En balade sur l’estran avec Zachary, l’animateur nature

Traversant un plateau rocheux, Zachary Gaudin s’extasie devant un drôle de petit HLM aux allures de ruche. « Un massif d’hermelles ! Cette biostructure est bâtie par des vers marins, les Sabellaria alveolata, qui réalisent des tubes en collant grains de sable et fragments de coquillage. Agglomérés, ces tubes peuvent former de véritables récifs, refuge de toute une microfaune marine », explique le chercheur en physiologie végétale, devenu animateur nature pour Iodde (Île d’Oléron développement durable et environnement).
Forte de sept salariés et de centaines de bénévoles, cette association locale a été créée en 2004 pour améliorer la pratique de la pêche à pied à Oléron, qui faisait des ravages sur l’estran. Vingt ans plus tard, les visiteurs ont appris à remettre en place les rochers soulevés et à vérifier la taille des coquillages prélevés grâce à des réglettes distribuées gratuitement. Iodde propose également des opérations de sciences participatives comme CapOeRa, qui met des bacs à disposition des usagers des plages pour récolter et compter les capsules de raie échouées sur les rivages, ainsi que des sorties découverte. Avec Zachary, chaque pierre, chaque flaque entre les rochers révèle un petit bestiaire envoûtant : ici, de minuscules crevettes bouquet ; là, des mues de crabes, des bigorneaux perceurs ou encore des gibbules, sortes de gastéropodes marins... De quoi réviser son vocabulaire !
Le chenal d'Arceau avec Nadia, l'ostréicultrice

À 8 kilomètres de la sortie du pont, la D126 pique vers Dolus-d’Oléron puis vers la côte est. La Baudissière, Sorine, la Brande... Ici, les repères se brouillent entre l’eau et la terre, les cabanes sur pilotis s’égrènent le long des chenaux, on est dans le fief des ostréiculteurs. Halte sur la rive gauche du chenal d’Arceau, où Nadia Quillet nous accueille aux Marais de Salamine. À 50 ans, cette Charentaise a tout quitté pour devenir marin-patron. Brevet en poche, elle s’est lancée dans la production d’huîtres, de crevettes impériales et de salicorne. « Notre vie est rythmée par
les marées », explique Nadia à la barre de la barge en aluminium qui nous achemine vers ses parcs à huîtres. Éric, son mari, et Perle, sa chienne labrador, sont du voyage. Passé la balise du chenal, la basse mer découvre à l’infini des bancs de sable abritant des colonies de sternes et des centaines de tables ostréicoles, regroupées par exploitations. Calé entre le continent et Oléron, alimenté par les eaux douces de la Charente et de la Seudre, cet espace marin peu profond et riche en phytoplancton forme le plus grand bassin ostréicole d’Europe pour le captage et l’élevage des magallana gigas, une variété japonaise introduite ici dans les années 1970. De l’eau jusqu’aux genoux, Nadia et Éric s’activent à « virer » les poches remplies d’huîtres, pour qu’elles restent rondes et ne se collent pas entre elles. « Pour passer du naissain à l’âge adulte, nos huîtres restent deux ans en mer. Puis, nous les transférons dans les claires, les bassins des anciens marais salants, où elles font du gras et s’affinent en goût... tout en cohabitant avec nos crevettes impériales », reprend Nadia. Ce soir, sous les lampions de la cabane des Marais de Salamine, nous goûterons les huîtres de Nadia et sa recette de crevettes à la plancha, revenues
au beurre citronné. Une merveille !
À Saint-Georges-d'Oléron avec Samuel, le saunier

Le chenal de la Perrotine marque la frontière avec le village de Boyardville, sur la commune de Saint-Georges-d’Oléron. Au bord de la D126, le soleil fait miroiter l’eau des marais, ourle de lumière la frange des roseaux. C’est ici que le Vendéen Samuel Barbereau, autrefois à la tête d’un bureau d’études en aménagement hydraulique, a installé il y a dix ans sa Cabane Ø Sel. « Devenir saunier, c’était un rêve de gosse. On travaille au milieu de paysages semi- aquatiques de toute beauté, l’activité est intense de mai à septembre, puis on fait une pause en hiver. » Le choix d’Oléron s’est vite imposé, car nombre de ses anciens marais salants ont été réemployés par les ostréiculteurs pour l’affinage des huîtres. « Grâce aux chenaux les reliant à la mer, ils sont restés fonctionnels. »
Pour réhabiliter son exploitation, Samuel a creusé le sol en 40 « carreaux » de 28 mètres carrés disposés en escalier, pour que l’eau s’y écoule facilement. Chaque jour en été, le saunier reproduit la même chorégraphie : à l’aube, il ratisse l’eau de son ételle pour pousser le gros sel cristallisé vers les bassins de saumure, où il s’égouttera durant la nuit. Au coucher du soleil, il racle la surface de l’eau avec sa lousse, un long outil percé de trous, pour récolter la fleur de sel en surface. Cet or blanc est ensuite séché sur table, au soleil et en plein vent. Samuel Barbereau produit de 10 à 12 tonnes de sel par an, neuf dixièmes en gros sel, un dixième en fleur de sel, vendus « en direct » dans sa cabane du bout des marais. Et il ne changerait de vie pour rien au monde.
Au hameau de la Coindrie avec Éric, le vigneron

Le vignoble Mage & Fils se blottit entre prés et bois aux feuilles roussies, sur la commune de Saint-Pierre-d’Oléron, dans le hameau de la Coindrie. « Dans les années 1960, le développement du tourisme nous a incités à diversifier nos cépages, pour produire aussi bien des vins de pays (rouges, rosés et blancs) que du cognac et du pineau charentais », explique Éric Mage. Issu d’une lignée de vignerons oléronais, il est avec sa femme Sandra à la tête d’un domaine de 30 hectares, cultivé en bio depuis 2018. Un passage en système agroécologique qui a changé leur manière de travailler.
« Notre île est un territoire fragile, où les agriculteurs doivent encore plus qu’ailleurs adapter leurs pratiques au changement climatique. Aujourd’hui par exemple, on ne laboure plus la terre entre les rangs, on l’ameublit simplement, pour que la vigne aille chercher l’eau en profondeur et résiste mieux aux canicules ; on y sème trèfles et graminées pour couvrir le sol, et on plante des haies le long des parcelles, afin de les préserver des vents d’ouest, dominants sur l’île, et de ménager des abris pour la biodiversité. Pour lutter contre les maladies sans chimie, on pratique des tailles de prévention sur les bois de l’année, il nous arrive aussi de traiter la vigne avec des algues transformées. » Une approche respectueuse de la nature qui donne une valeur ajoutée à ses vins, plusieurs fois médaillés au concours général agricole et qui font des émules : à Oléron, 200 des 800 hectares de vignobles sont désormais cultivés en bio !
Le jardin Melifera avec Christophe et Cécile-Julie, les producteurs de gin à l'immortelle

Direction les Sables Vignier, sur la côte ouest. À quelques encablures de l’océan, sur la route de l’Hermitage, le jardin Melifera embaume l’immortelle (Helichrysum stoechas), cette fleur sauvage qui pousse chaque printemps en tapis jaune d’or sur les dunes d’Oléron. « À l’état naturel, il est interdit de la cueillir car c’est une espèce végétale protégée. En revanche, il est possible de la cultiver. C’est ce que nous faisons ici, sur ce terrain de 3 hectares racheté à la commune de Saint-Georges-d’Oléron », expliquent Christophe Amigorena, ex-cadre dans des sociétés internationales, et son épouse Cécile-Julie. C’est pour capturer le léger parfum de curry de l’immortelle, qui leur rappelait leurs vacances en famille sur ce bout de terre, qu’ils ont imaginé créer leur propre marque dans l’univers des spiritueux. Dans leur jardin, supervisé par l’ingénieure agronome oléronaise Ethel Gauthier, l’immortelle cohabite avec d’autres plantes locales, comme l’armoise, l’angélique ou encore le poivre des marées.
En été, les fleurs sont toutes cueillies à la main, mises à macérer dans de l’alcool, puis envoyées à la distillation dans un laboratoire de Cognac. Ainsi est né Melifera, un gin bio à la fleur d’immortelle, soit une association de neuf plantes botaniques de l’île. « Le nom de notre marque a été inspiré par les ruches d’abeilles noires (Apis mellifera-mellifera) que nous avons installées dans le jardin, précise Christophe. Quant à la couronne d’immortelle frappée sur chaque bouteille, elle évoque celle que portait Aliénor d’Aquitaine, maîtresse d’Oléron, lors de son mariage avec le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt, en 1152. » Toute une histoire !
Sur la plage des Sables Vigier avec Francine, la cheffe éclusière

Par un chemin palissé de ganivelles en bois de châtaignier, on coupe à travers les dunes pour rejoindre la plage des Sables Vignier. Sur l’estran découvert par la marée basse, une petite troupe équipée de bottes en caoutchouc, de seaux et d’outils patauge dans un grand bassin, formé par un large demi-cercle de pierres sur le plateau rocheux. Nous sommes aux Basses, une des 15 écluses à poissons encore en activité sur les 250 qui encerclaient autrefois Oléron. Aujourd’hui, toutes sont classées à l’inventaire des monuments historiques. « Depuis le Moyen Âge – et peut-être même le néolithique –, les insulaires utilisent ce système de pêche ingénieux et 100 % écolo, qui fonctionne à la manière d’une nasse, précise Francine Fèvre, qui est porte-parole des 12 concessionnaires de cette écluse, dépendante des affaires maritimes. Le principe est simple : à marée basse, les poissons se font piéger dans le bassin, qui reste en eau grâce à un système de bouche-eau. Si les mareyants passent, ils prélèvent ce dont ils ont besoin, et uniquement des espèces non protégées et “à la maille”, c’est-à-dire de taille réglementaire. Sinon, adieu bars, seiches, daurades qui s’enfuient à marée haute. » Être concessionnaire d’une écluse donne le droit d’y pêcher à tour de rôle, mais aussi le devoir de l’entretenir.
La mission du jour de l’équipe des Basses est de réparer les vergettes, le système de grille amovible qui ferme l’écluse, de relever les moellons tombés des murets avec la marée et de déboucher les coursières qui permettent d’évacuer l’eau et ont tendance à s’ensabler. « Soyons francs, s’amuse Francine, on ne fait pas de pêches miraculeuses, mais on a le plaisir de se retrouver et de participer à la protection du patrimoine local. »
Au port de la Cotinière avec Yoann, le pêcheur

Terminus de ce tour de l’île au port de la Cotinière, sur la côte ouest. Avec sa jetée coiffée d’un petit phare rouge et blanc, ses bateaux colorés, ses quais animés et son marché en saison, c’est un peu la carte postale d’Oléron. Mais pour la pêche, la vraie, ça se passe à côté, dans le bassin en eau profonde aménagé en 2022 au pied de la nouvelle criée.
Un équipement 2.0 qui permet aux « pros » d’entrer et sortir sans plus dépendre des horaires de marées et de débarquer leur poisson dès le retour au port, juste avant la vente. C’est ici que Yoann Crochet, troisième génération de pêcheurs oléronais, stationne son chalutier L’Univers, un navire de 12 mètres de long taillé pour la pêche côtière artisanale. « À la Cotinière, classé dixième port de pêche français et premier de la côte Aquitaine, on travaille sur des petites unités, ce qui garantit la qualité de la production. Selon les saisons, on alterne la pêche à la palangre pour le bar, le maigre, le congre ; la pêche au filet pour la sole, la lotte, la raie ; et les campagnes de coquillages, en particulier la Saint- Jacques », explique-t-il. Si le patron pêcheur apprécie l’amélioration des conditions de travail grâce au nouveau port à flot, il déplore la mauvaise image des marins, souvent taxés de pollueurs, les prix du gasoil et la mainmise des quotas de pêche. Aujourd’hui, Yoann songe à revendre son chalutier pour racheter un bateau plus petit et se spécialiser dans la pêche à l’hameçon. Un nouveau départ depuis les côtes de cette île qui
est la sienne...