
Est-ce le sable blanc léché d’eaux turquoise qui surgit entre les îlots de granit ? L’estacade, cette interminable passerelle jetée à travers le chenal, où se découpent des silhouettes tirant leurs valises en direction de la navette maritime ? En cette journée ensoleillée, au moment d’embarquer pour Batz, c’est l’image d’un paradis tropical de l’océan Indien qui vient à l’esprit. Mais à l’approche de l’île, le clocher, les maisons en pierre dessinant un long village et les bateaux couchés sur le flanc ramènent vite en Bretagne. Seulement 3 kilomètres séparent Roscoff de Batz, au nord. Pourtant, dès le débarcadère, on a le sentiment que le temps s’écoule plus lentement. Ici, pratiquement pas de voitures, quelques vélos et surtout des tracteurs, équipés d’un coffre pour transporter personnes et marchandises. « L’île compte 14 fermes agricoles », insiste Nicolas Seïté, tout juste descendu de son engin. Membre de l’association Les Dragons de l’île de Batz, il décrypte pour les visiteurs le patrimoine insulaire le temps d’une randonnée de 12 kilomètres. Les dragons ? « L’allusion à la légende selon laquelle Paul Aurélien, l’un des saints fondateurs de la Bretagne, neutralisa avec son étole un dragon qui tyrannisait l’île de Batz. »
Batz, terre de capitaines

Autour de l’église Notre-Dame-du-Bon-Secours, le bourg se déplie le long de quelques anses, face au chenal et à Roscoff. « Ce passage était l’un des rares refuges dans le secteur pour les navires engagés dans les courses contre les navires anglais. Il était sécurisé par des batteries de côte », précise notre guide. Témoins d’une époque plus récente, des maisons à étages, en pierre de taille, voient déborder de leurs clôtures agapanthes et dracénas exubérants. « Elles appartenaient aux capitaines, au long cours ou de cabotage, nombreux sur l’île au début du xixe siècle. » À l’extrémité ouest de Batz, l’ancienne maison des douaniers se dresse parmi les prairies criblées de fleurs blanches. Les îliens en font le repaire du corsaire Balidar, un marin portugais au service de Napoléon qui relâchait souvent dans le chenal. Tout près, il faut monter au sommet du phare pour contempler l’interminable mosaïque de champs cultivés et prendre la mesure du poids de l’agriculture sur l’île. « Grâce à l’amendement du sol en goémon et à la douceur du climat, trois récoltes annuelles de pommes de terre sont possibles », souligne Nicolas. Choux-fleurs, ail, fenouils, salades de Batz garnissent aussi les étals des marchés.

À la pointe sud-est de l’île, la fertilité de la terre saute aussi aux yeux. Difficile de croire qu’avant l’arrivée de Georges Delaselle, en 1895, Batz était surnommée l’île sans arbres. En quelques années, cet assureur parisien passionné de botanique a fait pousser un luxuriant jardin exotique, riche de 1 700 espèces, qui transporte loin de la Bretagne.

Protégés par une couronne de sapins, une vallée de palmiers et un jardin de cactées réjouissent les visiteurs et les pigeons ramiers. Des plantes océaniennes aux couleurs éclatantes et, plus loin, des plages de sable blanc, renforcent l’idée d’un beau voyage aux antipodes.
