
Qui veut aller loin prépare sa monture ! C'est bon le vélo est en ordre de marche prêt à abattre à "allure balade" une petite cinquantaine de kilomètres, entre Saint-Vaast-la-Hougue et le cap Lévi, près de Cherbourg. À plusieurs, on se donne du courage, aussi Joëlle et Alain, elle Normande et lui Breton, seront de la partie de roue libre ! Saint- Vaast-la-Hague (dites Saint-Va, en appuyant un peu sur le « a » mais sans faire siffler le « s ») n’est pas peu fier d’avoir accroché à son palmarès le titre envié de « Village préféré des Français » en 2019. La plaque resplendit sur la promenade de Bridport, face à l’île de Tatihou.
Aujourd'hui véritable havre nautique pour les plaisanciers, autrefois position stratégique face à l'Angleterre, Saint-Vaast est entré dans l'histoire à la suite d'un des épisodes les plus tragiques survenus à la flotte de la Marine royale, commandée par le vice-amiral de Tourville. Au large de sa rade s’est jouée en 1692 la bataille navale de la Hougue qui s’est soldée par l’incendie de 12 vaisseaux français, dont le Soleil-Royal, navire de guerre de premier rang. Cette défaite contre les Anglais sera à l’origine de la construction en 1694 de deux tours jumelles fortifiées par Vauban l’une à la Hougue, l’autre à Tatihou, qui permettaient un tir croisé protégeant la rade de toute attaque extérieure. Ces fortifications sont aujourd’hui inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.
T’étais où ? Face à la Manche, à Tatihou !
Depuis le port de pêche et de plaisance de Saint-Vaast-la-Hougue, on se rendra d’abord au fort de la Hougue, dont la haute tour domine le littoral très bas. Cette petite route, telle une très longue jetée, file tout droit entre le marais et la mer jusqu’au fort. Ses batteries basses tiraient au ras des flots pour percer les coques, tandis que les meurtrières ménagées dans les parties hautes permettaient d’entretenir un feu de mousqueterie nourri contre les gréements et les ponts. Des chemins de ronde et de la terrasse se déploie une vue à 360° sur le village, la rade, la mer et la colline de la Pernelle. Du côté de l’anse du Cul-de-Loup, les parcs à huîtres tapissent la mer sur près de 30 hectares. Le ballet des hommes tournant les poches d’huîtres sur les tables alignées et des tracteurs chageant ces précieux coquillages prêts à être commercialisés s’enchaîne sans discontinuer. On remarquera aussi, au loin au sud-est, les îles Saint-Marcouf, interdites d’accès, où Vauban avait aussi installé de puissantes batteries. Plus passionnante encore est l’île de Tatihou, située à un peu moins d’un kilomètre au large de Saint-Vaast. Pour vous y rendre, c’est accessible à pied sec en profitant de la marée basse pour traverser les immensités de parcs à huîtres ; ou il faudra emprunter le bateau amphibie Tatihou III. Une fois sur l’île, les uns rêveront sur les grèves sauvages ; d’autres se passionneront pour le système défensif mis en place par Vauban, ou pour la construction navale traditionnelle : l’espace muséographique autour duquel s’articule l’aménagement se distingue par son éclectisme.
Pause sur les quais
Au retour, nous prenons le temps d’entrer dans la chapelle des Marins, dédiée aux péris en mer. La longue liste de noms des marins disparus suscite l’émotion. Attirés par l’odeur du bois et de l’étoupe, nous posons pied à terre devant le chantier naval Bernard, réputé pour ses constructions et restaurations de voiliers traditionnels. Pris dans une passionnante discussion avec un maître charpentier naval, nous partageons notre pause-café sur les quais face aux unités de pêche saint-vaastaises.
Il est grand temps de reprendre la route départementale D1, en direction de Barfleur. Les points de vue sur le trait de côte, d’un côté, les lumières illuminant les champs cultivés, de l’autre, font des 45 minutes nous séparant du renommé village de pêcheurs une pure promenade de santé. À l’arrivée à Barfleur, les coques multicolores flottent encore sur l’eau, mais le jusant videra bientôt le port d’échouage et les embarcations reposeront sur la tangue, en mode mouillage. Et ce, sous l’œil du phare du Cracko, tourelle carrée maçonnée d’une hauteur de 6 mètres, mis en service en 1844.

Tour du géant de pierre

Ne reculant devant rien, nos « petites reines » progressent sur la D116 et la superbe D1 vers Gatteville-le-Phare et la pointe de Barfleur. Quatre kilomètres de grand bonheur même si le vent d’ouest en pleine face nous oblige à forcer sur les pédales !
Au pied du cyclope colossal qu’est le phare de Gatteville et face aux vagues qui viennent frapper les rochers, on se sent vraiment tout petit.
Est-ce pour rassurer les mortels que nous sommes que fut érigé un petit oratoire, surmonté d’une statue de la Vierge représentée assise dans une barque ? Datant de la fin des années 1950, l’édifice est l’œuvre du curé de Gatteville, Bernard Leblond, et du gardien du phare, Joseph Mouchel. Longtemps, les femmes de marins venaient implorer la Madone, Notre-Dame du Grand Retour, pour qu’il n’arrive pas malheur à leur mari ou à leur fils partis en mer.
À voir les bateaux occupant le port d’échouage de Gatteville-le-Phare, on ne se doute pas qu’au début du XIXe siècle il servait de port d’embarcation du granit à destination du Havre (Seine-Maritime), utilisé pour la construction des bassins et des quais. La beauté impressionnante de sauvagerie du raz de Barfleur et de ses alentours est à peine troublée par les vestiges de la Seconde Guerre mondiale : là, des restes ensablés de blochaus, couverts des œuvres de graffeurs ; ici, une batterie, construite en 1942 par la Kriegsmarine dans le cadre de l’édification du mur de l’Atlantique.

Nous décidons de sortir le casse-croûte. Les ruines guerrières, une mer silencieuse, un soleil chauffant à blanc l’immensité de sable instillent une ambiance de recueillement... Un rapide coup d’œil et Alain nous incite à ne pas mollir, le parcours qui nous attend, dans un paysage plus vallonné, risque de se révéler « casse-pattes ».
Franchir le cap

Une bonne demi-heure est nécessaire pour relier la prochaine étape. La D116 déroule son ruban asphalté : Reville, Néville-sur-Mer, Réthoville, Cosqueville et Fermanville, face au raz du cap Lévi. En 1850, Serry dessine, sous la supervision de Charles-Félix Morice de la Rue, une tour carrée en granit rose de Fermanville et gris de Montfarville. Le phare est allumé le 31 décembre 1858. En 1901, une optique à éclats rouges d’une portée de 30 kilomètres par temps clair et 12 kilomètres par temps de brume est installée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le phare est utilisé par l’ennemi comme poste de surveillance. Fin juin 1944, les troupes en place feront exploser la tour. Les plans de la reconstruction seront confiés aux architectes René Levavasseur, Jean-Paul et Jacques Chauliat. Bâti en 1947, il mesure 28 mètres de haut et porte à 20 milles nautiques (37 km). Tout près, le fort du cap Lévi est, lui, une ancienne fortification napoléonienne qui constituait, avec 11 autres batteries, les défenses des côtes du Cotentin contre les Anglais. Plus loin, le viaduc ferroviaire de Fermanville franchissait la vallée du Poult, appelée la « vallée des moulins à eau », en raison de leur multitude.

Nous admirons des plongeurs téméraires se jeter du haut de la digue protégeant le port du cap Lévi. Une pause contemplative bienvenue, car des dénivelés importants nous attendent avant de rejoindre l’anse du Brick et le port du Becquet. Le littoral du val de Saire aura tenu ses promesses, celles d’offrir des panoramas époustouflants, des villages typiques, des ouvrages monumentaux. Avec l’impression, qu’ici, suivre le rythme de la nature est un art de vivre commun aux habitants du coin.