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Remonter le temps sur le chemin des châteaux forts

l’abbaye de Hohenbourg, nichée à 763 m d’altitude sur la commune d’Ottrott, dans le Bas- Rhin. L’abbaye de Hohenbourg, nichée à 763 m d’altitude sur la commune d’Ottrott, dans le Bas-Rhin. - © Bertrand Rieger / Détours en France

Publié le par Florence Donnarel

Un sanctuaire, un mur païen, trois châteaux... Du mont Sainte-Odile à Andlau, nous avons marché à travers la forêt où se cachent de grands témoins de l’histoire médiévale. Des passionnés d’Histoire veillent à la conservation des forteresses du Landsberg, du Spesbourg et d’Andlau dont la beauté s’enracine dans la nature.

Maintes fois pillée et saccagée au cours de son histoire, l'abbaye de Hohenbourg continue de dominer depuis son plateau rocheux perdu au milieu d’une vaste forêt les vallées de Barr et de Boersch ainsi que le piémont des Vosges.
Maintes fois pillée et saccagée au cours de son histoire, l'abbaye de Hohenbourg continue de dominer depuis son plateau rocheux perdu au milieu d’une vaste forêt. © Bertrand Rieger / Détours en France

Une brume diaphane enveloppe les grands arbres du mont Sainte-Odile. À une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Strasbourg, ce sommet des Vosges qui s’élève à près de 800 mètres est un haut lieu spirituel. On y révère sainte Odile, fille du duc d’Alsace Adalric et fondatrice en cet endroit de l’abbaye de Hohenbourg autour de l’an 700. Derrière le porche du sanctuaire, on distingue d’abord les bâtiments du XVIIIe et du début du XXe siècle bordant une partie de la cour garnie de tilleuls avant d’être aimanté par la vue panoramique sur la plaine. Le tombeau de l’abbesse est abrité dans une minuscule chapelle. Dans cet antre en pierre, plafond bas avec un linteau remontant à la fin du Xe siècle, les pèlerins viennent se recueillir devant les reliques de la sainte, reconnue patronne de l’Alsace en 1946. « On la prie aujourd’huipour avoir des enfants », souligne le recteur Christophe Schwalbach,qui dirige le mont Sainte-Odile avec un prêtre et deux religieuses. C’est depuis ce lieu sacré que démarre notre randonnée sur le chemin des châteaux forts d’Alsace, en direction d’Andlau, 15 kilomètres au sud.

La cité viticole d’Andlau est une étape incontournable sur les chemins d’Alsace. Ses ruelles pittoresques, ses châteaux, sa chapelle Saint-André du xiiie siècle valent largement le détour sur cette fin de boucle.
La cité viticole d’Andlau est une étape incontournable sur les chemins d’Alsace. Ses ruelles pittoresques, ses châteaux, sa chapelle Saint-André du XIIIe siècle valent largement le détour sur cette fin de boucle. © Bertrand Rieger / Détours en France
Le chemin des châteaux forts d’Alsace voisine un sentier de randonnée non moins célèbre, la route des Vins d’Alsace.
Le chemin des châteaux forts d’Alsace voisine un sentier de randonnée non moins célèbre, la route des Vins d’Alsace. © Bertrand Rieger / Détours en France

Dans la forêt embrumée où se détachent les silhouettes sculpturales de grands rochers moussus, nous avons rendez- vous avec la grande curiosité du mont Sainte-Odile : le mur païen.

randonnée le long du Mur Païen, rocher de grès intégré au vestige d'un mur d'enceinte probablement de l'époque mérovingienne d'une longueur totale de onze kilomètres
Randonnée le long du Mur Païen. © Mont Saint-Odile, randonnée le long du Mur Païen, rocher de grès intégré au vestige d'un mur d'enceinte probablement de l'époque mérovingienne d'une longueur totale de onze kilomètres

Les grands blocs de pierre qui jonchent le chemin dessinent bientôt une enceinte surgie du fond des siècles. « Elle couronne le plateau sur une dizaine de kilomètres et reste un grand mystère quant à son usage et sa date de construction », explique Jean-Paul Dossmann, président du Club vosgien de Barr qui nous accompagne. Les spécialistes ont toutefois écarté une origine romaine ou celtique et l’hypothèse d’une construction à l’initiative du duc Adalric à la fin du viie siècle, avec une fonction ostentatoire, est privilégiée. « Avez- vous remarqué l’encoche en forme de croix? interroge notre guide en pointant une cavité à la surface de l’appareil cyclopéen. C’est là où les tenons de bois étaient fixés pour relier les blocs de grès entre eux. » Plus loin, voilà une carrière : un affleurement strié de longues entailles pour prélever les morceaux de pierre. Le rocher du Panoramaavec sa vue sur la plaine nous extrait bientôt de la forêt et de nos rêveries sur le mur païen. Le sentier sur la crête se poursuit jusqu’au Maennelstein, à 817 mètres, autre point de vue avec une table d’orientation pour réviser sa géographie. Nous sommes désormais sur le mont la Bloss où s’est produit en 1992 un tristement célèbre crash aérien. Un peu plus loin, en dehors de notre itinéraire, une stèle dans une clairière commémore l’accident.

Mont-Sainte-Odile, haut-lieu historique d'Alsace

Le mont Sainte-Odile, haut lieu de légende et magnétisme.
Les sous-bois du mont Sainte-Odile, haut lieu de légende et magnétisme. © Bertrand Rieger / Détours en France

Ce belvédère aurait été occupé depuis le néolithique récent avec une présence marquée au moment de la conquête romaine puis de l’époque mérovingienne. Le mur païen est probablement l’héritage le plus mystérieux de cette longue histoire. Cette enceinte qui couronne le plateau sur une dizaine de kilomètres n’a pas livré tous ses secrets, mais elle pourrait « seulement » remonter au haut Moyen Âge, période des ducs d’Alsace. Selon la tradition, le duc Adalric (aussi nommé Etichon ou Attic) aurait donné le château de Hohenbourg, au sommet du mont, à sa fille née aveugle qu’il a d’abord songé à faire tuer. Odile transforme le château en couvent et abbaye autour de l’an 700. Pour les pèlerins qui ne peuvent accéder au sommet, elle crée plus bas, à Saint- Nabor, l’abbaye de Niedermunster, dont il ne reste que des ruines. À la fin du XIXe siècle, le mont devient pour certains un étendard politique où l’on invoque le ralliement de l’Alsace à la France. Dans ce lieu chargé de spiritualité a lieu l’adoration perpétuelle : devant le saint sacrement exposé dans la basilique, des personnes venues de toute l’Alsace prient sans interruption, 24 heures sur 24.

Ci-dessus : la chapelle Sainte-Odile, inscrite au titre de monument historique depuis 1840, abrite le tombeau de la sainte.
La chapelle Sainte-Odile ; inscrite au titre de monument historique depuis 1840, abrite le tombeau de la sainte. © Bertrand Rieger / Détours en France

Donjon massif et oriel élégant

Nous amorçons franchement notre descente sur un chemin à flanc de pente, à travers la forêt où les pins sylvestres prennent le pas sur les vieux chênes. Le kiosque Jadelot, au bel habillage en écorces, nous offre notre première vue sur le donjon du Spesbourg mais c’est une autre forteresse que nous découvrons2 kilomètres plus loin : le Landsberg.

Sur les hauteurs de la petite commune de Heiligenstein se dresse fièrement le haut château de Landsberg, érigé à partir de la fin du xiie siècle.
Sur les hauteurs de la petite commune de Heiligenstein se dresse fièrement le haut château de Landsberg, érigé à partir de la fin du XIIe siècle. © Bertrand Rieger / Détours en France

La clairière qui débouche au pied du château ménage de grands effets: l’arrivée sur une façade en grès rose ornée de fenêtres romanes géminées et d’un oriel avec des ouvertures en croix. Le houppier d’un grand pin derrière le porche donne le sentiment de contempler un tableau romantique. « L’oriel constitue le bijou de ce château bâti vers 1200 pour les Hohenstaufen, ducs d’Alsace et de Souabe, avoués de l’abbaye du mont Sainte-Odile », s’enthousiasme Bernard Grebille, secrétaire de l’association Les Amis du Landberg. Agrandi au XIIIe siècle, remanié au XVe, le château dont le nouvel ennemi est la végétation se démarque par la délicatesse de son architecture romane. Nous poursuivons notre descente à travers la forêt, dans un secteur exploité comme le rappellent les pistes marquées par le passage d’engins et l’amoncellement de grumes. Nous arrivons ainsi dansla (modeste) vallée de la Kirneck, rivière que nous traversons pour remonter plus au sud vers le château du Spesbourg, près de 5 kilomètresplus loin. La forteresse de granitfrappe par la grandeur de son donjon carré (près de 25 mètres) et l’aspectde son mur bouclier, composé de moellons taillés en pointe. À l’intérieur du logis, des détails de son luxe passé émeuvent, comme les empreintes des maçonneries des cheminées ou les ouvertures gothiques à encadrement en grès. La vue sur les toits d’Andlau en contrebas nous ramène à l’histoire du château, bâti au milieu du XIIIe siècle par Alexandre de Dicka, avoué de l’abbaye d’Andlau institué par son frère, l’évêque de Strasbourg. Un siècle plus tard, le château du Spesbourg passera aux mains des chevaliers serfs de l’abbaye, les Andlau. Leur château, à moins de 2 kilomètres à l’est, a émerveillé des générations d’Alsaciens avec ses deux grandes tours jumelles surgies des frondaisons. « C’est le seul de la région à posséder deux tours », nous glisse Guillaume d’Andlau, son propriétaire. Il nous accueille au pied des échafaudages adossés au grand socle de granit sur lequel l’édifice semble être enraciné. Des travaux de renforcement du rocher sont en cours. « C’est le dernier château de montagne à avoir été habité jusqu’à la Révolution française.

Le château d’Andlau, situé sur le Silberberg, ou « mont d’argent », est une construction datant du xiiie siècle. Ce géant de granit, dont la fragilité nécessite d’importants travaux de consolidation et de sauvegarde, présente une silhouette singulière avec ses deux hautes tours encadrant le logis seigneurial.
Le château d’Andlau, situé sur le Silberberg, ou « mont d’argent », est une construction datant du xiiie siècle. Ce géant de granit, dont la fragilité nécessite d’importants travaux de consolidation et de sauvegarde, présente une silhouette singulière avec ses deux hautes tours encadrant le logis seigneurial. © Bertrand Rieger / Détours en France

En Alsace, seuls les châteaux en altitude ont conservé leur architecture défensive. Ceux situés en plaine ont disparu, car ils ont été transformés pour être habités », explique celui qui a fondé en 2013 l’association Châteaux forts d’Alsace pour révéler au public un patrimoine méconnu et en péril. Dans les années 1990, un mur du château d’Andlau s’est effondré. « Un déclic pour moi. Cela m’a poussé à entreprendre des travaux de consolidation pour que les visiteurs puissent pénétrer dans le logis seigneurial sans aucun danger », explique-t-il. Il est ainsi possible de lire sur les murs l’existence de trois niveaux d’habitations et d’admirer de belles ouvertures ogivales à coussièges. Chantiers d’insertion, expositions de land art... Guillaume d’Andlau se consacre désormais à la recherche de projets pour animer les lieux. Sur les quatre derniers kilomètres qui traversent une forêt de chênes et de hêtres jusqu’à Andlau, on songe aux châteaux d’Alsace qui méritent bien une seconde vie.

Guillaume d’Andlau, propriétaire du château. Confisqué en 1796, celui-ci a pu être racheté par sa famille durant la Restauration (1814-1830).
Guillaume d’Andlau, propriétaire du château. Confisqué en 1796, celui-ci a pu être racheté par sa famille durant la Restauration (1814-1830). © Bertrand Rieger / Détours en France

80 châteaux forts sur le chemin des châteaux forts

L’association Châteaux forts d’Alsace est née en 2013 du désir de mettre en valeur les châteaux forts de montagne avec un intérêt pour le public. Avec le Club Vosgien, l’association a imaginé un sentier pour relier ces forteresses sur la base de différents itinéraires existants. Depuis 2017, un pictogramme rouge et blanc en forme de château balise le parcours de 450 kilomètres, découpés en 26 étapes, qui permet de découvrir 80 châteaux dans les Vosges, entre Wissembourg et Thann. Un site internet et un topoguide détaillent l’itinéraire, l’histoire des châteaux et (pour le site web) indiquent les possibilités d’hébergement et de restauration. chateauxfortsalsace.com

Sources

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