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Proche de Paris, cette cité corsaire gagne à être connue

Situé en plein cœur du centre de Dieppe, le port de plaisance dispose de 410 places à flot sur pontons dans le bassin d’Ango. Situé en plein cœur du centre de Dieppe, le port de plaisance dispose de 410 places à flot sur pontons dans le bassin d’Ango. - © Francis Cormon / Détours en France

Publié le par Stéphane Maurice

Avec l’armateur Jean Ango et ses grands navigateurs, Dieppe – labellisée ville d’art et d’histoire – fut le premier port du royaume sous François Ier. Aujourd’hui, la cité corsaire se distingue plus modestement comme la plage la plus proche de Paris. Ce qui vaut aussi pour son port convoité par les plaisanciers. Une destination idéale pour un week-end entre mer et patrimoine.

Visiter Dieppe

Le port de plaisance à Dieppe sur la Côte d'Albâtre.
© Francis Cormon / Détours en France

Située à l’embouchure de l’Arques, dans une faille de la grande falaise d’Albâtre, Dieppe est surnommée la « ville aux quatre ports ». Ferries, coquillards, vraquiers et plaisanciers se partagent sans heurt le plan d’eau et les installations portuaires, dotées récemment d’un étonnant port à sec dans une ancienne forme de radoub. Avec cette animation perpétuelle, Dieppe n’a pas le charme falot des petites sous-préfectures endormies, surtout quand le ton monte. Situé en plein cœur du centre historique, le port de plaisance dispose de 410 places à flot sur pontons dans le bassin d’Ango. Depuis 2019, il détient le label « Qualité Plaisance 5 étoiles ». C’est le cas quand se mobilisent les opposants au futur parc offshore qui dressera 62 éoliennes au large de Dieppe et du Tréport. Situées à 16 kilomètres du rivage, vous devrez compter sur un ciel dégagé pour les immortaliser sur votre smartphone ! Le parc éolien, qui entrera en exploitation en 2024, devrait fournir de l’électricité à 850 000 personnes.

 

Un riche passé

 Le pont Colbert dans le quartier du Pollet à Dieppe sur la Côte d'Albâtre.
© Francis Cormon / Détours en France

Dieppe a connu un autre accès de fièvre entre 2011 et 2016. Cette fois, il ne s’agissait pas de préserver la virginité de l’horizon, mais de sauver l’antique pont Colbert. Depuis la fin du XIXe siècle, cette vieille carcasse métallique enjambe le chenal qui mène aux nouveaux bassins de commerce. Pour moderniser les installations, notamment la machinerie hydraulique, le syndicat mixte du port a eu la malheureuse idée de vouloir remplacer cette dentelle de fer par un pont flambant neuf. Les Dieppois on fait bloc autour de Pascal Stéfani, président du Comité de sauvegarde du pont Colbert. Ils ont rallié les artistes locaux à leur cause et même la mairie. De l’autre côté du pont, au comptoir du bistrot C’est mieux ici qu’en face, on parle encore de cette mobilisation pour sauver l’emblème du quartier du Pollet, cœur populaire de Dieppe, enfin classé monument historique.

 

Un caractère bien trempé

Le quartier du Collet à Dieppe sur la Côte d'Albâtre.
© Francis Cormon / Détours en France

Si Dieppe possède un caractère bien trempé en même temps qu’une personnalité attachante, c’est sans doute parce qu’elle est fondée sur une dualité. D’un côté, une population travailleuse et sa mairie communiste quasiment indéboulonnable. De l’autre, une bourgeoisie commerçante qui a prospéré grâce aux activités du port. Dieppe a même flirté avec la fine fleur de l’aristocratie. À partir de 1824, la duchesse de Berry est venue profiter chaque été des vertus thérapeutiques de la baignade, entraînant dans son sillage toute une vie mondaine. Après quelques saisons, la mode des bains de mer était lancée en France. Et cinquante ans plus tard, le littoral normand était couvert d’un chapelet de stations balnéaires. Fenêtre sur la Manche, Dieppe est à l’époque le point de passage obligé entre Londres et Paris. Le train arrive dès 1848 et, en 1874, la ligne se prolonge jusqu’au terminal des steamers sur le quai Henri-IV.

 

La ville aux 4 ports

L'église Saint-Jacques a vu sa construction démarrer en 1283 pour s’achever quatre siècles plus tard, vers la fin du xvie siècle
© Francis Cormon / Détours en France

Avec à peine 30 000 habitants, Dieppe joue aujourd’hui un rôle modeste sur l’échiquier normand. Cela n’a pas toujours été le cas. « La ville, déjà importante au Moyen Âge, a connu son pic civilisationnel à la Renaissance », rappelle Pierre Ickowicz, conservateur au musée de Dieppe, en évoquant les aventuriers et les grands marins. En 1523, missionné par l’armateur Jean Ango, Verrazano appareille de Dieppe pour explorer la côte américaine avec l’espoir de trouver une route vers le pacifique et l’Asie. L’année suivante, il atteint l’embouchure de l’Hudson et découvre la baie de New York. En réalité, la réputation de Dieppe est déjà faite depuis le XIIIe siècle. À cette époque, le monde arabe contrôle une grande part de l’économie occidentale avec les marchandises en provenance d’Afrique et d’Orient. Or, sur les cartes arabes, n’apparaissent que deux ports en Normandie : Dieppe et Rouen ! Au XVIIe siècle, Dieppe prend part à la colonisation de la Nouvelle-France. Ses convois de colons rejoignent ceux partis de La Rochelle dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ensemble, ils remontent le fleuve aussi loin que possible. Dieppe est au cœur d’une stratégie coloniale organisée qui profite à son développement. « Le travail de l’ivoire, la montée du protestantisme, les grands officiers de marine comme Duquesne, les artisans et les intellectuels, les hydrographes... Toute cette dynamique fait de Dieppe une place forte de l’économie normande à une époque où Le Havre vient seulement d’être créé (1517). La puissance maritime, l’expérience, la tradition de voyage sont à Dieppe et à Rouen. Et le port de pleine mer, c’est Dieppe. »

 

Le quartier des pêcheurs

L’esplanade du château de Dieppe, ou l’occasion de profiter d’un panorama unique sur la ville, le front de mer et les falaises.
© Francis Cormon / Détours en France

Louis XIV voit en Dieppe un port hautement stratégique. C’est ce qui va causer sa perte. Frapper Dieppe, c’est frapper le royaume. En 1694, les navires de la Ligue d’Augsbourg lancent des bombes incendiaires sur la cité portuaire. Construite en pans de bois, elle s’embrase à 80 %. Seule l’île du Pollet en réchappe. Ne subsistent alors que les grands monuments en pierre. Les églises Saint-Denis et Saint-Jacques, les remparts médiévaux qui disparaîtront au XIXe siècle, et le château qui symbolise la fin du Moyen Âge. Aujourd’hui, il ne reste que de très rares maisons à colombages, dont la maison Miffant. La cité portuaire est rayée de la carte mais, pour le Roi-Soleil, elle reste une place vitale. Vauban désigne l’architecte Ventabren pour sa reconstruction. Plusieurs projets sont proposés, dont un plan orthogonal qui reçoit l’opposition de la municipalité. Les habitants veulent conserver les alignements de façades et l’usage des caves qui ont été préservées. Finalement, la trame ancienne est reprise à quelques alignements près. « Sur le plan de l’écriture urbanistique et architecturale, la patte Ventabren se reconnaît immédiatement, avec l’usage de briques blondes et chatoyantes », souligne Bertrand Edimo, guide-conférencier. Cette brique fabriquée avec la vase sableuse de l’estuaire est un marqueur de la reconstruction, qui s’est étalée sur une trentaine d’années. Une brique tendre et friable, mais moins chère que la brique rouge orangé de Varengeville. L’autre marqueur de l’architecture dieppoise, c’est cette ligne d’arcades sur le port pour abriter l’activité économique, et ces façades bien écrites. Ventabren imagine des arcades aveugles avec des demi-paliers conçus comme des entresols de stockage. Un principe de construction encore désapprouvé par les habitants ! Si les façades ont été conservées, l’organisation intérieure a été chamboulée pour rehausser les plafonds. Avec ses grosses lanternes, la rue du Bœuf par exemple témoigne de cette écriture harmonieuse, indique Pierre Ickowicz. « La hauteur des immeubles est proportionnée à la largeur de la rue pour former un carré parfait, les arcades se répondent bien. Ici, on comprend le principe de ce que serait la ville si on n’avait pas rompu sa régularité en ajoutant des colombages et des façades 1900. »

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