JOUR 1
9 h Le port

Sur les quais flotte la petite musique des drisses frappant les hauts mâts des voiliers.Il faut quelques minutes pour comprendre la configuration de ce grand bassin à écluses, divisé par un môle et sans horizon maritime. Sur les façades alentour, pas d’unité architecturale mais une atmosphère et des images qui interpellent. Les vieux gréements amarrés quai Duguay-Trouin ? Ils convoquent le souvenir des goélettes paimpolaises qui emmenaient les hommes pêcher la morue en mer d’Islande entre 1852 et 1935. Dans Pêcheur d’Islande, son roman le plus célèbre, Pierre Loti raconte ainsi la bravoure de ces marins paimpolais partis, chaque hiver, écumer les mers glacées au péril de leur vie. Aux numéros 27 et 29 du quai Morand, sur le côté ouest du port, siège une demeure statutaire en pierre à trois niveaux, percée de lucarnes. Connue comme le repaire de Kerroc’h, en partie transformée en copropriété, c’est l’une des plus belles maisons d’armateurs de Paimpol, bâtie en 1791 par François Corouge de Kersaux qui fut aussi maire. Quelques rues plus loin, l’hôtel de ville occupe la somptueuse résidence, avec perron et jardins, de la famille Allenou, qui s’est enrichie par la pêche à Terre-Neuve dans les années 1830. Dans la salle des mariages, autrefois grand salon, les peintures d’origine dévoilent l’activité portuaire de Paimpol au XIXe siècle.
10 h Le centre historique
Il faut poursuivre la promenade sur la place du Martray et dans les rues pavées environnantes où se concentrent les demeures anciennes, à pans de bois ou avec un bel appareillage de pierre. Rue des Huit-Patriotes, dans une maison à colombages du XVe siècle, la quincaillerie-coutellerie Jézéquel peut s’enorgueillir de fabriquer des couteaux pour les pêcheurs depuis 1886. À côté, La Cale aux épices regorge de poivres, de baies et de curry du monde entier exposés dans un décor de comptoir colonial. « Paimpol attire des bourlingueurs, des voyageurs au long cours qui veulent poser leurs valises dans un port au goût d’ailleurs. C’est une petite ville avec un grand esprit d’ouverture », confie Christophe Lemaire, son propriétaire, installé ici après une première vie en Asie.

14 h La pointe de l’Arcouest
Après avoir déjeuné, l’appel de la mer se fait sentir. Cap au nord vers la pointe de l’Arcouest, distante de 6 kilomètres. En chemin, la petite chapelle de Perros-Hamon, nichée dans le bourg de Ploubazlanec, mérite largement une halte. « La chapelle des naufragés », comme la nomme Loti dans son roman, abrite de nombreux ex-voto (peintures, maquettes, vitrail) liés à la grande pêche. Dans le porche, des « mémoires » sculptés dans le bois ou le marbre rendent hommage aux marins disparus. Ils furent près de deux mille à perdre la vie entre 1852 et 1935 en mer d’Islande. Des plaques commémoratives sur un mur dans l’enceinte du cimetière rappellent aussi les deuils des familles locales. Plus loin, à l’est du bourg, la pointe de la Trinité dégage une vue panoramique sur la mer. Les femmes des pêcheurs guettaient ici l’arrivée de leurs hommes, au pied d’une station d’un chemin de croix. Loti a baptisé le lieu « la Croix des veuves ». En face, se découpe l’île Saint-Riom, privée, où des moines fondèrent une première abbaye avant de s’installer à Beauport. Plus au nord, la pointe de l’Arcouest, port d’embarquement vers l’archipel de Bréhat, donne à admirer une mêlée de rochers roses sur l’eau. Une boucle de 6 kilomètres entre terre et mer, à parcourir à pied, donne un bon aperçu des beautés de cette pointe. En fin de journée, on rejoint, à quelques kilomètres à l’ouest, le port de Loguivy-de-la-Mer, à l’embouchure du fleuve côtier le Trieux. Face à la Manche constellée de récifs, ses maisons de pêcheurs bien alignées et son ancien corps de garde incrusté dans le roc distillent une douce mélancolie.
JOUR 2
10 h L’abbaye de Beauport

Sur le littoral, à quelques kilomètres au sud-est du port de Paimpol, Beauport a le charme de ces ruines où l’histoire ruisselle sur les murs comme les herbes folles dans les interstices de la pierre. C’est dans l’ancienne église, où seuls demeurent les murs et un bas-côté percé d’ouvertures en ogive, que ce sentiment est le plus vif. Sol couvert de verdure, massifs d’hortensias fuchsia au pied des piliers... L’abbatiale plante un irrésistible décor romantique comme le souhaitaient ses acquéreurs, privés au XIXe siècle. Entre mer et forêt, ce sanctuaire médiéval qui a connu plusieurs usages (école et cidrerie notamment) compte un cloître, une salle capitulaire et un réfectoire dont la visite se révèle captivante. Dans ces espaces et, bien sûr, dans les jardins et les vergers, on apprécie le désir du Conservatoire du littoral, propriétaire du site, de laisser la nature s’exprimer.

14 h Le domaine de la Roche-Jagu

Au Moyen Âge, afin de défendre la région contre des navires ennemis susceptibles de remonter le Trieux, une dizaine de forteresses furent édifiées tous les dix kilomètres dans la vallée du fleuve côtier. Situé juste avant Pontrieux, le château de la Roche-Jagu est le seul survivant de cet important dispositif. Massive construction en appareil rose, dominant un méandre, le château dénué d’austérité accueille des expositions temporaires et des artistes en résidence. Il continue toutefois de dévoiler ce qu’était l’architecture d’une maison forte du xve siècle (il a été rebâti après avoir été détruit pendant la guerre de la Succession de Bretagne) avec chemin de ronde, meurtrières et chapelle seigneuriale. Dans le domaine de 74 hectares, on peut flâner longtemps entre les jardins clos (potager, jardin médicinal ou roseraie) qui viennent réjouir tous les sens, ou dans la palmeraie dégageant un exotisme assumé. Les amateurs de patrimoine apprécieront le bassin aux chevaux, immense abreuvoir, ainsi que les étangs et pièces d’eau de rouissage, témoins de la production de toiles de lin dans la région au XVIIe et au XVIIIe siècle.
Paimpol, dernière demeure des corsaires
Si les corsaires ne sont pas des pirates, les attributs avec lesquels on a l’habitude de représenter ces derniers figurent sur les tombes des plus célèbres corsaires de Paimpol. Au fond à gauche du cimetière de la ville, trois pierres tombales des Corouge sont ornées d’une sculpture avec un crâne, un foulard et deux tibias croisés. Parmi elles se trouve celle de Pierre François Corouge, né en 1749 et décédé en 1824. Il pratiqua la course pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis, à bord du navire Le Serpent.