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Cette ancienne voie de pèlerinage qui est sortie de l'oubli...

Besançon, la via Francignena  s'eleve  au-dessus de la ville , passage sur la voie romaine Sur les rives de la Loue, le village Lods. - © Gilles Lansard / Détours en France

Publié le par Vincent Noyoux

Depuis quelques années, la Via Francigena, une ancienne voie de pèlerinage reliant Canterbury à Rome, sort de l’oubli. Suivons-la de Besançon à la frontière suisse pour découvrir des cités de caractère, des gorges, la belle vallée de la Loue, ou encore la cluse de Joux et son fort...

La voie romaine : un sentier abrupt qui mène à la Chapelle-des-Buis, où réside une congrégation de franciscains. © Gilles Lansard / Détours en France

Tous les pèlerins vous le diront : en France, c’est dans le Doubs, entre Besançon et la cluse de Joux, que la Via Francigena trouve ses plus beaux paysages. Nous voici justement à Besançon, prêts à vérifier l’assertion. Notre objectif: rejoindre en quatre étapes la frontière suisse.

L’île Malpas, depuis les hauteurs de Besançon, est le point de départ de ce périple sur un tronçon de la « voie Francigène ».
L’île Malpas, depuis les hauteurs de Besançon. © Gilles Lansard / Détours en France

Au départ de l’île Malpas, le chemin grimpe raide à l’arrière de la citadelle Vauban. Le balisage de la « voie Francigène » se matérialise par un petit pèlerin jaune, portant un sac à dos.

Un système de balisage avec un petit pèlerin jaune suit le tracé de la Via Francigena.
Un système de balisage avec un petit pèlerin jaune suit le tracé de la Via Francigena. © Gilles Lansard / Détours en France

Un belvédère nous offre alors un dernier regard sur Besançon et le Doubs, qui dessine un beau méandre. Là, une ancienne voie romaine, cabossée à souhait, nous mène jusqu’à la Chapelle-des-Buis, d’où l’on toise le fort de Chaudanne. Les pèlerins peuvent trouver un toit pour la nuit chez les frères franciscains du petit ermitage au centre du village. Mais nous avons encore de la route. Passé Montfaucon, nous traversons le marais de Saône. « C’est une cuvette étrange, nous dit un cueilleur de champignons. Toute l’eau qui arrive ici est prisonnière, mais elle s’écoule par un petit trou (appelé ponor, NDLR) au Creux-sous-Roche, et ressurgit  à Arcier, où se trouve un viaduc romain qui allait jusqu’à Besançon. On alimente Besançon en eau, finalement ! » Un peu plus loin, des juments comtoises à la belle crinière blonde paissent tranquillement dans des prés parsemés de boutons-d’or.

Itinéraire sur les traces de Gustave Courbet

D’une longueur de 181 m, le viaduc de Maizières-Notre-Dame, près d’Ornans, surplombe la Brême du haut de ses treize arches fuselées.
D’une longueur de 181 m, le viaduc de Maizières-Notre-Dame, près d’Ornans, surplombe la Brême du haut de ses treize arches fuselées. © Gilles Lansard / Détours en France

Après une nuit à Foucherans, nous repartons dans la vallée encaissée de la Brême. Nous arrivons au pays de Gustave Courbet... Un petit crochet nous mène à la grotte de Plaisir-Fontaine, dont l’ambiance de sous-bois fut captée par le grand peintre (Remise de chevreuils au ruisseau de Plaisir-Fontaine, 1866).

La grotte Plaisir-Fontaine s’ouvre sur un immense porche de 36 m de largeur. Ce site aux airs de majesté inspira certaines œuvres à Gustave Courbet, dont L’Origine du monde.
La grotte Plaisir-Fontaine s’ouvre sur un immense porche de 36 m de largeur. Ce site aux airs de majesté inspira certaines œuvres à Gustave Courbet, dont L’Origine du monde. © Gilles Lansard / Détours en France

Il faut s’enfoncer dans cette caverne de calcaire qui semble ouvrir sa gueule au milieu des arbres. L’eau ruisselle sur des langues de calcite et si le terrain n’était pas si glissant, on s’enfoncerait bien dans les entrailles de la rivière. Le GR145 suit bientôt une voie verte empruntant une ancienne voie ferrée. Le ravin du Puits-Noir fut peint par Courbet, le maître d’Ornans, de même que le puits de la Brême, grand bassin d’eau vert céladon. Ce dernier est une source-perte appelée estavelle : tantôt il reçoit les eaux de la Brême, tantôt il devient émissif.

Le site du puits de la Brême, gouffre de 15 m de profondeur déborde et fonctionne en résurgence en période de crue. Selon la croyance populaire, il s’agirait d’une des portes de l’enfer.
Le site du puits de la Brême, gouffre de 15 m de profondeur déborde et fonctionne en résurgence en période de crue. Selon la croyance populaire, il s’agirait d’une des portes de l’enfer. © Gilles Lansard / Détours en France

La pluie nous surprend tandis que nous passons le viaduc de la Brême, dont les hautes arches enjambent la rivière. Bientôt, un arc-en-ciel  couronne les falaises d’Ornans. Nous voici arrivés dans la ravissante cité de Gustave Courbet. La Loue, gonflée à bloc, coule à gros bouillons sous le nez des jolies façades en encorbellement. Ici, on a son balcon sur la rivière, comme dans un décor de théâtre à l’italienne où la Loue ferait office de cantatrice. En deuxième rideau, le château d’Ornans perché sur sa falaise. N’oublions pas le clocher comtois de l’église Saint-Laurent, ni les voûtes élégantes de l’hôtel de ville. Mais ce qu’il ne faut pas manquer, c’est évidemment le musée Courbet, qui vient de faire peau neuve. L’artiste est présent partout ici : il a sa maison, sa tombe, son musée, son institut, son école...

Étape secrète au bord de la Loue

Les hôtes Solange et Bernard Cardeur réservent deux de leurs chambres aux pèlerins faisant halte à Vuillafans.
Les hôtes Solange et Bernard Cardeur réservent deux de leurs chambres aux pèlerins faisant halte à Vuillafans. © Gilles Lansard / Détours en France

Nous quittons Ornans par un petit pont de pierre pour rejoindre Vuillafans, une espèce d’Ornans miniature avec ses anciennes tanneries au-dessus de la Loue.

On trouve ici l’un des derniers moulins à roue à aube de la vallée" confie Bernard Cardeur.

Avec son épouse Solange, il a parcouru la Via Francigena de Besançon jusqu’à Rome. Après avoir profité de l’hospitalité en chemin, le couple accueille à son tour les pèlerins dans leur jolie maison de village. « Nous séchons les pèlerins trempés de pluie, nous les nourrissons et logeons, nous les soignons au besoin. C’est en faisant Compostelle que nous avons entendu parler de ce chemin.. qui passe juste devant notre porte ! C’est un sentier tranquille, loin des foules de Saint-Jacques et des dortoirs de 100 personnes. En Italie, le sentier est très populaire. Les balisages sont bien plus visibles qu’ici et les gens vous embrassent, car ils savent que vous allez à Rome. » Là, point d’embrassades, mais une chaleureuse poignée de main. Nous suivons la vallée de la Loue en traversant le village de Lods, joliment accroché à la pente, avec ses portes vigneronnes. C’est qu’ici, la vigne a longtemps poussé sur les pentes ensoleillées, au sol pauvre. On exportait jusqu’en Alsace et en Suisse.

Niché dans la vallée de la Loue, Mouthier-Haute-Pierre, naquit au ixe siècle autour d’un ancien prieuré bénédictin.
Niché dans la vallée de la Loue, Mouthier-Haute-Pierre, naquit au ixe siècle autour d’un ancien prieuré bénédictin. © Gilles Lansard / Détours en France

La vallée s’étrécit. À Mouthier-Haute-Pierre, les falaises s’écartent tout juste pour laisser un peu d’air aux maisons étagées. Au belvédère de la Vierge-de- Sainte-Foy, on s’arrête, émerveillé par la vue sur le village, l’étau de la vallée et les vergers de cerisiers (le kirsch local, fait à partir de cerise marsotte, est fameux). Le pauvre Sigéric n’a pas profité de ce panorama: ignorant la vallée de la Loue, il a rejoint Mamirolle depuis Pontarlier directement par le plateau. Bientôt, nous longeons les gorges de Nouailles sous le couvert des arbres.

La traversée des gorges de Nouailles, canyon sauvage et escarpé allant jusqu’à 350 m de profondeur, traverse cascades et falaises rocheuses au cœur d’une flore vert émeraude luxuriante.
La traversée des gorges de Nouailles, canyon sauvage et escarpé allant jusqu’à 350 m de profondeur, traverse cascades et falaises rocheuses au cœur d’une flore vert émeraude luxuriante. © Gilles Lansard / Détours en France

La Loue gronde, franchit des sauts. Les hêtres gainés de mousses ont l’air de fourrures vertes, la lumière tamisée par les feuillages devient vert émeraude. Soudain, la falaise se referme pour former un fer à cheval. D’une grande béance noire sort la Loue, et c’est à Courbet que l’on repense aussitôt. Plutôt qu’une source, il faut parler de résurgence puisque ses eaux proviennent de pertes du Doubs et de différentes eaux d’infiltration. On parle d’un réseau hydrographique karstique souterrain d’environ  600 kilomètres carrés qui, à ce jour, n’a pas encore livré tous ses secrets.

Une voie qui remonte à Trajan

La chapelle Notre-Dame-des-Anges fut érigée entre 1866 et 1875 à Ouhans, à l’initiative de l’abbé Urbain Paget. Son bardage extérieur et son toit en zinc la protègent des intempéries.
La chapelle Notre-Dame-des-Anges fut érigée entre 1866 et 1875 à Ouhans, à l’initiative de l’abbé Urbain Paget. Son bardage extérieur et son toit en zinc la protègent des intempéries. © Gilles Lansard / Détours en France

Nous grimpons ensuite jusqu’à la chapelle Notre-Dame-des-Anges, caparaçonnée de tavaillons en zinc sur son mamelon. Ici, le paysage devient vraiment franc-comtois : un plateau ondulant où alternent prés et forêts de résineux. De temps à autre, un clocher d’église, typique avec son dôme à l’impériale. L’air se fait plus frais, les vaches de Montbéliard, plus nombreuses. Bientôt, nous atteignons Pontarlier, où nous faisons étape. La capitale de l’absinthe nous retient quelques heures, le temps d’admirer la porte Saint-Pierre et son « chapeau chinois », l’église Sainte-Bénigne et le beau portail baroque de la chapelle des Annonciades. 

Pontarlier, la capitale de l’absinthe, avec en fond : la porte de Saint-Pierre, un arc de triomphe défensif de toute beauté datant du xixe siècle
Pontarlier, la capitale de l’absinthe, mérite bien une petite excursion. L’occasion d’admirer la porte de Saint-Pierre, un arc de triomphe défensif de toute beauté datant du XIXe siècle. © Gilles Lansard / Détours en France

À une heure à pied de là, l’austère château de Joux, perché sur son promontoire rocheux, garde la cluse du même nom, lieu de passage vers la Suisse et l’Italie. Gardé par cinq enceintes, le fort a vu passer Charles le Téméraire, la guerre de Trente Ans, Mirabeau et Toussaint Louverture. La vue est splendide depuis le fort Malher, au bord du chemin.

Le château de Joux, dresse fièrement son bâti, sorte de mosaïque architecturale militaire qui servit aussi de prison d’État.
Le château de Joux dresse fièrement son bâti, sorte de mosaïque architecturale militaire qui servit aussi de prison d’État. © Gilles Lansard

On y surprend un chamois guère effrayé par les randonneurs. Ici, la Via Francigena se sépare en deux. Plutôt que de piquer vers Sainte-Croix, en Suisse, nous empruntons le chemin historique de Sigéric vers le col de Jougne (1017 m). Le chemin gagne en altitude à travers les paysages du Haut-Doubs, entre forêts et pâturages.

En 990, l’archevêque de Canterbury fit étape à Jougne, entre les deux versants du massif jurassien. Les poids lourds qui traversent ce village ont de lointains ancêtres, puisque Jougne était déjà un lieu de passage sous le règne de Trajan. Au Moyen Âge, les marchands de Flandres empruntaient à peu près le chemin que nous venons de fouler. Ici s’arrête notre parcours. Mais il n’est pas interdit de suivre le petit pèlerin jaune jusqu’à Rome.

Sigéric, l'archevêque randonneur de Canterbury to Rome

L’archevêque de Cantorbéry s’est-il servi de sa crosse comme bâton de pèlerin pour se rendre de Rome à Canterbury? Non, sans doute, mais c’est bien à lui que l’on doit le tracé de la Via Francigena, réseau emprunté par les pèlerins venant de France pour se rendre à Rome. Nous sommes alors en 990. À son retour de Rome, où il a reçu le pallium (symbole de son autorité) des mains du pape, il franchit la vallée d’Aoste, passe le col du Grand-Saint-Bernard, traverse la France jusqu’à la Manche. En tout, 80 étapes d’une vingtaine de kilomètres chacune. Ce parcours, plus anciennement attesté que le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, a été décrit dans un manuscrit, miraculeusement préservé jusqu’à ce jour (il se trouve à la British Library, à Londres). Dans le Doubs, la Via Francigena se dédouble après Pontarlier : les marcheurs peuvent choisir de rejoindre Orbe en passant soit par L’Auberson / Sainte-Croix, soit par la variante historique (Via Jougne).

Sources

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