La Grande Motte, la cité des sables
Créée par l’architecte Jean Balladur dans les années 1960, La Grande Motte subjugue. Labellisée Patrimoine du XXème siècle en 2010, la cité-jardin offre un parcours architectural ludique, au gré des sentiers qui relient ses parcs, ses plages et son port.
Des pins pignons, des tamaris, des lauriers-roses, des trilles d’oiseaux et, nichés dans ce berceau de verdure, face à la Méditerranée, des immeubles aux courbes blanches sensuelles et aux noms évocateurs : Poséidon, Ulysse, Calypso… Nous sommes sur la promenade des Dunes, qui longe la plage de La Grande Motte, entre le quartier résidentiel du Couchant et le port du Levant. Ici, tout le monde circule à pied ou à vélo, et les vacances au bord de la Méditerrannée riment avec architecture solaire et immersion dans la nature. « La Grande Motte, c’est l’œuvre d’une vie, celle de son architecte en chef Jean Balladur », raconte Richard Félicès, le fondateur de l’Institut du patrimoine de La Grande Motte.
Une ville double
Né en 1924 à Smyrne, en Turquie, Jean Baladur a un profil atypique. Avant de se former comme architecte à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, il a d’abord suivi des études de philosophie et a été l’élève de Jean-Paul Sartre, qui resta son maître sa vie durant. Il croit dans les vertus de l’urbanisme moderne, mais il milite pour une approche humaniste de la ville, à contre-courant du discours fonctionnaliste des années après-guerre. Quand, en 1964, l’architecte découvre le site que lui a confié l’État français pour bâtir une station balnéaire sur la commune de Mauguio, ce n’est qu’une lande désertique, infestée par les moustiques. Mais il perçoit vite le potentiel qu’offre cette langue de sable, étirée entre trois plans d’eau : la mer au sud, l’étang du Ponant au nord-est, l’étang de l’Or au nord-ouest. Une plage en pente douce orientée plein sud s’étend sur quatre kilomètres. Pour bâtir sa ville dédiée au soleil et aux vacances, l’architecte décide d’y créer deux quartiers inspirés de ses voyages en Amérique du Sud et se répondant comme le masculin et le féminin : le premier, autour du futur port, sera peuplé de tours en forme de pyramides, comme dans la cité inca de Teotihuacan, au Mexique ; l’autre, blotti dans les jardins à l’arrière, abritera des conques aux courbes douces, en hommage à la ville de Brasilia, conçue par Oscar Niemeyer. Le chantier, titanesque, débute en 1965.
Une ville verte
Un demi-siècle plus tard, le rêve d’architecture est arrivé à maturité. La Grande Motte, surnommée à ses débuts Sarcelles-sur-Mer, porte désormais le très envié label Patrimoine du XXe siècle. Avec 70 % de sa surface occupée par les parcs et les jardins, elle est l’une des villes les plus vertes d’Europe. 25 kilomètres de sentiers ondulants, ponctués de passerelles et de places semées d’œuvres d’art, invitent à s’y balader, loin du bruit des automobiles et du stress. À la population de 8 638 habitants s’ajoutent 120 000 visiteurs chaque été. Décédé en 2002, Jean Balladur, auquel a succédé son fils Gilles, a assuré 20 % des constructions de la station. Guidés par sa vision (et son cahier des charges), 60 autres architectes y ont mis leur marque, ainsi que des artistes de toutes disciplines confondues : sculpteurs, plasticiens, peintres, coloristes…
Une ville de béton
La cité-jardin est avant tout une ode à l’architecture-sculpture. À peine quitté le quartier du Couchant, ses rondeurs et ses allées bruissantes d’oiseaux, voilà la Grande Pyramide, qui domine la station et la mer de ses 15 étages. Bâtie en 1974 par Jean Balladur, cette virgule de béton blanc représente le reflet inversé du pic Saint-Loup. Elle fait le trait d’union entre les quartiers du Couchant et du Levant avec, à l’ouest, des angles arrondis et, à l’est, une structure en escalier. Entre chaque balcon se dessinent des cloisons de forme oblongue. « Pour donner vie à La Grande Motte, reprend Richard Félicès, l’architecte a choisi le béton, un matériau économique très prisé après-guerre, mais aussi très “plastique”, qui autorise la créativité. Son coup de génie est d’avoir incorporé aux façades des éléments en relief préfabriqués, qu’on appelle des “modénatures”. Ces motifs jouent un vrai rôle pratique : les cloisons encadrant les loggias de la Grande Pyramide, par exemple, permettent de briser le vent, tout en apportant de l’ombre et de l’intimité aux habitants. Mais en soulignant les lignes, en créant des jeux d’ombre et de lumière, elles animent également la façade d’un mouvement cinématographique, qui évolue en fonction de la course du soleil. » Non loin, sur le port du Levant, le décor se fait plus minéral. Autour de la marina se dressent des immeubles en forme de pyramides tronquées. Avec leurs pentes à 60° et leurs formes étagées, elles offrent une exposition démultipliée au soleil. Le Commodore, le Concorde, l’Éden… Là encore, on retrouve les modénatures. Loin de la géométrie primaire du losange, du carré ou du triangle, elles dessinent des cercles interrompus, des trapèzes irréguliers, des virgules, comme si la dissonance des formes conférait un rythme musical aux façades. Çà et là, l’architecte a ajouté des clins d’œil. Sur l’Acapulco par exemple, les décors en relief rappellent le nez du général de Gaulle, vu de profil ! Derrière le port, direction la place des Trois‑Pouvoirs. Sur cette agora moderne se côtoient les symboles des pouvoirs exécutif, religieux et culturel : l’hôtel de ville, l’église Saint-Augustin et le théâtre de Verdure, lieu de spectacle de plein air. Au milieu de ces bâtiments, qui reprennent le vocabulaire de la courbe et de l’ellipse, une fontaine fait jaillir l’eau d’une bouche stylisée. Elle incarne la voix du peuple. On tient presque la réponse à la question centrale dans la pensée de Jean Balladur : « Comment inventer l’histoire d’une ville ? ».