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Petites histoires privées des grands châteaux de la Loire

Niché au cœur d’un parc de 8 ha, le château d’Azay-le- Rideau est Niché au cœur d’un parc de 8 ha, le château d’Azay-le-Rideau est un joyau de la Renaissance française. - © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Publié le par Tuul Morandi

Si les édifices des bords de Loire évoquent d’emblée les souverains, la plupart étaient en réalité la demeure de grands financiers ou de conseillers royaux. Voici l’histoire de quatre de ces châteaux au destin unique.

Azay-le-Rideau , icône du nouvel art de bâtir

Sa particularité ? La présence de deux gigan- tesques miroirs d’eau.
La particularité du château d'Azay-le-Rideau ? La présence de deux gigantesques miroirs d’eau. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

« Un diamant taillé à facettes serti par l’Indre. » C’est ainsi qu’Honoré de Balzac décrit, dans Le Lys dans la vallée (1836), l’un des plus beaux châteaux de la Loire. Posé sur une île dessinée par l’Indre, Azay-le-Rideau ne ressemble à nul autre. Sa forme en L, ses toits en ardoise, ses hautes lucarnes et ses tours ornées confèrent une élégance incomparable à ce chef-d’œuvre de la première Renaissance française, qui se voulait à l’époque une demeure moderne. 

Fondé par Gilles Berthelot, trésorier des Finances de François Ier, l’édifice mêle savamment le style gothique avec des innovations architecturales venues d’Italie. Sa façade d’apparat est considérée comme une référence de l’architecture Renaissance en France tout comme son escalier d’honneur, dit « à rampe », avec des paliers reliés par des volées de marches, rompant avec le traditionnel escalier à vis et annonçant une nouvelle mode qui se répand par la suite dans le Val de Loire. Pourtant, Gilles Berthelot ne verra jamais son œuvre. Disgracié, il s’enfuit laissant son épouse Philippe Lesbahy terminer le chantier. Par la suite, la propriété confisquée par François Ier sera offerte à Antoine Raffin, l’un de ses fidèles compagnons d’armes.

C’est avec le marquis Charles de Biencourt, propriétaire au XIXe siècle, investi avec passion dans la restauration de son château, qu’Azay-le-Rideau prend la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Depuis 2017, le salon Biencourt est restitué dans son décor d’époque, une occasion d’admirer le cadre de vie luxueux des derniers occupants de la demeure. Enfin, c’est l’État, propriétaire depuis 1905, qui a finalement doté le château de son plus bel atout en créant ses fameux miroirs d’eau en 1950. La large terrasse qui longeait la façade sud est supprimée, permettant à l’eau de border directement les fondations de l’édifice. Le bras de la rivière ayant été élargi, l’image du château se reflète de façon parfaite dans ses flots paisibles.

e salon Biencourt au style néo- Renaissance du xixe siècle.
Le salon Biencourt au style néo-Renaissance du XIXe siècle. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Villandry, une belle histoire de famille

Vue sur le château de Villandry depuis les jardins.
Vue sur le château de Villandry depuis les jardins. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

C’est le petit cadet, un des derniers châteaux à avoir été édifiés au bord de la Loire. Jean Breton, un autre ministre de François Ier, construit Villandry en 1543 sur la structure médiévale d’une ancienne forteresse. Pour avoir supervisé les travaux de construction de Chambord et régulièrement voyagé en Italie, il possédait d’excellentes notions architecturales qui lui permirent de bâtir un tel édifice à l’avant-garde. Quatre cents ans plus tard, c’est avec Joachim Carvallo que Villandry acquiert sa notoriété en se parant notamment de son magnifique jardin d’autrefois. Rien ne prédestinait ce médecin d’origine espagnole à devenir châtelain, encore moins bâtisseur ou jardinier. 

Illustres jardins

Visite des jardins de Villandry, en compagnie du chef jardinier Anthony Coué
Visite des jardins de Villandry. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

À l’aube du XXe siècle, le château est menacé de démolition. Tombé en ruine, il disparaissait, progressivement dévoré par une forêt d’arbres et la verdure... Joachim Carvallo et son épouse, Ann Coleman, tous deux passionnés d’art et à la recherche d’un lieu de conservation pour leur immense collection de peintures, tombent sous son charme en 1906. Dès lors, les nouveaux propriétaires se vouent corps et âme à la restauration des lieux. L’œuvre d’une vie pour Joachim Carvallo qui délaisse complètement sa carrière scientifique. Épaulé par plus de cent maçons et soutenu par la fortune de son épouse, riche héritière d’un magnat de la sidérurgie américaine, il finit par redonner en l’espace de quelques années toute sa majesté au château qu’il ouvre au public dès 1920. Le jardin d’origine avait aussi disparu, remplacé par un parc romantique qui n’était pas au goût de Carvallo. Il s’attelle alors, avec la minutie d’un scientifique, à le réhabiliter à la hauteur de l’élégante bâtisse Renaissance, notamment à l’aide de documents du XVIe siècle. Désormais, l’exceptionnel jardin de Villandry fait la renommée du domaine, certains visiteurs venant de très loin pour admirer ce chef-d’œuvre végétal. Ceux qui franchissent le seuil du château seront surpris par l’atmosphère hospitalière des appartements, baignés de lumière, et par la collection de tableaux qui ornent les murs, rappelant ainsi l’histoire de l’édifice ressuscité pour d’abord servir d’écrin à l’art. Henri Carvallo, l’arrière-petit- fils du docteur qui a sauvé le château en ruine, a repris le flambeau de son aïeul. Aujourd’hui, Villandry fait partie du réseau des « Audacieux du Patrimoine » ainsi que de la « Demeure Historique », l’association des monuments et jardins privés.

Montsoreau, le château à fleur d’eau

Le château classé de Montsoreau, mêlant style gothique et Renaissance, héberge un musée d’art contemporain depuis 2016.
Le château classé de Montsoreau, mêlant style gothique et Renaissance, héberge un musée d’art contemporain depuis 2016. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Rendu célèbre par La Dame de Monsoreau, roman d’Alexandre Dumas, le château dresse sa silhouette en surplomb de la Loire telle une perle jaillie des eaux. Depuis sa terrasse qui s’élève à 35 mètres de hauteur, une vue à 360° embrasse le paysage ligérien avec, à l’arrière, le pittoresque hameau à flanc de coteau et, face au château, la Loire, ruban argenté ondulant vers l’infini. « Si vous regardez bien, on voit le tracé des eaux de la Loire autour du château, car auparavant, le fleuve l’entourait entièrement », remarque Marie- Caroline Chaudruc, directrice du musée d’Art contemporain installé dans le château. 

C’est au retour d’un séjour à Venise, que Jean II de Chambes, conseiller privé du roi Charles VII, aurait eu l’idée folle de construire un château les pieds dans l’eau. « L’expérience est inédite et ne sera jamais reproduite par la suite. Montsoreau est le seul château de la Loire à être vraiment construit dans le lit du fleuve », explique Marie-Caroline Chaudruc. La construction commence dès 1450, soit soixante ans avant celle de Chambord. Ce sera le premier château Renaissance du Val de Loire, avec des éléments inspirés des palais italiens à l’image de ses immenses fenêtres à meneaux qui surplombent la Loire. « Elles laissent passer un maximum de lumière dans la grande salle d’apparat. Vous devez sentir ici la fameuse “douceur angevine” célébrée par du Bellay et cette luminosité éclatante propre à la Loire. Une telle préoccupation esthétique était plutôt rare à l’époque », explique la directrice du musée. Par son architecture avant-gardiste, Montsoreau attira l’attention des têtes couronnées de François Ier à Henri IV, et, par son esthétisme, il inspira les artistes du courant romantique, dont Alexandre Dumas mais aussi William Turner et Auguste Rodin. 

Avant-gardiste, le château de Montsoreau l’est encore aujourd’hui. Devenu un centre d’art contemporain en 2016, il abrite les œuvres du collectif Art and Language, mouvement conceptuel pionnier né dans les années 1960.

Dans le musée d'art contemporain du château, où l’on peut admirer la plus importante collection mondiale d’œuvres du mouvement Art and Language, inventeur de l’art conceptuel.
Dans le musée d'art contemporain du château, on peut admirer la plus importante collection mondiale d’œuvres du mouvement Art and Language, inventeur de l’art conceptuel. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Château de Serrant, un témoin du passé

Classée aux monuments historiques, la bibliothèque du château de Serrant abrite plus de 12 000 livres, dont les 28 volumes de l'édition originale de la "Grande Encyclopédie " de Alembert et Diderot.
Classée aux monuments historiques, la bibliothèque du château de Serrant abrite plus de 12 000 livres, dont les 28 volumes de l'édition originale de la "Grande Encyclopédie " de Alembert et Diderot.  © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Aux portes d’Angers, à Saint-Georges-sur-Loire, le château de Serrant est le dernier des châteaux de la Loire en descendant le fleuve. C’est au retour des guerres d’Italie, en 1539, que Péan de Brie, seigneur de Serrant, décide de reconstruire son château dans l’esprit de la Renaissance. Depuis, l’élégant édifice a toujours été une demeure privée. Conseillers d’État, ducs, armateurs s’y sont succédé et y ont laissé leurs souvenirs. La propriétaire actuelle, la princesse Hedwige de Merode, tient à nous faire visiter sa bibliothèque, le joyau du lieu. « J’y vais rarement, car le meilleur moyen de préserver les livres, c’est de ne pas les lire, n’est-ce pas ? Je lis des livres de poche comme tout le monde », lance-t-elle non sans humour. Après une carrière aux Nations unies, la princesse a dédié son temps à l’entretien du château familial et de sa précieuse bibliothèque, héritage de son aïeul, le duc Louis-Charles de La Trémoille, président des Bibliophiles de France, qui avait constitué l’une des plus grandes collections privées du pays. Après un double tour de clé, la lourde porte en bois s’ouvre sur une gigantesque salle lambrissée qui accueille des reliures d’or et de cuir usé par le temps. « Douze mille volumes du sol au plafond, annonce la princesse. Les plus anciens remontent au XVe siècle. » Une profusion impressionnante d’ouvrages rares habille les étagères en bois de chêne, dont les premières éditions des Fables de La Fontaine, illustrées par Jean-Baptiste Oudry. « Des éditions réalisées pour Mme de Pompadour en 1755. Oudry était son professeur de peinture, explique la princesse, dont les mains gantées ouvrent délicatement les ouvrages un par un. Les Fables sont ceux que j’affectionne le plus, même si la bibliothèque contient d’autres ouvrages rares comme l’Encyclopédie de Diderot, les gravures de Piranèse ou encore la Description de l’Égypte », énumère-t-elle. Le défi ici est d’ouvrir la bibliothèque à la visite tout en la protégeant.

Protégés de l’humidité et de la lumière, certains ouvrages datent du xve siècle.
Protégés de l’humidité et de la lumière, certains ouvrages datent du XVe siècle. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Des pièces pleines de vie

Sa bibliothèque, sa collection de mobiliers anciens et d’œuvres d’art rassemblés en quatre siècles font la notoriété du château de Serrant, mais ce sont les appartements conservés dans leur jus qui lui donnent tout son charme. « Venez voir la chambre de la duchesse où nous avons vécu jusqu’en 2005, c’est ma pièce préférée », invite Hedwige de Merode. Et l’on découvre une chambre lumineuse, style Belle Époque, avec un cabinet attenant qui servait de salon d’habillage. 

Le mobilier d'époque a été conservé avec soin par la propriétaire actuelle du château de Serrant, la princesse Edwige de Merode. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

« J’ai tout gardé sans trier », dit la propriétaire en empoignant le sac à main de sa mère qu’elle se met à fouiller. Surprise ! En ressort un vieux ticket de métro parisien oublié. « Plus on ouvre les tiroirs, plus on découvre des choses... Il y a deux ans, j’ai trouvé ce bel éventail », ajoute la princesse en montrant l’accessoire, exposé depuis sur une étagère. Des objets intimes posés pêle-mêle, des fleurs fraîches dans un vase, un parfum de rose... on a l’impression que l’ancienne occupante vient à peine de quitter sa chambre. « En gardant tout en l’état, j’offre aux visiteurs la possibilité de palper la vie qui se déroulait ici. Ce n’est pas un musée, mais un lieu de vie. C’est assez rare d’expérimenter cela dans un château de la Loire, c’est notre marque de fabrique. » Le même souci de préservation anime les pièces du sous-sol. « Elles sont telles qu’elles ont été aménagées en 1890 ! On se croirait dans Downton Abbey, n’est-ce pas ? » On imagine en effet des domestiques s’affairant dans l’immense cuisine, la blanchisserie ou le réfectoire au milieu duquel trône une grande table... le tout donne un aperçu étonnant de la vie du personnel de l’époque.

Sources

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