
Le son d’un bignou s’élève depuis la rive gauche de la Penfeld. Il est 8 heures. La levée des couleurs du bataillon des fusiliers marins démarre dans la base navale. La falaise en surplomb du fleuve côtier est un balcon qui embrasse les grands marqueurs du Brest d’hier et d’aujourd’hui. À notre droite, le téléphérique urbain, inauguré il y a quelques années, enjambe la Penfeld pour rallier les ateliers des Capucins à la toiture en dents de scie. Depuis sa reconversion en espace public en 2017, cet ancien site industriel de la Marine symbolise le renouveau de la ville. À notre gauche, le pont de Recouvrance et ses immenses pylônes en béton rappellent la Reconstruction d'après-guerre. En dessous, de nous, enfin, dans le port militaire, le bassin de radoub n° 1 surgit d’un passé plus lointain. À sec, il exhibe une forme de navire longue de 115 mètres sculptée dans des gradins en granit et en pierre de Logonna, ocre. « Il reste le site le plus ancien de la base, construit en 1683 dans une anse naturelle de la Penfeld, rappelle Hervé Bedri, chargé du patrimoine historique de la Marine pour l’Atlantique. En 1631, Richelieu, à l’origine de la marine royale française, choisit Brest pour établir un arsenal. La rade fermée par un goulet et un fleuve côtier motivent sa décision. »

La base navale face à de nouveaux défis
Le port militaire de Brest, dont Jean-Christophe Coëffé est le commandant, assure le soutien de la dissuasion nucléaire française et garantit les opérations de projection de navires dans l’Atlantique et le monde. La flotte compte quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins basés à île Longue, quatre frégates multimissions et trois patrouilleurs de haute mer. Des travaux sont engagés pour accueillir les systèmes de lutte anti-mines marines du futur reposant sur des drones et des bâtiments de surface.
Une ville dans la ville

Neuf portes donnent accès à la base navale, ouvertes au rythme de son développement, soit le long de la Penfeld jusqu’au XIXe siècle, puis à l’ouest de son embouchure lorsque la marine à vapeur s’est imposée. C’est par la plus ancienne et la plus proche, la porte Tourville, que nous pénétrons dans le site pour découvrir le bâtiment aux Lions. Rive droite, dans l’anse de Pontaniou dominée par le plateau des Capucins, Hervé Baudri s’arrête devant une immense levée en pierres ornée de gargouilles dorées à tête de félin. « C’est un bâtiment unique par ses fonctions. Il sert à la fois de clôture de l’arsenal, de pont entre deux plateaux et d’espace de stockage. Il date du premier Empire et a échappé miraculeusement aux bombardements pendant la guerre », insiste-t-il. Tout près, l’historien pousse la porte du bâtiment des forges. À l’intérieur trônent deux marteaux-pilons géants siglés Creusot. « Ces machines-outils hautes de 10 mètres servaient à fabriquer de grandes pièces de métal pour les ateliers des Capucins. Après la révolution industrielle, près de 5 000 personnes y œuvraient à la construction de navires en fer. »
Des remorqueurs et des pontons-grues sont amarrés sur les quais de la Penfeld mais l’activité est ailleurs, en aval du pont de Recouvrance, sur la zone de la Pointe. Sur un immense polder hérissé d’entrepôts et de grues, le ronronnement des machines emplit l’air. « Le port de Brest ne réalise plus de constructions neuves, mais il participe à celles des sous- marins en fabriquant des modules qui seront assemblés à Cherbourg. L’essentiel de l’activité industrielle repose désormais sur l’entretien des navires de surface ou des sous-marins », confie le capitaine de vaisseau Jean-Christophe Coëffé depuis son bureau situé dans le bâtiment des fours. Largement remanié, l’édifice compte encore, dans une belle salle voûtée, trois des onze fours qui servaient à fabriquer le biscuit de mer embarqué pour les campagnes à la fin du XVIIIe siècle. « Avec près de 15 000 personnes aujourd’hui, le port militaire s’apparente à une cité moyenne. C’est une ville dans la ville avec ses moyens portuaires et ses pompiers », poursuit le commandant de la base navale. Une ville délimitée à l’ouest par l’ancien site de sous-marins allemands qui ouvre 15 gueules en béton dans la rade-abri protégée par deux jetées. Là, pavoisé parmi les bâtiments gris amarrés, détonne un élégant trois-mâts indonésien en escale.
Une galerie des innovations
On retrouve des membres de l’équipage de ce navire-école de la marine indonésienne dans la ville. Notamment dans la rue de Siam, cette célèbre artère brestoise arpentée de tout temps par des marins du monde entier. Empruntée par le tram et égayée dans sa partie basse par des fontaines en granit noir de l’artiste hongroise Marta Pan, la rue reste le passage obligé des visiteurs. Dans le quartier, une nouvelle étape mérite le détour depuis janvier 2023. À l’angle des rues Louis-Pasteur et d’Aiguillon, la PAM est un tiers-lieu ouvert dans une ancienne imprimerie dont le patrimoine iconographique a été conservé.

Un dense programme d’événements culturels, d’actions liées à la transition écologique, d’activités bien- être anime cette adresse où l’on vient aussi se restaurer dans une salle lumineuse au décor éclectique. « Brest s’est métamorphosé ces dernières années, à l’image du téléphérique qui a recousu les deux parties de la ville », explique Antoine Horellou, jeune quadragénaire cofondateur de la PAM, revenu s’installer ici après une parenthèse à Paris.

Nous avons emprunté les cabines de ce téléphérique qui s’élève au-dessus de la Penfeld pour visiter les ateliers des Capucins. L’ancien haut lieu de l’industrie militaire accueille en ce début juin une exposition Banksy présentant 280 œuvres d’une collection privée. Dans les deux allées verrières, des enfants enchaînent les figures de skateboard sous les anciens ponts roulants. L’arbre d’hélice du porte-hélicoptères Jeanne-d’Arc, qui sortit autrefois des ateliers, fait aussi partie du décor. Tout comme le canot de l’Empereur, embarcation d’apparat dans laquelle Napoléon III traversa la rade de Brest. Une médiathèque, des boutiques, des restaurants, des espaces culturels animent les Capucins. Parmi ces derniers, 70.8 by Océanopolis décrypte les ressources offertes par la mer dans le domaine des biotechnologies ou des énergies renouvelables.
Berceau des explorations

Avec ses institutions de recherche, Brest fut à l’avant-poste de l’innovation maritime et le port de départ d’expéditions scientifiques au XVIIIe siècle. « L’Académie de Marine a été créée à Brest en 1752, avant d’être dissoute à la Révolution et reconstituée en 1921 à Paris, rappelle Jean-Yves Besselièvre, conservateur du musée national de la Marine. La ville a joué un rôle fondamental dans l’histoire de la Marine en déployant une logique de recherche et développement dans cinq domaines : construction, navigation, combat, conditions de vie et savoir. » La collection présentée dans le château dominant l’entrée de la Penfeld donne un aperçu d’une ville pionnière dans l’exploration maritime. C’est ici qu’a été préparée l’expédition Lapérouse et c’est depuis ces quais qu’appareillèrent en 1785 L’Astrolabe et La Boussole.

Depuis juillet 2022, une nouvelle salle consacrée à ce voyage expose des pièces retrouvées dans les épaves à Vanikoro, dans les îles Salomon, où l’expédition fit naufrage. Le plus émouvant ? L’écusson arrière d’une des frégates où l’on reconnaît, dans le bois sculpté, une fleur de lys. L’Académie de Marine a laissé son nom à une esplanade verdoyante, suspendue au-dessus du port du Château. La marina et les quais jusqu’au port de commerce sont devenus un quartier en vogue, avec des restaurants, des bars, une salle de concert côtoyant des bateaux de patrimoine. Florence Arthaud, Franck Cammas, Loïck Peyron... Sur le quai Éric-Tabarly, des plaques en bronze célèbrent les records de grands navigateurs en portant leurs empreintes. Port de départ de courses au large, comme le Trophée Jules Verne ou le Tour du monde en solitaire, Brest voit toujours les explorateurs mettre les voiles.
