieurs maisons basses en granit.

L’étape suivante se nomme Rostrenen, bourg d’équilibre du Kreiz Breizh. Commerçante autour de sa place de la République, la petite ville, capitale du pays Fisel, mérite une halte pour ses maisons serrées de granit noir à toits d’ardoises et pour sa collégiale. Au-delà de son porche classé où trônent les apôtres, son chœur, au chevet arrondi, est l’un des plus beaux et profonds des Côtes-d’Armor. Gouarec se profile à l’horizon. Si l’on en parle, c’est à cause de son petit train et parce qu’il émane du cœur de ce village une atmosphère un rien médiévale. Autour de sa halle, quelques maisons nobles s’imposent, à l’image de celle située derrière le marché, couverte de lignolets (ardoises faîtières décoratives). On y remarque aussi un splendide logis en schiste et granit. Il a pu abriter la maison de justice du duc de Rohan. Derrière ce carré médiéval apprécié des Anglais, qui ont acquis de nombreuses maisons dans le territoire et possèdent leur propre épicerie (voir le carnet d’adresses), coule le canal de Nantes à Brest. Aménagé sur le Blavet au XIXe siècle, il est réservé aujourd’hui à la navigation fluviale et permet de découvrir à pas lents le Centre-Bretagne.

On retrouve ce canal à l’abbaye de Bon-Repos, site touristique majeur du Kreiz Breizh costarmoricain. Fondée à la fin du XIIe siècle par Alain III de Rohan, cette abbaye cistercienne se situe loin du monde, comme il était d’usage pour cet ordre. Affirmation de la puissance économique et religieuse des Rohan, ce lieu de « repos éternel », nécropole de la famille, est posé dans un site de nature boisée, profond et envoûtant. L’abbaye est une miraculée. Vendue comme bien national à la Révolution, transformée en usine de lin puis abandonnée, elle aurait pu disparaître, avalée par la végétation, sans l’impulsion de quelques locaux au milieu des années 1980. Depuis, un vaste chantier de restauration lui a redonné un visage respectable. La visite dévoile le cloître à moitié reconstruit, la nef d’église abbatiale écroulée, les combles, la cuisine, les caves... et un ensemble fermé de bâtiments attenants dont une partie abrite des chambres d’hôtes. L’abbaye accueille des artistes en résidence, qui impulsent une riche vie culturelle. Un grand spectacle son et lumière est également proposé à l’extérieur chaque année au mois d’août. Cet événement réunit près de 400 figurants sur une scène de deux hectares.

Les fans de « loisirs nature » trouveront leur compte dans le Kreiz Breizh. À cheval entre les Côtes-d’Armor et le Morbihan, à une trentaine de kilomètres de Loudéac, le lac de barrage de Guerlédan, sur le Blavet, offre son cadre sauvage aux activités nautiques. Berges de Trégnanton, station balnéaire de Beau-Rivage, base de plein air du rond-point du Lac... Les eaux noires du lac de Guerlédan, quand elles ne sont pas trop basses, se prêtent au paddle, au canoë, à la voile et même à une croisière-repas à bord du Duc de Guerlédan. Une belle immersion dans ce « terroir des tréfonds ».

Jadis, des trains circulaient dans la Bretagne intérieure. Quasiment disparu dans les années 1960, le réseau a vu un de ses tronçons remis en service en 2021, à des fins touristiques. Officiant l’été, le train part de la gare de Gouarec, assez baroque avec son décor ferroviaire à l’ancienne et ses rames rouges abandonnées. Puis il se glisse dans la vallée pour rejoindre l’ancienne abbaye cistercienne. Un voyage hors du temps original et une autre manière de découvrir le Centre-Bretagne. chemindeferdebonrepos.com