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Cette vallée française va vous faire voyager dans la Préhistoire

Grotte de Lascaux II La vallée de la Vézère, trésor de l'âge de pierre avec ci-contre, la grotte de Lascaux II. - © Philippe Roy / Détours en France

Publié le par Philippe Bourget

À fréquenter les paysages de la vallée de la Vézère, on serait vite inspiré à y poser son havresac comme le firent il y a quelques dizaines de milliers d’années nos ancêtres homo sapiens. Qu’avaient-ils donc trouvé dans cet environnement pour qu’il soit si favorable à leur survie ? De Montignac à Limeuil, via Lascaux et les Eyzies, nous avons sillonné cette vallée en compagnie de spécialistes des premiers hommes, pour mieux en cerner les mystères…

Les abris Pataud, Cro-Magnon, du Château, du Moustier, de Laugerie Basse, la cité troglodytique de La Roque Saint-Christophe, les sites du Regourdou, de La Balutie et de la Madeleine, les grottes ornées de Rouffignac et des Combarelles, Font de Gaume, Roc de Marsal… D’autres lieux encore, inconnus du grand public : le Trou du Brechou, Roc Pommier, Les Guignes, Le Peuch Saint-Sour, Roquevide… et bien sûr Lascaux. Sur 37 kilomètres entre Montignac-Lascaux et Limeuil, confluence de la rivière avec la Dordogne, la Vézère concentre ce qui se fait de mieux en France en matière de sites préhistoriques.

Une vallée occupée ainsi sans discontinuer depuis 400 000 ans, c’est unique au monde. Christophe Vigerie, historien-conférencier et auteur, ancien responsable du site troglodytique de la Madeleine.

Premières traces humaines sur le Vieux Continent

Rares sont les régions d’Europe à concentrer autant de vestiges du paléolithique. Cette longue période, comprise entre l’apparition des premiers hommes il y a 3 millions d’années et 10 000 ans avant J.-C., fut féconde ici. En termes de gisements, La vallée de la Vézère est comparable à la corniche Cantabrique [Espagne atlantique], au Jura Souabe ou à la vallée du Dniepr, entre l’Ukraine et la Moldavie. Nathalie Fourment, directrice du musée national de Préhistoire, aux Eyzies-de-Tayac. Bref, pour le grand public, ce territoire du Périgord est une occasion unique de découvrir les premières traces d’occupation humaine sur le Vieux Continent et d’imaginer pourquoi cette vallée, et pas une autre, fut à ce point plébiscitée. La multitude de sites et leur gestion disparate – beaucoup sont des propriétés privées avec des aménagements parfois contestables, comme le site du Regourdou et ses ours… –, sans parler des pseudo-parcs préhistoriques, commerciaux plus que pédagogiques, ne rendent pas la lecture facile. D’où l’intérêt de commencer par une visite au musée national de Préhistoire.

Le musée national de la Préhistoire est un lieu vivant qui accueille des archéologues, des étudiants et des chercheurs du monde entier. © Philippe Roy / Détours en France

Au droit d’une falaise elle-même abri préhistorique, il permet de contextualiser cette longue période d’occupation à travers la présentation d’une infime partie des quelque 7 millions de pièces collectées depuis des décennies dans les sites de fouilles locaux.

Gisement de la Madeleine, un abri tout confort !

Site troglodytique unique, La Roque Saint-Christophe est une immense falaise calcaire de 80 mètres de haut sur un kilomètre de long, creusée de près de cent cavités naturelles occupées par les hommes dès la Préhistoire, et dotée de longues terrasses abritées.
Site troglodytique unique, La Roque Saint-Christophe est une immense falaise calcaire de 80 mètres de haut sur un kilomètre de long et creusée de près de cent cavités naturelles occupées par les hommes dès la Préhistoire. © Philippe Roy / Détours en France

Dans le foisonnement des sites de la vallée, le gisement préhistorique de la Madeleine, découvert en 1863, situe parfaitement les choses. Utilisé principalement entre -13 500 et -10 000 ans avant J.-C., l’abri naturel sous-roche offrait un quadruple avantage. Un, « il donne gratuitement le mur du fond et le plafond », illustre Christophe Vigerie. Deux, grâce à la rivière, la ressource en eau est abondante. Trois, il se situe à un point de rétrécissement de la vallée, « un piège parfait pour chasser les rennes au niveau des passages de gués, dans une boucle de la rivière. Surtout en automne, quand ils redescendaient la vallée en direction de l’océan Atlantique », précise l’historien. Quatre, en ces temps de fin de période glaciaire « caractérisée par des hivers longs et intenses et des étés chauds et très secs », l’orientation sud- sud-ouest de l’abri protège des excès climatiques. Il garantit, comme ailleurs dans la vallée, un microclimat propice à l’occupation humaine. « Ici, l’habitat était temporaire, il s’agissait de semi-nomades. Au plus fort de la concentration, on estime que l’abri a pu accueillir 60 à 80 personnes. Avec une espérance de vie de 55-60 ans, trois générations pouvaient se côtoyer sous l’abri », détaille Christophe Vigerie. À la Madeleine, le public ne visite pas l’abri paléolithique, réservé aux archéologues. Ayant livré silex, pointes de sagaies et de harpons en bois de rennes, os, aiguilles et pendeloques, il est situé en dessous du site de falaise où l’on chemine de nos jours. Celui-ci fut occupé au Moyen Âge et jusque dans les années 1910, où il abritait encore une famille. C’est bien l’indication qu’au-delà de la Préhistoire, la Vézère fut une vallée de cocagne, offrant sécurité contre les pillards et ressources naturelles, grâce aux plaines alluvionnaires utilisées pour l’élevage et l’agriculture. Les 147 gisements et 25 grottes ornées qui constituent le site préhistorique de la vallée de la Vézère, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, ont la particularité d’avoir été parfaitement conservés. Ils font le bonheur des paléoanthropologues qui ont accès à des lieux rares pour continuer à mener des recherches et affiner les connaissances sur la Préhistoire. Pour le grand public, on osera dire que rien ne ressemble plus à un abri-sous- roche ou à un site troglodytique qu’un autre du même type. Au fil de la vallée, on en découvrira d’autres, comme l’impressionnant ensemble troglodytique de La Roque Saint-Christophe.

Reconstitution de la « cuisine de l’an mil », dans un habitat médiéval troglodyte de la falaise de La Roque Saint-Christophe, témoin fascinant du mode de vie et de l’organisation à cette époque.
Reconstitution de la « cuisine de l’an mil », dans un habitat médiéval troglodyte de la falaise de La Roque Saint-Christophe, témoin fascinant du mode de vie et de l’organisation à cette époque. © Philippe Roy / Détours en France
Reconstitution de la « cage à écureuil », un engin de levage, efficace et puissant, utilisé par les bâtisseurs du Moyen Âge, sur une terrasse de la falaise de La Roque Saint-Christophe.
Reconstitution de la « cage à écureuil », un engin de levage, efficace et puissant, utilisé par les bâtisseurs du Moyen Âge, sur une terrasse de la falaise de La Roque Saint-Christophe. © Philippe Roy / Détours en France

À l’aplomb de la Vézère, l’un des plus longs abris aériens d’Europe, sur cinq niveaux, fut continuellement fréquenté depuis presque 55 000 ans. « Exposé plein nord, il était plutôt utilisé comme une halte de chasse » explique Vanessa, l’une des guides. À noter qu’au Moyen Âge, des habitations troglodytiques voient le jour, avant que ne s’installent des forts et des cités, pour notamment résister aux raids des Vikings et à la guerre de Cent Ans. Cet abri naturel servit également de refuge aux huguenots durant les guerres de Religion.

Les grottes ornées, face émergée de la Préhistoire

Du site utilitaire à la grotte ornée, il n’y a qu’un pas. C’est celui qui sépare la vie quotidienne des hommes de Cro-Magnon (du nom du squelette découvert dans la grotte éponyme, aux Eyzies- de-Tayac, daté de 28 000 ans environ) à une représentation artistique plus mystérieuse. En ce sens, la découverte de la grotte de Lascaux en 1940 fut une déflagration. Scènes de chasse et figures animales, véritables œuvres d’art colorées peintes sur les parois rocheuses, ont bouleversé la recherche et interrogent toujours sur leur fonction (lire focus sur Lascaux II ci-dessous).

Lascaux II est la réplique minutieuse de Lascaux I (1983)
Lascaux II est la réplique minutieuse de Lascaux I (1983) © Philippe Roy / Détours en France

Pour le visiteur, ces grottes sont la face émergée de la Préhistoire. À ceux qui veulent voir de véritables œuvres pariétales originales, il suffit d’aller à Font-de-Gaume ou à l’abri du Poisson. Ou à la grotte de Rouffignac. Située à quelques kilomètres à peine de la vallée, elle renferme près de 250 peintures, gravures et dessins, en rouge et noir. On n’en voit que 50 % mais quelle moitié ! Aucune autre grotte ornée en France n’abrite autant de représentations de mammouths. On y observe aussi, après un parcours initial en petit train, des figures de rhinocéros laineux, bisons, bouquetins, chevaux… datées d’environ -13 000 ans. Des hommes, des animaux, des (sur) vies… la Vézère nous reconnecte à nos origines et nous enjoint à l’humilité face aux défis colossaux, non dénués de poésie, que devaient affronter les premiers hommes.

Lascaux II, le fac-similé de la grotte originale

Si le site de Lascaux IV, ouvert en 2016, a un peu éclipsé l’ancien site de Lascaux II, c’est un peu dommage. En effet, ce dernier, réplique minutieuse de Lascaux I (1983) offre avec précision – et émotion – l’esprit de la grotte originelle. Surtout à l’occasion des visites « aux origines ». Soit 1 h 30 de parcours en petit comité sous le seul éclairage d’une lampe à graisse, tenue à bout de bras par le guide comme le faisaient jadis les artistes du paléolithique. Située à seulement 200 mètres de la vraie grotte, fermée au public en 1963 pour préserver ses peintures des algues et mousses qui les rongeaient, Lascaux II est un fac-similé authentique qui a nécessité onze ans de travail. Les peintures, réalisées par l’artiste Monique Peytral, révèlent comme jamais à la lueur vacillante de la lampe leur beauté stupéfiante. Chevaux, bisons, « Grand Taureau »... Comment et pourquoi des hommes ont-ils, il y a 20 000 ans, décidé de représenter sur les parois calcaires, dans des conditions difficiles le bestiaire de leur époque ? Une grande partie du mystère demeure...

Musée national de Préhistoire, entre recherche et médiation

« 150 à 200 chercheurs français et étrangers viennent chaque année pour étudier des collections, souvent dans le cadre de nouvelles fouilles », indique Nathalie Fourment, directrice du musée, aux Eyzies- de-Tayac. Silex, ossements d’animaux, art mobilier... l’incroyable stock accumulé depuis sa création en 1923 sert toujours à de nouvelles recherches. « L’étude des vestiges fauniques permet ainsi de nourrir le discours sur l’évolution, la chasse, la biodiversité, les relations hommes-animaux. » Chaque année, plusieurs fouilles archéologiques et spéléologiques sont menées dans la vallée de la Vézère, un secteur bien quadrillé mais qui n’a pas livré tous ses secrets. L’enjeu du musée est aussi la conservation des pièces et un dialogue renforcé avec le territoire. À l’occasion du centenaire, deux salles du château des Eyzies, lieu originel du musée, ont été rouvertes au public. Visites découvertes de la falaise ou thématiques, expositions, tentent de rapprocher le public de cette préhistoire fantasmée mais parfois rude à décrypter.

Sources

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