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Une balade normande en terre sauvage

Avec sa topologie singulière, la Côte des Havres est un terrain d'exploration idéale le temps d'une rando à vélo. Avec sa topologie singulière, la Côte des Havres est un terrain d'exploration idéale le temps d'une rando à vélo. - © Jérôme Houyvet / Détours en France

Publié le par Dominique Roger et Stéphanie Grésille

De Carteret à la Vanlée, en passant par Port-Bail, Surville, Geffosses, Blainville, etc., les huit havres du littoral présentent une topologie singulière, que nous avons voulu explorer le temps d’une rando à vélo. Une boucle immersive et réjouissante au cœur de ces estuaires à l’écosystème délicat. 

sur les hauteurs de Carteret, notre point de départ, le panorama s’ouvre sur la plage de la Potinière et les plateaux rocheux du cap.
Sur les hauteurs de Carteret, notre point de départ, le panorama s’ouvre sur la plage de la Potinière et les plateaux rocheux du cap. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Avant de découvrir le havre à proprement dit, rendez-vous est pris sur les hauteurs de Carteret. Un départ au petit matin, afin de profiter de l'intensité des lumières naissantes. La descente par la route de la Corniche est vivifiante, d’autant qu’elle surplombe la magnifique plage de la Potinière, ses fameuses cabines bleue et blanche et le cap de Carteret, couronné de la vieille église paroissiale et de la maison phare (XIXe siècle) flanquée du poste de radiocommunication de la Marine nationale. Barneville-Carteret est une station balnéaire à l’ambiance à la fois farniente et idéale pour les vacances familiales où les activités de pleine nature sont nombreuses. Grimper jusqu’au sémaphore offre une belle vue sur les dunes et la végétation d’Hatainville. Il faudra ensuite emprunter la touristique D650, puis la D130 pour rejoindre la digue route qui relie le bourg à la plage. Construite en 1893, empruntée à pied ou à vélo lors d’un grand coefficient, elle permet d’admirer la montée des eaux jusqu’à son plus haut niveau. Exploité pour la tangue dès le Moyen Âge, le havre constituait un centre important de production de sel. Les voiliers caboteurs venaient s’échouer dans l’estuaire de la Gerfleur.

Le long des dunes

Sur la D650, premier arrêt à Port-Bail, avec son havre à deux estuaires et son pont aux 13 arches du xixe reliant le bourg à la plage.Vue aérienne d'un village côtier avec un pont et une rivière.
Sur la D650, premier arrêt à Port-Bail, avec son havre à deux estuaires et son pont aux 13 arches du xixe reliant le bourg à la plage.Vue aérienne d'un village côtier avec un pont et une rivière. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Retour sur la D650, en direction de Port-Bail-sur-Mer. Là, le havre se divise en deux estuaires, de part et d’autre du vieux bourg où pointe le clocher aux allures de donjon de l’église fortifiée Notre-Dame (XIe-XVe siècles), qui domine un ancien quai. Le long pont aux 13 arches conduit au lieu-dit La Plage et au port où, à marée haute, accostent les vedettes qui assurent la liaison avec Jersey et Guernesey. Mais le plus intéressant se trouve à l’opposé. Depuis l’église, une rue longe le havre dans le prolongement des anciens quais, puis la route remonte la rive droite de l’estuaire du Gris. Elle conduit à des prés-salés puis à la grève de la rivière, où une passerelle traverse le havre (compter un peu plus d’un kilomètre). À marée basse, on peut l’emprunter pour rejoindre un chemin qui longe la dune jusqu’à se trouver en face du port et au début de Lindbergh-Plage qui paraît s’étendre à l’infini. L’aller-retour de cette petite expédition en pleine nature à l’aspect quasi vierge totalise sept petits kilomètres.

Passé le havre de Surville, le plus petit mais doté d’un magnifique massif dunaire, nous abordons, au détour de la D650, celui de Lessay, à Saint-Germain-sur-Ay. Immense et désertique, Lessay est le plus sauvage des havres du Cotentin. Sur son côté sud, les dunes, appelées « mielles », se déploient entre l’estuaire et les lotissements touristiques surannés de la rue de la Mer et de Printania-Plage. On notera que ces bonnes terres sont favorables au maraîchage (carottes et poireaux de Créances notamment). Sur la côte nord, au lieu-dit La Gaverie, se dresse une curieuse bâtisse en moellons, dressée sur un rocher couvert de lichen jaune vif : c’est un corps de garde du xviie comme on en voit plus au sud, sur la falaise de Champeaux. Car il ne faut pas oublier que la façade ouest du Cotentin est proche des îles Anglo-Normandes : Jersey se trouve à moins de 30 kilomètres, et la couronne britannique a toujours montré des velléités de conquête sur nos côtes. C’est pourquoi, dès le règne de Louis XIV, un réseau de surveillance du littoral fut organisé. S’il eut pour utilité première de prévenir un débarquement ennemi, il servit surtout à limiter la contrebande, notamment d’alcool et de tabac, que la proximité des îles encourageait.

Les dunes sont vulnérables, respectons-les !

C’est tout simple : il suffit que le vent touche une zone de sable pour qu’aussitôt les grains roulent les uns sur les autres, se dispersent, se regroupent, s’entassent, ensevelissant tout sur leur passage. D’où la nécessité de fixer les dunes, en y faisant pousser des plantes à longues racines, par exemple. L’espèce la mieux adaptée est l’oyat, mais sa croissance n’est possible qu’à l’abri de clôtures de protection en bois appelées « ganivelles ». C’est pourquoi, en se baladant sur les dunes, il ne faut pas sortir des chemins bien tracés, et surtout ne jamais entrer dans les zones délimitées par ces installations.

Sanctuaire à oiseaux

Jumelles en main, entre les havres de Geffosses et de Blainville, on sera particulièrement attentifs à l’avifaune qui y a élu domicile, le temps d’une pause dans la migration ou plus durablement pour le nourrissage. Si le port de Blainville n’est plus un partenaire commercial majeur des îles Anglo-Normandes, son havre continue d’offrir un beau point de vue sur Gouville-sur-Mer et le long promenoir d’Agon-Coutainville. 

ées sur deux rangées le long des dunes du bord de mer, les cabines de Gouville-sur-Mer arborent de jolis toits multicolores qui font la fierté de leurs propriétaires et la renommée de la petite station balnéaire.Cyclistes sur une route près de cabanes colorées en bord de mer.
Alignées sur deux rangées le long des dunes du bord de mer, les cabines de Gouville-sur-Mer arborent de jolis toits multicolores qui font la fierté de leurs propriétaires et la renommée de la petite station balnéaire. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Entre dunes et marais, quelle solitude sur la petite route qui, au bout de six kilomètres, laisse apercevoir la lanterne rouge du minus- cule phare balisant la pointe d’Agon, en retrait de quelques sapins martyrisés par la violence des vents d’ouest. C’est ici le bout du monde, surtout lorsque la marée basse laisse à découvert le havre. Par ciel dégagé, on y expérimente un univers limité à trois couleurs : l’azur du ciel, l’or du sable et le vert cru et intense des algues et des dunes.

Le havre de la Vanlée, étonnant paysage de dunes et d’herbus s’étendant à l’infini, marque la fin de notre périple.
À l’entrée du havre de Sienne, près de Regnéville, veille le minuscule phare de la pointe d’Agon à l’élégante lanterne rouge. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Un vrai chic balnéaire

Saviez-vous que la commune de Gouville-sur-Mer dénombre 71 cabines de plage plus que centenaires (124 ans exactement), et, qui plus est, étonnamment pimpantes ? Nésen 1900, à l’initiative d’Alfred Marie,un hôtelier local qui désirait initiersa clientèle aux bains de mer, ces petits abris tout en bois lancent la mode balnéaire, et c’est bientôt toute la dune qui se trouve colonisée. En 1959,la municipalité met bon ordre à leur extension en réglementant leur implantation comme leur construction ; la cabine doit être blanche, en bois avec un toit aux couleurs vives, respecter les dimensions de 2,40 mètres sur 3 mètres et avoir une utilisation de loisir. Aujourd’hui, l’Association pour la valorisation du patrimoine de Gouville veille à la pérennité de ces stars de la côte des Havres et organise chaque dernier week-end de juillet un grand pique-nique en leur honneur.

Ancien port viking

à l’entrée du havre de Sienne, près de Regnéville, veille le minuscule phare de la pointe d’Agon à l’élégante lanterne rouge
Le havre de la Vanlée et ses étonnants paysages. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Pour rejoindre Regnéville-sur-Mer, juste en face, il faut retrouver la D920. Le havre de Sienne, le plus grand par sa superficie (915 hectares), est une zone de protection spéciale et une zone d’importance communautaire pour l’avifaune. Offrant un abri contre les vents, il a été utilisé par les Vikings comme port d’échouage ; au Moyen Âge, l’estuaire de la Sienne accueillait des navires marchands venus de toute l’Europe occidentale, car nombre de foires se déroulaient à Agon, Montmartin, Coutances. S’y ajouteront, dès le XVIe siècle, les campagnes morutières à Terre-Neuve.

Les vestiges du château médiéval, l’église Notre-Dame du XIIIe siècle et des demeures anciennes en pierre de taille attestent de ce passé maritime.

Les fours à chaux maintiendront le port en activité, du XVIe au XIXe siècle. Il faut visiter le site du Rey pour avoir une idée du travail qui s’accomplissait ici, quand des norias de tombereaux apportaient le calcaire des carrières voisines et transportaient au port la chaux, tandis que les fours brûlaient jour et nuit, alimentés au charbon du pays de Galles. Aujourd’hui, les prés-salés sont pâturés sur 750 hectares et le havre constitue une zone de mouillage pouvant accueillir jusqu’à 250 bateaux de plaisance.

À Regnéville, visite des fours à chaux du Rey, datant du second Empire et classés monuments historiques. Puis, pique-nique près du château du xiie siècle qui joua un rôle crucial durant la guerre de Cent Ans.
À Regnéville, visite des fours à chaux du Rey, datant du second Empire et classés monuments historiques. Puis, pique-nique près du château du xiie siècle qui joua un rôle crucial durant la guerre de Cent Ans. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Et voici l’estuaire de la Vanlée. Les autochtones l’appellent le « bout du monde », il y en a donc plusieurs dans le Cotentin ! Situé à Bricqueville-sur-Mer, ce havre est traversé par une route submersible. À partir d’un coefficient 93, la marée recouvre la D375 et rend la partie nord de la dune inaccessible. À sec, les bateaux, comme assoupis, attendent tranquillement le retour de la mer pour retro ver leur ligne de flottaison.

Le havre de la Vanlée, étonnant paysage de dunes et d’herbus s’étendant à l’infini, marque la fin de notre périple.
Le havre de la Vanlée, étonnant paysage de dunes et d’herbus s’étendant à l’infini, marque la fin de notre périple. © Jérôme Houyvet / Détours en France
Sources