À la découverte des joyaux méconnus de Dijon
Dijon, la capitale de Bourgogne s’enorgueillit d’une profusion d’hôtels particuliers datant du XVIe au XVIIIe siècle, témoignages de l’opulence de la cité des ducs de Bourgogne. Une dijonnaise amoureuse de cette architecture fastueuse, nous a guidés dans le cœur de ville à la découverte de ces joyaux méconnus de Dijon, souvent cachés derrière de somptueux portails.
Rue des Forges, numéro 34. Derrière le palais des ducs et des États de Bourgogne se niche l’hôtel Chambellan. Poussons le portail. Au bout d’un long corridor se dévoile toute la grandeur de cet édifice de style gothique flamboyant, ornée d’une galerie en bois finement sculptée. L’escalier à vis de la tour d’angle est particulièrement étonnant, avec sa voûte en palmier qui surgit de la hotte d’un personnage sculpté. « L’hôtel Chambellan a été construit à la fin du XVe siècle par Henri Chambellan, maire de Dijon puis conseiller à la cour des comptes. C’est le plus ancien hôtel particulier de Dijon… Il est déjà à l’époque un modèle en réduction du château », précise notre guide, Agnès Botté.
Dijon, siège des institutions bourguignonnes
Amoureuse de sa ville, qu’elle connaît comme sa poche, Agnès Botté a consacré sa thèse de doctorat en histoire de l’art aux hôtels particuliers dijonnais. Elle vient d’ailleurs d’écrire un ouvrage de référence sur le sujet, pas moins d’une centaine d’hôtels particuliers construits à Dijon entre les XVIe et XVIIIe siècles. Pourquoi une telle profusion ? Remontons le temps. Dijon, au XVe siècle, est encore la capitale du duché de Bourgogne. À la mort de Charles le Téméraire, en 1477, le roi de France, Louis XI, envahit Dijon et la Bourgogne. Cette annexion provoque un soulèvement des Dijonnais, une révolte appelée la « mutemaque ». Des concessions sont accordées : la ville demeure le siège des institutions bourguignonnes et le parlement est transféré de Beaune à Dijon. « Dijon se distingue alors par la présence de trois cours souveraines : la chambre des comptes, le parlement et la chambre du trésor », rappelle notre guide. « Cela explique la présence de ces nombreux hôtels particuliers : ce sont les officiers du roi, issus de la noblesse de robe, qui en sont les principaux commanditaires. Ils satisfont leur besoin de représentation sociale en élevant des demeures dignes de leur rang : l’hôtel se veut l’illustration de ceux qui détiennent le pouvoir, le lieu à la fois d’une démonstration sociale, architecturale et artistique, tout en étant en même temps assez mesuré dans les ornementations ! L’élite forme une classe fermée qui tient son rang sans tapage, tout en honorant son état. »
Un patrimoine bien conservé
Les hôtels particuliers sont si nombreux dans la ville que beaucoup d’entre eux sont peu connus des Dijonnais. Certains sont ouverts au public, quand d’autres, plus secrets, ne se dévoilent qu’après avoir franchi de lourds portails très travaillés. « La particularité, c’est qu’il n’y a pas de quartier parlementaire en tant que tel, contrairement à d’autres villes : les hôtels « saupoudrent » littéralement Dijon, affirme-t-elle, alors que nous déambulons à travers les rues du centre-ville. Ce corpus impressionnant a été en partie conservé car la ville a été épargnée par les guerres. Par ailleurs, les mutations parcellaires ont plutôt concerné les jardins et les dépendances. Il s’agit donc d’un patrimoine exceptionnel qui a la chance d’être toujours visible actuellement ! »
Hôtel de Vogüé, premier hôtel particulier des parlementaires
Toujours rue des Forges au n° 38, se découvre la maison Milsand : la demeure, édifiée en 1561, cache derrière son extravagante façade Renaissance fourmillant de sculptures (choux bourguignons, guirlandes florales…) une cour intérieure avec escalier à l’italienne. Quant au monumental hôtel de Vogüé, situé au n° 8 de la rue de la Chouette, il est impossible de le manquer, avec ses toits de tuiles vernissées. Son long portique à arcades de pierre rose au décor finement ciselé est très marqué par la Renaissance italienne. « C’est l’un des tout premiers hôtels particuliers des parlementaires, du début du XVIIe siècle. Il a été construit pour le conseiller au parlement Étienne Bouhier », précise Agnès Botté. De l’autre côté de l’hôtel, un petit jardin se devine. « Le choix du plan a toute son importance et le parti pris entre cour et jardin, à l’instar du quartier du Marais à Paris, va s’imposer comme le modèle prestigieux. Les critères de distinction sociale ? L’immersion au cœur d’un îlot, le retrait par rapport à la rue, l’importance du choix des matériaux – la pierre –, de l’ornement, ainsi que celle du portail ou de l’escalier qui deviennent de vrais marqueurs sociaux. » Nous approchons de l’ancien parlement de Bourgogne – de nos jours, le palais de justice.
L'hôtel Bouhier de Savigny et l'hôtel Legouz de Gerland, deux pépites
Deux pépites jalonnent la rue Vauban. L’hôtel Bouhier de Savigny, au n° 12, et l’hôtel Legouz de Gerland, au 21. Derrière le portail monumental du premier, construit au XVIIe siècle par un parlementaire, se découvre dans la cour d’honneur une façade scandée par un portique ajouté au XVIIIe siècle, dans un style très classique. Construit par la famille Chissey-Varanges à partir du XVIe siècle, l’hôtel Legouz de Gerland est flanqué à l’extérieur de quatre échauguettes. Il s’orchestre autour d’une majestueuse cour en demi-hémicycle qui rappelle la place de la Libération, l’ex-place Royale. Deux lions de pierre grandeur nature montent la garde sur le portail ! « Nombre de ces hôtels particuliers sont aujourd’hui occupés par plusieurs personnes, découpés en appartements. D’autres ont été reconvertis comme l’hôtel Bouhier de Lantenay, qui abrite les bureaux de la préfecture de la Côte-d’Or », détaille Agnès Botté. Nous nous dirigeons ensuite vers la place Bossuet où s’élève au n° 8 le très raffiné hôtel Févret de Saint-Mesmin, reconnaissable à son toit à la Mansart. « Il est fort possible que ce soit Mansart lui-même qui l’ait réalisé, mais on n’a aucune preuve jusqu’alors », analyse l’historienne de l’art. Rue Berbisey, nous pénétrons dans la cour intérieure de l’hôtel de Sassenay, pour apprécier son austère façade classique. À l’intérieur, un monumental escalier digne de Versailles dessert les trois niveaux. Notre guide nous mène ensuite rue Amiral-Roussin pour admirer l’hôtel Fyot-de-Mimeure, construit pour un avocat au parlement à la fin du XVIe siècle et orné d’une façade Renaissance foisonnant de sculptures décoratives. Plus loin, rue Monge, voici l’hôtel Bouchu, dit d’Esterno, édifié vers 1641 pour Jean Bouchu, premier président au Parlement de Bourgogne. Il impressionne par son élégante symétrie : deux ailes, faisant retour sur la cour, encadrent un corps de logis central. Un bel escalier en fer à cheval dessert le perron.
L'hôtel Pérard de la Vesvre à l'architecture classique
Avant de nous quitter, Agnès Botté tient à nous montrer son coup de cœur, rue Jeannin : l’hôtel Pérard de la Vesvre, vestige de la prospérité de la ville sous le gouvernement des princes de Condé. « On ignore le nom de son architecte, mais l’hôtel a été construit en 1661 pour le parlementaire Jean Pérard. Il est unique à Dijon avec le décor d’ordre colossal des façades sur cour, son mur de clôture particulièrement soigné et ses toitures. Une création d’une grande originalité et un jalon important dans l’histoire de l’architecture dijonnaise du XVIIe siècle : c’est le premier et le seul hôtel de ce siècle qui présente une ordonnance colossale avec ses pilastres ioniques qui s’élèvent sur deux niveaux de la façade. L’inspiration est parisienne et introduit un langage résolument classique peu courant à Dijon à cette époque. L’hôtel Pérard de la Vesvre n’est pas le plus beau, mais il est celui qui mériterait d’être sauvé. »