
Rues Carnot, Dombey, Franche et Châtillon. À ceux qui voudraient sur-le-champ plonger dans le Mâcon historique, inutile d'aller plus loin. C'est dans cette enfilade de rues de l'hypercentre, en partie piétonnes, et leur périmètre proche, que se trouve l'essentiel du patrimoine de la ville. Logique, quand on sait que cet axe appelé jadis via Agrippa fut le cardo romain de la cité, sa colonne vertébrale nord-sud. À hauteur de la place de la Poissonnerie, elle est coupée à angle droit par la rue Sigorgne, prolongée par la rue de la Barre, son décamenus. Les deux axes agrègent la petite vie commerçante du centre-ville de Mâcon, 33 000 habitants, préfecture de la Saône-et-Loire.
Commerce du vin et artisans filatiers

Le cadre est posé mais pas complet. Car Mâcon, c'est aussi et surtout la Saône. « C 'est l'axe majeur de la ville. Elle a apporté la vie, le commerce et aussi le climat, avec les brouillards en hiver et la houle qui se lève par vent du sud ! », rappelle Vanessa Dessertenne, guide à l'office de tourisme. Couplée à la culture de la vigne, cette Saône capricieuse a façonné l'économie de la cité, grâce au vin « mais aussi aux tonneliers et aux artisans filatiers », ajoute Vanessa, avec un apogée au XVIe et au début du XVIIe siècle. Il faut garder cela à l'esprit lorsqu'on découvre les quelques beaux hôtels particuliers qu'elle recèle. Rue Carnot, donc. Sa « remontée » vers le nord, jusqu'au bout du cardo, livre une belle série de curiosités. Ainsi de l'ancien hospice de la Charité, reconstruit au XVIIIe siècle. Dans ce qui est devenu une résidence de charme au bel escalier et cour carrée intérieure, on peut encore voir, côté rue, la « tour d’abandon », un cylindre tournant en bois où des femmes déposaient jadis, incognito, les bébés qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient garder… Il a fonctionné jusqu’en 1904.

La rue est aussi celle des traboules. Aux n° 115, 40, 22-24… derrière des portes anonymes, des corridors s’enfoncent dans le bâti, certains débouchant sur le quai Lamartine, face à la Saône . La place piétonne Saint-Pierre a des faux airs de sud. Y trônent la façade blanche à trois portails de l’église Saint-Pierre (XIXe siècle) et l’hôtel de ville. La première vaut surtout pour le panorama offert depuis son « balcon », situé entre les deux clochers à flèches de pierre : vue sur les toits de tuiles de la ville, la Saône, la plaine de l’Ain et, au-delà, sur le Bugey et le mont Blanc, par temps clair. Le second, ex-hôtel particulier Montrevel, présente une cour intérieure côté ville et une façade claire, imposante, côté quais de Saône.

La rue Dombey mène à la place aux Herbes. Arrêt impérieux devant la Maison de bois, sans doute la plus ancienne de Mâcon. Splendide, sa façade décorée de statuettes grivoises ou grimaçantes, rebâtie au XVIe siècle, repose sur des fondations en pierre de la fin du XVe siècle. La rue Franche fait pénétrer dans l'ancien quartier épiscopal de Mâcon. Au menu : des hôtels particuliers (au n° 83, le plus beau), des cours intérieures à tours et galeries mâconnaises (comme au n° 41) et encore des traboules vers les quais (n° 55), soulignant que la Saône, sans jamais faiblir, donne son rythme à la ville. La rue Châtillon achève l'enfilade sud-nord et rappelle, en poussant par hasard la porte du n° 141, que l'on n'est jamais à l'abri de découvrir une nouvelle cour intérieure ou une traboule.
Vieux Saint-Vincent, l'un des plus beaux tympans romans

Le reste du centre ancien égrène d'autres sites d'intérêt. Et notamment, à deux pas de la rue Franche, le plus curieux d'entre eux, hélas très mal exploité : le Vieux-Saint-Vincent. C'est l'ancienne église-cathédrale de Mâcon, dont il ne reste que le narthex, les deux tours et la travée qui les relie. À croire que l'édifice a joué de malchance. Bâti dès le VIe siècle, il fut reconstruit plusieurs fois entre le VIIe et le XVIIe siècle, pour cause d'instabilité d'un sol constitué d'alluvions de la Saône. Vendu comme bien national à la Révolution, largement démoli ensuite, il abrite pourtant l'un des tympans romans les plus remarquables de France (fin du XIe siècle), avec ses scènes du Jugement dernier. Peu valorisé, le site n'est malheureusement ouvert aux visiteurs que lors des Journées du patrimoine et dans le cadre de visites guidées ponctuelles organisées par le musée des Ursulines.
Plateau de la Baille, « l'île sonnante »

Justement, ce dernier constitue l'étape suivante. Le site, assez remarquable, regroupe dans un ancien couvent du XVIIe siècle quatre espaces muséaux : un est affecté aux paysages régionaux ; un est dédié à Lamartine, l'enfant prodige de la ville ; un troisième est consacré à la période gauloise de Mâcon jusqu'à l'an mille ; et un dernier est dévolu aux Beaux-Arts, avec des tableaux de Corot, Courbet, Monet et un inédit papier peint panoramique de 1804 sur « Les sauvages de la mer Pacifique ». L'ensemble constitue un parfait complément à la découverte de la ville. Le musée prend place dans le quartier « haut » de Mâcon, le plateau de la Baille. Là régnaient jadis les couvents, ursulines mais aussi carmélites, dominicains, jésuites, minimes… Il était nommé « L'île sonnante », en référence aux cloches des couvents qui tintaient sans cesse pour appeler à la prière.
Face à face, la cathédrale Saint-Vincent et l'Hôtel-Dieu

Après un crochet par la rue de la Barre pour sacrifier aux commerces de bouche et notamment à la charcuterie Bourcet et à la pâtisserie Noyerie, adresses fétiches des Mâconnais, la balade se poursuit jusqu'au grand square de la Paix. Sur l'un des rares espaces dégagés de la ville se font face la cathédrale Saint-Vincent et l'Hôtel-Dieu. La première, dessinée sous Napoléon Bonaparte selon les plans de l'architecte du Palais Bourbon et de l'église de la Madeleine, à Paris, rappelle derrière ses quatre grosses colonnes à l'antique que c'est ici, en 1869, qu'eurent lieu les obsèques de Lamartine. Le second, du XVIIIe siècle, bâti selon les plans de Soufflot (le Panthéon, dans la capitale), en impose par son dôme d'une hauteur remarquable et son corps de bâtiment en briques. Il abrite une apothicairerie ouverte lors des Journées du patrimoine et de visites guidées en été
Sur le pont Saint-Laurent

La balade dans Mâcon ne serait pas complète sans une déambulation sur les rives de la Saône. Après un arrêt devant l'inévitable statue de Lamartine (« Éloquence, Poésie, Histoire », est-il écrit sur le socle), l'odeur fraîche de l'eau et un léger vent du sud donnent le courage de traverser le pont de pierre Saint-Laurent, jeté sur la Saône depuis le XIe siècle. De l'autre côté, rive gauche, ce n'est déjà plus la Saône-et-Loire mais l'Ain, et la commune de Saint-Laurent-sur-Saône. Il faut y aller le matin, au soleil levant, pour voir les façades de Mâcon rayonner face à la puissante rivière.