Le contraste nous a surpris. Venant de Sarlat, submergée de touristes en ce dimanche de fin d’été, Souillac nous plonge dans un désert humain légèrement oppressant. Commerces et restaurants fermés, ambiance de fin de saison... Les deux villes ne sont pourtant distantes que de 30 kilomètres. L’anecdote témoigne des bonnes et moins bonnes fortunes des villes de la vallée de la Dordogne : l’une est au faîte de sa gloire ; l’autre est en quête d’un renouveau touristique.
Moulins sur la Borrèze

Le potentiel est là, pourtant. Travelling arrière... Dans ce coin de vallée marécageux perclus de sangliers (la souilh, origine du nom de la ville, veut dire bauge, en patois), des moines s’installent au IXe siècle. Il y a l'eau, la pierre (calcaire) et le bois. Tout ce qu'il faut pour créer et entretenir une communauté. Les bénédictions assainissent les terres, construisent des moulins sur les rives de la Borrèze, petit affluent de la Dordogne, et bâtissent un prieuré. Au XIIe siècle, celui-ci est remplacé par une abbaye romane, dont la splendide abbatiale Sainte-Marie, joyau de Souillac, rappelle l'opulence passée de la ville. Tout est remarquable dans cet édifice. D'abord ses trois potes à lanternons recouvertes de lauzes, chef-d’œuvre de l'art romano-byzantin - on parle aussi de style syrien, peut-être inspirée par des croisades en Terre sainte. Puis son chevet, parfait d'harmonie avec son abside ronde à baies cintrées, entourée de chapelles rayonnantes octogonales. Aussi sa tour occidentale, carrée, vestige possible de l'église primitive. Et surtout son tympan intérieur, avec un pilier sculpté et l'exceptionnelle figure en pierre du prophète Isaïe. Ah, si l'îlot urbain autour de l'abbatiale était valorisé comme il se doit ! On aimerait que la place ombragée de l'Abbaye et le parking Chastagnol soient rendus aux piétons, que les bâtiments conventuels (même rebâtis au XIXe siècle) soient valorisés et ouverts au public, que le parvis du chevet soit végétales...
Halle néogothique, hôte du marché

Le tour de ville donne à voir d'autres vestiges. La vilaine verrue de l'ancienne minoterie, posée sur la Borrèze au bas de l'avenue Gambetta, rappelle l'activité moulinière des moines. Un vrai moulin en pierre du XIXe siècle, très joliment restauré, est d'ailleurs à découvrir sur cette rivière, aux portes de Souillac, à Lamothe Timbergue. Transformé en minoterie dans les années 1960, il a fonctionné jusqu'en 1995. La rue de la Halle est celle qui évoque le mieux le passé médiéval de Souillac. Près de l’intersection avec la rue de Paliès, elle abrite une belle demeure du XIVe siècle, accueillant aujourd’hui la médiathèque. Un peu plus bas, la rue rejoint une place où se dresse la halle néo-gothique du XIXe siècle. Édifiée en lieu et place d’un îlot de maisons, elle abrite trois mesures à grains du XVIIIe siècle et accueille, chaque vendredi et dimanche matin, le marché.

Clocher-beffroi de l’ex-église Saint-Martin

Quelques pas encore vers le sud et l’on tombe sur la place Saint-Martin. On jettera un œil à la maison de Raymond de Verninac Saint-Maur, contre-amiral et ministre de la Marine en 1848. Son fait d’armes majeur est d’avoir ramené à Paris, par bateau, le célèbre obélisque de Louxor, implanté place de la Concorde. La place est surtout dominée par un édifice éprouvé par le temps : l’ancienne église Saint-Martin. Dévasté, comme une partie de la ville, au XVIe siècle, lors des guerres de Religion, son clocher décapité est devenu beffroi. L’église, désacralisée, abrite de nos jours une salle d’exposition et l’office de tourisme.
Souillac, port de transbordement

Par l’étroite rue Orbe, filons vers la petite place de la Nau. La nau? Le mot évoque la navigation, en patois local. Sans que l’on sache vraiment quelle fut la fonction précise de ce carrefour (commerce d’accastillage ?), elle souligne l’une des périodes les plus prospères de la ville, aux XVIIIe et XIXe siècles: l’activité des gabarres sur la Dordogne. C’est en effetà Souillac que ces embarcations remontant la rivière grâce au chemin de halage devaient décharger leurs marchandises pour les hisser sur des charrettes, afin qu’elles continuent leur parcours jusqu’à Argentat, en Corrèze. La Dordogne, trop tumultueuse au-delà de Souillac, ne permettait pas aux gabarres d’être tractées plus amont. Inutile de dire que ce transfert de charge était source d’intense activité ! Le vin, le sel marin, les poissons séchés, les épices venues de l’ouest étaient mis à quai, tandis que dans l’autre sens, bois et céréales étaient chargés sur les gabarres. Mieux encore, à une poignée de kilomètres de là, se trouve Martel, au croisement des anciennes voies romaines Paris-Toulouse et Bordeaux-Lyon. Les échanges entre les deux cités étaient d’évidence fructueux.
Sept viaducs, l’empreinte ferroviaire

Un événement va réduire cette activité portuaire à néant : l’arrivée du chemin de fer. En l’espace de sept ans, entre 1881 et 1888, sept viaducs sont construits pour assurer la circulation des trains dans les sens nord-sud (ligne Paris-Toulouse) et est-ouest (ligne Souillac-Viescamp-sous-Jallès, près d’Aurillac). Ils transforment le paysage de la ville. Le trafic ferroviaire, avec la correspondance de lignes, donne un autre coup de fouet à l’économie. Ces viaducs méritent une visite, tant leur architecture est harmonieuse. Le record du nombre d’arches est détenu par le viaduc sur la Borrèze, avec 30 arceaux. Mais le plus visible, à la sortie est de la ville, est celui de Bramefond. Ses 14 arches en courbe, qui survolent une vallée sèche, permettaient le passage des trains vers Aurillac. La route de Brive offre une vue plongeante sur cet ouvrage en pierre (resplendissant au soleil couchant) ouvert à la circulation en 1889 et, de nos jours, désaffecté.
La RN20, route vedette du XXe siècle

Le temps fort d’après est celui de la route. Dès les premiers congés payés et surtout dans les années 1950 à 1980, les voyageurs empruntent la RN20 Paris-Toulouse, qui passe à Souillac. Sur l’actuel boulevard Malvy, le trafic est dense. Cafés, restaurants et hôtels profitent du flux toute l’année, surtout pendant les vacances. L’ouverture de l’autoroute A20 en 2001 met un coup d’arrêt à ces transhumances. La ville s’endort. La Dordogne est là, pourtant, qui charrie désormais des trains de canoës. Souillac en profite peu, mal connectée à la rivière, en dépit de son joli pont Louis-Vicat, bicentenaire. Il ne tient qu’à elle de muscler ses points forts – dont la gastronomie – pour tenter de devenir un petit Sarlat lotois.