
Sous le clocher à bulbe argenté, place de l’Église, deux calèches s’ébranlent emportant un couple chaudement emmitouflé à la découverte de Megève. En cette soirée de janvier, le village arbore ses plus belles parures. Un manteau blanc coiffe les toits pentus des maisons aux balcons en bois ajouré. Les illuminations de Noël (conservées jusqu’en mars) soulignent les encadrements de fenêtres en granit. Posée sur un large col du haut val d’Arly, à près de 1 110 mètres, Megève n’est jamais plus belle qu’en hiver. C’est d’ailleurs en cette saison qu’afflue la clientèle huppée, et essentiellement française, qui vient s’installer dans les hôtels et les chalets de luxe du mont d’Arbois, de Rochebrune ou du Jaillet. Leur vue ? La chaîne des Aravis ou encore le mont Blanc, et toujours la sculpturale barre des Fiz.
Luxe et charme d'antan

Si les boutiques de luxe, les grands restaurants et les bars festifs sont très présents dans la station, Megève conserve l’âme et le charme d’un village. Il suffit d’un pas de côté pour découvrir des fermes d’autrefois, en pierre et en bois, abritant le musée du Haut-Val-d’Arly ou un centre d’art, rue Saint-François. « Megève a une longue histoire, insiste David-Alexandre Rossoni, responsable de la médiathèque et des archives de la commune. Le site a été habité dès le néolithique. Le bourg se développe au XIe siècle, avec la création d’un prieuré antérieur à celui de Chamonix. La construction d’une station de ski dans les années 1920 par la baronne Noémie de Rothschild n’est qu’un des derniers épisodes d’un riche passé. » L’ancien prieuré, désormais occupé par une boutique Hermès, voisine avec l’église Saint-Jean-Baptiste, dont les origines remontent au XVe siècle. L’édifice religieux nous offre aussi un premier rendez-vous avec Henry Jacques Le Même.
L’empreinte d’un visionnaire

C’est à cet architecte que l’on doit la transformation du bourg. En 1926, la baronne commande à Le Même une maison de villégiature, inspirée des constructions rurales, sur le mont d’Arbois, face aux Aravis. Dans le sillage de ce « palace des neiges », l’architecte signe près de 200 chalets entre 1927 et 1981. Il en reste une cinquantaine. On lui doit aussi des hôtels, des immeubles, des magasins, des garages et, sur le plateau d’Assy, des sanatoriums. À Megève, sa signature la plus visible est ce grand bâtiment jaune proéminent, accroché sur les premières pentes du mont d’Arbois. Remarquable par sa taille et sa rotonde, le collège Le Hameau, devenu centre de vacances, s’inspire de Le Corbusier. Une patte que l’on retrouve sur la maison de Le Même, dans la montée du calvaire.
Les chalets d'Henry Jacques Le Même

« Le chalet de villégiature à la montagne a été inventé par Henry Jacques Le Même », s’enthousiasme Jean-Luc Freundorfer, qui fut son dernier ébéniste. Cet homme passionné nous reçoit rue de la Poste, dans sa boutique Au Soli, emplie de meubles anciens, d’ex-voto alpins et de mille petits objets. « Le Même a pensé un habitat fonctionnel, avec la meilleure exposition possible, de grandes ouvertures et une pièce pour stocker le matériel de ski », poursuit-il. Ces chalets comprennent souvent trois niveaux : un soubassement en pierre taillée, un second niveau recouvert d’un crépi clair et un étage supérieur bardé de bois. « Pour l’extérieur, il utilise du mélèze, très résistant, tandis qu’à l’intérieur, on trouve du chêne et de l’épicéa. Ces chalets reflètent l’influence de l’architecture alpine suisse », souligne l’ébéniste.
Le chalet de villégiature à la montagne a été inventé par Henry Jacques Le Même

Partir à la recherche de l’héritage de Le Même donne à explorer Megève d’une manière originale. Elle nous emmène dans le cœur du village, devant la boutique AAllard (inventeur du fuseau alpin en 1930) aménagée par ses soins. Elle se poursuit dans la montée du calvaire où trône le chalet Le Cairn, illustration du chalet du skieur labellisé « Patrimoine du XXe siècle ». Elle nous pousse aussi à entrer dans l’hôtel Au Coin du Feu, sur la route de Rochebrune. Nicolas Grivet possède et dirige cet établissement 3-étoiles. Cet ancien médecin s’est passionné pour Le Même, en découvrant les décors intérieurs de cet hôtel réalisés par l’architecte, à l’image de la rampe en bois aux lignes graphiques. « J’aime la simplicité et l’efficacité de son architecture et de son mobilier », explique celui qui a consacré un étage de cinq chambres au créateur. Des bureaux, des chaises, des patères portent la griffe de Le Même. L’hôtelier a même demandé à Jean-Luc Freundorfer de reproduire un plafonnier en forme de soleil, clin d’œil au slogan historique de la station, « Megève l’ensoleillée ». Pour achever notre jeu de piste autour de Le Même, Nicolas Grivet nous ouvre les portes de sa résidence. L’artiste a habillé les sols des parties communes de compositions géométriques en grès. Sapins, renards, chamois, skieurs... On y retrouve toute l’iconographie, stylisée, de la montagne et de la ville. Seules les calèches ne sont pas représentées.

La « Jérusalem savoisienne »
Sur les contreforts du mont d’Arbois, les 14 chapelles et oratoires du calvaire de Megève sont l’œuvre du curé Ambroise Martin. Inspiré par le mont Sacré de Varallo, dans le Piémont, le calvaire est bâti pour raviver la dévotion des Megévans lors de la restauration sarde. En 1850, après l’attribution d’une indulgence par le pape Pie IX à Notre-Dame-des-Vertus, le calvaire devient un haut lieu de pèlerinage et ouvre l’ère d’un tourisme religieux aujourd’hui disparu.