C’est le dernier fleuve sauvage français. Avec ses bancs de sable changeants et son courant capricieux, la réputation de la Loire n’est plus à faire. On la craint, on s’en méfie ou alors on l’ignore... Par chance, il y a Yvan Thibaudat. Ce Sancerrois à la tête de Loire Nature Découverte propose des sorties insolites sur la Loire, qu’il connaît comme sa poche. Nous voici donc à Saint-Satur, équipés d’un gilet flottant, accroupis dans l’onde fraîche d’une rivière qui se jette un peu plus loin dans le fleuve. Nous allons descendre la Loire à la nage ! Ou du moins une petite partie. La rivière à l’odeur douceâtre est un premier sas avant de rejoindre le lit principal du fleuve (on parle de « lit mineur »). L’eau fluviale est plus chaude, presque tiède en cette fin d’été. Tels d’heureux bibendums, nous flottons sur le dos, les pieds en l’air. Le courant nous emporte doucement. Yvan nous montre une herbe, un coquillage, en explique la présence et l’origine. Nous dérivons vers un « cul blanc » (guignette), espèce d’habitude farouche. « En kayak, les oiseaux s’envolent. Pas à la nage. » Les berges sont une source d’émerveillement pour notre guide. Au rythme des crues et des étiages, la Loire grignote ses berges, transporte et dépose du sable, créant et emportant îles et îlots, ouvrant et comblant des bras secondaires. « Une vie d’homme suffit à voir une île se former et une autre disparaître », commente Yvan.
La Loire, dangereuse pour l’homme

Le paysage immuable qui défile sous nos yeux est en fait en constante métamorphose. Le courant jusqu’alors mou et lent se fait plus vigoureux à l’approche du pont de Saint-Thibault. « La Loire peut t’emporter où elle veut. Il ne faut pas lutter, sans ça c’est la noyade. Mieux vaut se laisser emporter pour retrouver la rive plus en aval. » Nous voilà prisonniers des rapides peu avant les piles du pont. Impossible de résister au courant des eaux de la Loire, pourtant à la surface ce ne sont que de petits remous qui semblent inoffensifs. Les riverains nous regardent, ébahis. La baignade est interdite sur la Loire... sauf avec Yvan qui est le seul accompagnateur breveté sur la Loire. Le fleuve nous emporte doucement mais fermement, et les efforts que l’on fait pour essayer de se rapprocher de la rive sont voués à l’échec. « Il y a encore des gens qui meurent à quelques pas du rivage car les sables mous se dérobent sous leurs pieds, ils boivent la tasse, paniquent d’être si près du bord et de ne pas réussir à le rejoindre... et se noient. La Loire mangeuse d’hommes existe depuis toujours. » Sans doute aurions-nous eu ce même réflexe funeste : lutter au lieu de se laisser porter vers l’aval. Plus loin sur la rive, Yvan nous montre une branche brisée : un castor est passé ici, conclut-il. Ses sorties nocturnes en radeau pour observer les castors sont réputées bien au-delà du département. Le soleil déclinant caresse l’eau du fleuve comme une main de velours. « Je ne me lasse jamais de ce paysage, de cette lumière en fin de journée », lâche Yvan en rejoignant la berge.
Protéger les eaux de la Loire

Mais à l’heure de parler de l’état du fleuve, le visage de notre guide s’assombrit. « Gamin, je voyais des sternes et des balbuzards pêcheurs ici. Dans les eaux de la Loire, des saumons, des aloses, des aspes... Hélas, on a perdu les trois quarts des piafs et des poissons migrateurs. La Loire, tout le monde l’aime, mais personne n’en prend soin... » Tout est-il perdu ? « Non, tu verras des ombres noires au pont de Pouilly : ce sont des aspes et des mulets qui viennent de l’océan jusqu’ici pour sentir l’eau douce de leurs origines. L’Atlantique est à 800 kilomètres ! » Que s’est-il passé ? « On a longtemps creusé le lit mineur de la Loire pour y prendre son sable, provoquant l’enfoncement du fleuve. Résultat, le niveau des eaux a baissé, les crues n’ont plus recouvert certains milieux naturels, qui se sont végétalisés. Les extractions massives de granulat ont cessé en 1990 et, depuis, le fleuve se réapproprie le territoire, retrouve son visage d’autrefois. Mais récupérer les millions de mètres cubes de sable qui ont été pris demande du temps... La Loire a encore un peu de liberté, mais c’est un fleuve régulé par EDF, utilisé pour refroidir les réacteurs de quatre centrales nucléaires. La Loire, c’est un petit couloir qu’il faut protéger. »
Peut-on se baigner dans la Loire ?
La baignade n'est pas autorisée dans la Loire pour plusieurs raisons. D'abord, son débit varie beaucoup. Ensuite, ses fonds sont très changeants et les grèves pas toujours très solides. Enfin, la qualité des eaux de la Loire n'est pas contrôlée.