
Nous sommes le 6 septembre et c’est déjà la dernière matinée de vendanges dans le Beaujolais. Voilà à quoi mènent les aléas climatiques, poussant les vignerons à cueillir le raisin de plus en plus tôt... Ce soir ce sera donc la revol, le repas festif et bien arrosé du dernier soir, qui signe les adieux entre « coupeurs ». Rencart sera pris pour la saison suivante, avec les mêmes ou avec d’autres. Ainsi va le petit monde des vendangeurs, une vie communautaire pour des hommes et des femmes habitués aux saisons, l’été dans les vignes, le reste du temps dans les fermes, à l’usine ou en intérim. En ce dernier jour de cueillette sur cette parcelle dominante de gamay, ils sont encore dix, en majorité de Lyon ou de Saint-Etienne... bien obligés de s’entendre ! À l’œuvre depuis 7 heures du matin, sans doute ont-ils perdu l’habitude d’admirer le paysage. Ici, la vigne domine un vallon dont la totalité, 55 hectares, appartient au château de Javernand, cuvage, chai et maisons compris. À 450 mètres d’altitude, le panorama s’est ouvert : au-dessus, le sommet des collines, boisées ou défrichées pour d’autres vignes ; autour, les parcelles de coteaux du domaine ; à l’est et au sud, la plaine de la Saône, le mont Brouilly et, par beau temps, la tour de la Part-Dieu, pointant derrière le mont Cindre.
Une histoire de transmission

Ce cadre enchanteur est dans la même famille depuis cinq générations. En 1917, un aïeul, marchand de vins à Mâcon et tombé amoureux du site, l’avait acheté. Le château de Javernand s’est agrandi depuis de trois hectares situés en Mâconnais. Ils ont été apportés en 2011 par Pierre Prost, fils de vigneron, après qu’il s’est associé avec son cousin Arthur Fourneau, descendant de la première génération, pour exploiter le domaine. Ingénieurs de formation tous les deux, ils ont décidé de reprendre la vigne quand leurs parents ont pris leur retraite. « Un choix de vie et l’envie de quitter Lyon pour revenir à nos sources », précise Pierre.
50 000 bouteilles par an

Dans ce territoire du Beaujolais où les crus se juxtaposent, le chiroubles se démarque. « Sa typicité est l’altitude, en moyenne 410 mètres, la pente des parcelles, souvent supérieure à 30 %, et les sols granitiques, assez homogènes sur l’appellation. Cela donne au chiroubles de l’élégance, de la finesse et des arômes floraux », décrypte le vigneron. Coprésident de l’AOC Chiroubles depuis 2016, il s’inscrit dans une évolution notable du vignoble depuis ces dernières années. « On passe de rangs de vignes serrés et bas à des rangs plus lâches et palissés. De 10 000 pieds par hectare, on est descendu à 6 000 », dit-il, soulignant ici la recherche d’une meilleure qualité de vins. Javernand produit 50 000 bouteilles par an et a fait le choix du bio. Le domaine est en conversion progressive depuis 2018.
L’heure du casse-croûte

Pendant que l’on discute, les coupeurs s’activent. Aurélien, le jarlot, passe sans répit dans les rangs récupérer les seaux de raisin « gamay à jus blanc » que Jaouad, Julie, Antoine ou Théo, attelés à la coupe, lui versent dans sa hotte. Le jarlot, c’est l’homme fort du groupe, capable de porter sur son dos jusqu’à 70 kg de raisin, qu’il déverse plusieurs fois par jour dans la benne arrimée au tracteur. Les coupeurs sont de bonne humeur, ça blague et ça chantonne. Les serpettes et les épinettes s’activent sur les ceps... mais l’orage gronde. Sous un ciel noir menaçant, l’équipe est obligée de se rapatrier au cuvage – le hangar de vinification, en langue beaujolaise. Cela tombe bien, c’est peu ou prou l’heure du casse-croûte. À l’abri de la pluie, on retourne des bassines, on tire des caisses en bois sur lesquelles pain, fromage, charcuterie, fruits, chocolat et un peu de vin ragaillardissent les esprits. Encore un petit effort et les vendanges, raisins égrappés, seront achevées.