En suivant à pied ou en empruntant la ligne 11 de la Citalis (société de transport urbain), une scénographie donne aux voyageurs les clés de lecture et de compréhension de l’évolution urbaine du chef-lieu de La Réunion. Du square Labourdonnais au quartier des Camélias, elle permet de découvrir trois fonctions de la ville et leurs métamorphoses chargées de 360 années d’Histoire. Le parcours s’enrichit d’éléments scénographiques (disposés sur des poteaux), en lien avec leurs lieux d’implantation. On retrouve, en parcourant à pied les nombreux dédales de la capitale réunionnaise, un condensé de singularités, au fil des espaces visités.
L’établissement maritime : le point de départ
Le littoral est imprégné de cette conquête maritime, avec ses imposantes bâtisses de stockage réhabilitées. Le quartier du Barachois – entre le square Labourdonnais et le monument de La Victoire – fut utile à la Compagnie des Indes. En effet, Mahé de La Bourdonnais l’équipa, pour les besoins de la navigation, d’un pont-volant placé près de la rivière Saint-Denis dont l’embouchure forme, en se jetant dans la mer, un barachois, passe qui permet à de petits bateaux de se mettre à quai. Dans le bas de la ville, zone portuaire et marchande, se situe la préfecture, magasin sécurisé où l’administration coloniale conservait marchandises, armement et logements des gouverneurs de l’île. Sa principale restauration date de 1822 pour lui donner son aspect actuel. Aux côtés de ce monument, l’emblématique square Labourdonnais où l’on fêta, le 20 décembre 1848, le « bal des Noirs », première fête de la liberté, sur l’ancienne place d’Arme (ce jour est férié à La Réunion et marque également la fin de la saison cannière). Bien que la proclamation de l’émancipation des esclaves ait été prononcée le 27 avril 1848, Sarda-Garriga, commissaire général de la République, ne l’annonça que deux mois après son arrivée, à la fin de la saison cannière. Ce « décalage » reflétait sa volonté de trouver un équilibre entre les intérêts des planteurs avec leurs besoins de main-d’œuvre et la mise en application du décret de l’abolition de l’esclavage.
Une ville néoclassique habillée de villas

Depuis l’hôtel de ville, en remontant vers le Jardin de l’État, on retrouve la « ville néoclassique ». Il s’y dévoile, aux abords de la rue de Paris et de ses grands axes perpendiculaires, une multitude de villas dites néoclassiques. Elles furent érigées au milieu du XIXe siècle, période de pleine croissance économique. Certaines, décorées de colonnes, comportent un axe de symétrie en façade et dans le jardin jusqu’à la rue. Elles s’agrémentent d’une varangue (ouverte ou fermée), espace de réception et de transition entre la cour et l’intérieur. Les pièces sont aménagées en enfilade pour rafraîchir les espaces de vie. Les annexes sont situées dans l’arrière-cour : godon (réserve à nourriture), calbanon (logement des domestiques), cuisine, poulailler. Le jardin, toujours situé devant la maison, s’organise sur un modèle créolisé mêlant l’ordre dans le désordre. Des guétalis s’installent aux angles de ces cours-jardins.
Ces patrimoines sont vieillissants. D’un côté, on se retrouve face à des bâtisses bien restaurées et sous gestion publique: la mairie, les musées; et de l’autre côté, des bâtisses reconverties en commerces ou habitations, toujours entretenues, ouvertes, vivantes. Pour préserver les éléments patrimoniaux de la rue de Paris, les collectivités se sont lancées dans une démarche de restauration des grandes villas néoclassiques. Elles portent généralement le nom d’un de leur ancien propriétaire. C’est le cas de L’artothèque (ancienne maison Mas, n° 26) qui abrite les collections d’art contemporain du Conseil général, avec le concept de « prêt d’objets d’art ». D’autres maisons comme le Musée Léon-Dierx (ancien évêché, n° 28) ou le Muséum d’histoire naturelle au Jardin de l’État font partie des biens hérités de la période coloniale.
Au cœur de cet axe culturel, la Maison Carrère (n° 14-14 bis) accueille désormais l’Office de tourisme intercommunal et permet de rayonner vers ces différents sites. Certaines découvertes se situent dans les rues autour de cet axe. De longues rues étroites, aux jardins fleuris et au nom de grands Réunionnais comme Roland Garros, Jean Chatel, Félix Guyon ou Alexis de Villeneuve, quadrillent le centre urbain. Puis on remarque qu’autour, à côté de ce qui est d’éclat, ces murs fissurés aux couleurs ternies par le temps ou immaculés de graffiti, ces portails rouillés, ces villas abandonnées. Un patrimoine, souvent des biens privés, qui donne l’impression d’être hanté. L’entretien de ces ouvrages d’époque est très coûteux.

Certains nécessiteraient des études et des travaux de réhabilitation de longue haleine. Ils ont tous des spécificités, que ce soit leur portail rouillé au cintrage artisanal, leur boîte aux lettres, le carrelage apparent de leurs allées ou leur jardin en fouillis... De nombreux matériaux composent ces patrimoines architecturaux en danger.
Des camps aux quartiers populaires
Au pourtour du Jardin de l’État se cachaient naguère, dans des zones moins favorables, les camps regroupant majoritairement des esclaves. Regroupés dans ces zones à risques d’inondation et de paludisme, mais à proximité de zones d’écoulement d’eau répondant aux besoins du quotidien. Cet accès aux ravines était important car il rythmait la vie des habitants qui allaient tantôt y chercher de l’eau, tantôt y laver le linge. Parcourir ces quartiers, à pied, en longeant la ravine Ruisseau des Noirs pour aller jusqu’au Camp Calixte, démontre qu’à l’exception du Boulevard Sud, les rues en place dès le XIXe siècle sont les mêmes qu’aujourd’hui. Du Jardin de l’État au quartier des Camélias, en passant par les lieux-dits respectifs : La Source, Lavoir (Ruisseau des Noirs), Papaya et allée Coco, les camps constituaient un espace structuré. Ils ont subsisté après la période esclavagiste, jusqu’à la période engagiste (1848- 1938). Ces quartiers populaires se sont surtout densifiés à la suite d’un énorme chantier d’endiguement. Le paysage des quartiers de La Source, de La Providence, des Camélias était, au XVIIIe siècle, traversé par plusieurs bras de ravines. Ceux-ci furent endigués entre 1974 et 1977 et auront permis la réalisation de nouveaux lotissements et d’autres immeubles. Les premiers édifices à étages ont été inaugurés en 1963 et marquent la fin du paysage d’une époque, que les Réunionnais appellent le « tan lontan » (1938-1975). C’est une période de rupture avec le mode de vie traditionnel. Cette mutation urbaine s’est faite sans transition, passant du mode traditionnel d’ « habiter réunionnais » au nouveau mode d’ « habiter en immeuble ». Ces aménagements permettent l’amélioration de l’état sanitaire des quartiers, touchés alors par des zones impaludées. L’espace moderne de l’immeuble éloignera les familles du mode d’autosuffisance alimentaire développé dans « la case à terre », d’où la nécessité d’installer des marchés dans la ville pour pallier ce problème : celui des Camélias se déroule le vendredi. Aux Camélias, ces constructions qui forment un nouveau quartier moderne de Saint-Denis s’installeront progressivement sur les terrains rattachés au château Morange, demeure familiale construite à l’initiative de Prosper Morange au milieu du XIXe siècle, inscrite en totalité au titre des monuments historiques depuis 2010.
La rue commerçante et cultuelle

Anciennement appelée rue du Grand-Chemin, la rue du Maréchal-Leclerc est aussi très représentative d’une mutation de l’architecture de l’île, caractéristique de chaque époque. Les influences du XXe siècle et l’expression cultuelle sont visibles à travers plusieurs bâtiments. Autour du marché s’exposent les origines et l’harmonie religieuse : temple hindou, temples cantonnais et mosquée portes grandes ouvertes nuancent le paysage.

À certaines heures, les cloches de la cathédrale, non loin, rythment l’appel à la prière. C’est ça La Réunion. Flâner dans cette rue commerciale, parfumée d’épices, avec un carré piéton, entre le petit marché et la rue de Paris, est un détour incontournable pour revenir au cœur de la ville. Les petits commerçants ambulants se mélangent aux grandes enseignes : on y retrouve également quelques édifices contemporains, dont celui de la Poste centrale (1965) de l’architecte Jean Bossu, membre de l’atelier Le Corbusier. Et la rue du Maréchal-Leclerc résume, à elle seule, l’île de La Réunion d’aujourd’hui : métissée.

