« Saint-Jean et Saint- Georges, c’est 2000 ans d’histoire. La Croix- Rousse, seulement 200 ans. » D’une phrase lapidaire, Odile Reynard, greeteuse et résidente de Saint-Georges, remet l’épopée de la ville en perspective.
Le « Vieux Lyon », c’est quoi ?

Ce que l’on appelle de nos jours le « Vieux Lyon », soit la succession du nord au sud en bord de Saône des trois quartiers Saint-Paul, Saint-Jean et Saint-Georges, est à l’évidence le berceau de la ville. C’est sur ses premières pentes, menant à la colline de Fourvière, que la chrétienté française est née, symbolisée par le cachot de l’Antiquaille dans lequel aurait été enfermé au IIe siècle saint Pothin, évêque de la première communauté chrétienne de Gaule. Là aussi que les Gallo-Romains vécurent, en retrait de la rivière, dont les berges étaient alors inondables.
Saint-Jean, entre place du Change et cathédrale

Au fil du temps, un axe majeur se forme, constitué des deux longues rues Saint-Jean et Saint-Georges. Les trois secteurs possèdent chacun leur identité.
À Lyon, on dit : à Saint-Jean la noblesse, à Saint-Paul la richesse. Le premier est le quartier des chanoines de la cathédrale, le second, celui des banquiers. Saint- Georges est connu pour être plus ouvrier, c’est le siège des premiers tisseurs. Laurence Benoît, guide à l’office de tourisme de Lyon.
Si Saint-Paul a subi d’importants aménagements urbains – une gare TER y dessert encore le secteur de l’Arbresle –, les deux autres ont conservé de nombreux témoignages du passé. À Saint-Jean, délimité au nord par la place du Change et au sud par la cathédrale, se juxtaposaient deux univers. En aval, « le Saint- Jean religieux, avec la cathédrale, le cloître, le palais de l’archevêché, les églises Sainte-Croix, Saint-Étienne et la manécanterie (ou manoir des chanteurs, ndlr). » En amont, « le quartier judiciaire et commerçant. Les religieux devaient y rendre la justice mais manquaient de place. Ils se sont fait prêter le palais de Roanne. C’est toujours là que la justice est rendue, dans le nouveau palais bâti à sa place en bord de Saône, au XIXe siècle. Il abrite de nos jours la cour d’Appel et la cour d’Assises », explique Laurence Benoît. La partie religieuse a subi des transformations. Le cloître a disparu. À gauche de la cathédrale, les vestiges archéologiques sont ceux des églises Sainte-Croix et Saint-Étienne, détruites après la Révolution. La manécanterie subsiste et abrite le trésor de la cathédrale.

Entre les pôles religieux et commerçant-judiciaire, on peut toujours admirer la Maison du Chamarier, à l’angle des rues Saint-Jean et de la Bombarde. « Elle abritait une petite communauté qui était chargée le soir de fermer le quartier religieux », dit la guide. L’accès s’effectuait par des portes fortifiées aujourd’hui disparues. Par-delà cette scission, Saint-Jean révèle surtout, à travers ses nobles immeubles, les fortunes accumulées par les marchands, négociants, banquiers… grâce notamment aux foires franches dont la ville était l’hôte, à partir du XVe siècle. On découvrira ce florilège d’hôtels Renaissance et de demeures commerçantes en sillonnant, au gré de l’inspiration, les rues Saint- Jean, Tramassac, du Bœuf, de Gadagne, des Trois-Maries, de la Fronde, Soufflot… et en se faufilant dans les célèbres traboules, passages secrets reliant les rues entre elles à travers des cours et des escaliers des XVe et XVIe siècles.

Des lieux vivants à découvrir

Saint-Jean est le cœur touristique du Vieux Lyon… que beaucoup d’habitants l’évitent ! Trop de commerces de bouche sans âme, trop d’Airbnb. Des Lyonnais y vivent encore, rue Juiverie, rue des Trois-Maries… Saint-Jean abrite une école primaire et une petite vie de quartier. La loge du Change, ancienne bourse des commerçants lyonnais, héberge une paroisse protestante et la maîtrise Saint-Marc (celle du film Les Choristes), une chorale où viennent chanter des gamins du quartier. Des gens de robe du palais de justice se retrouvent pour déjeuner dans des adresses locales, tel le bouchon Les Lyonnais, rue de la Bombarde. Et puis il y a quelques lieux vivants incontournables, le musée Gadagne, l’hôtel de luxe de La Cour des Loges, le concept Food Traboule, la mairie de quartier… Le quartier Saint-Georges est différent. Démarrant après la cathédrale Saint-Jean et s’effilant au sud jusqu’à l’entrée du tunnel de Fourvière, « c’est un quartier plus artisan et commerçant, plus populaire. Les touristes vont en général jusqu’à la place de la Trinité et s’arrêtent là », confirme Odile Reynard, la greeteuse du quartier. Cette place est célèbre pour abriter le théâtre « La Maison de Guignol ». Coïncidence, elle a aussi accueilli vers 1810 l’une des premières représentations de Guignol, personnage créé par Laurent Mourguet, dont le buste trône à côté, avenue du Doyenné. Depuis, le décor de la place de la Trinité est reproduit dans la plupart des théâtres dédiés à Guignol.
Incontournables : les « ficelles » de la rue Tramassac

Quel dommage de ne pas s’attarder au-de-là de cette agora ! Rue Tramassac, on verra s’envoler les « ficelles », les deux funiculaires cultes de Lyon grimpant à Fourvière et à Saint-Just. À l’angle de la rue Tramas- sac et de la rue de la Bombarde, on pénétrera dans l’antre de Ludovic De La Calle, à la soierie Saint-Georges, l’un des derniers artisans soyeux de la ville. Le tissage fut longtemps l’activité majeure du quartier, avant que l’arrivée du métier Jacquard, gourmand en espace, n’oblige les ateliers à déménager à la Croix-Rousse, au début du XIXe siècle.
Vie de quartier et mixité sociale

La montée du Gourguillon rappelle « qu’elle était au Moyen Âge la seule voie pour aller vers le Massif Central et Bordeaux », dit la greeteuse. À côté, l’impasse Turquet cache les dernières maisons à galeries de bois de la ville. Et quel plaisir de marcher sans la foule dans les rues « cachées » de Saint-Georges ! Depuis le passage Armand-Caillat, on délaissera la montée des Épies pour dévaler à gauche un escalier menant à l’agréable square Valancio. On traboulera au 12, rue Saint-Georges, pour se retrouver dans un charmant jardin intérieur suspendu. On observera la présence, rue du Doyenné, d’un atelier de couture, d’un plombier, d’une pâtisserie, d’un cabinet d’architecture, d’un atelier de céramique… « témoins de vie de quartier et de mixité sociale », selon Odile Reynard. On s’échappera plein sud dans la rue de la Quarantaine, à l’ambiance très résidentielle. Et on achèvera la balade place de la Commanderie, sur les quais de Saône. À côté se tient l’église Saint- Georges, un des épicentres du quartier. De rite latin, elle a été bâtie au milieu du XIXe siècle par Pierre Bossan, l’architecte qui a réalisé ensuite la basilique de Fourvière. Le dimanche, les familles catholiques traditionalistes du quartier d’Ainay traversent la passerelle sur la Saône pour se rendre à la messe. Sous les quais, on a retrouvé les traces d’un pont romain et des vestiges de barques, visibles au musée gallo-romain de Fourvière, preuve que ce bout de Lyon est bien l’un des berceaux de la ville