Barcelone, secrète et insolite
Fière, créative, bouillonnante… Bien ancrée dans son temps, la capitale catalane séduit par son patrimoine inépuisable : Gaudí, bien sûr, mais aussi une foule de lieux moins fréquentés et des quartiers plus secrets. Loin des Ramblas, découverte d’une Barcelone méconnue et attachante.
Barcelone sans la Sagrada Família, La Pedrera de Gaudí ou le parc Güell ? Absurde, pense-t-on… à tort ! La deuxième ville d’Espagne (1,7 million d’habitants) recèle assez de richesses pour occuper toute une semaine rien qu’avec ses trésors cachés. Commençons par l’ancien palais des comtes de la couronne d’Aragon, qui abrite désormais le musée d’Histoire de la ville (MUHBA). Au sous-sol, une surprise de taille s’offre à nos yeux : 4 000 mètres carrés des vestiges antiques de la cité, fondée en – 10 sous l’empereur Auguste. Car bien avant le règne des puissants comtes de Barcelone, bien avant que la Catalogne étende son empire de Valence à la Sicile et aux îles Baléares, Barcelone était une colonie romaine.
Plus tard, on érigera ici même le palais des comtes de Barcelone, le palais épiscopal et la cathédrale : nous sommes en plein coeur de l’âge gothique catalan (du XIIIe siècle à la moitié du XVe siècle). C’est cette période fastueuse que la bourgeoisie catalane, enrichie par la révolution industrielle, voulut ressusciter au XIXe siècle en faisant édifier des bâtiments néogothiques… revus et corrigés par les architectes de l’époque.
De Gaudì en Gaudì
Antoni Gaudí sera nettement influencé par ce courant avant de trouver son propre style : organique, audacieux, dans la veine du modernisme catalan, qui s’inscrit dans la tendance de l'Art nouveau. Les réalisations de l’architecte barcelonais sont bien connues : la casa Batlló, la casa Milà (La Pedrera), la Sagrada Família et le parc Güell…
Étrangement, le Palau Güell, situé à deux pas de la Rambla, est beaucoup moins fréquenté. Il s’agit pourtant d’une des oeuvres les plus authentiques de Gaudí. C’est le seul bâtiment qu’il réussit à finir, et aussi le mieux préservé. Édifié pour la puissante famille Güell Lopez, ce palais à l’austère façade renferme des salles toutes plus excentriques les unes que les autres. Ici se télescopent toutes les formes, tous les styles : colonnes de marbre, voûtes paraboliques, plafond doré à caissons, coupole ajourée, céramique bariolée… Gaudí a tout tordu, tout vrillé : bois, pierre, fer forgé. Quant au toit-terrasse, il est parsemé de lanternons de mosaïque en forme de glaces à l'italienne.
Au nord du centre-ville, la casa Vicens est une autre œuvre méconnue du génial architecte et aussi sa première création en 1883. Alors tout juste diplômé, Gaudí imagine une maison orientalisante, décorée de carreaux de faïence vert et blanc, garnie de balcons en fer forgé et de claustras ocre, et dotée d’un incroyable fumoir arabisant en papier mâché bleu nuit et or… Restaurée en 2017, la casa Vicens est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, au même titre que toutes les réalisations majeures de l’architecte. L’étrange édifice donne l’occasion de se promener dans le quartier de Gràcia souvent oublié des touristes. En fin de journée, c’est un plaisir de flâner doucement d’une placette à l’autre. À l’ombre des platanes, on sirote une orxata (orgeat de souchet) en regardant les enfants jouer à la marelle autour d’une fontaine, pendant que les anciens refont le monde sur des bancs. Place du Diamant, place de la Virreina, place de la Vila de Gràcia, place del Sol… Partout, la même insouciance sous les balcons ventrus. Il suffit parfois d’un pas de côté pour découvrir la ville sans touristes. En plein coeur du barri Gòtic, le centre-ville historique, se cache l’église de Santa Anna et son cloître aux fines colonnettes. La rumeur de la ville semble lointaine dans cet espace de silence, inconnu des visiteurs.
Du côté de chez Pablo Picasso
Sacrée Barcelone : entre Gaudí et Miró, Picasso passerait presque inaperçu ! Situé dans cinq beaux bâtiments médiévaux, le musée Picasso présente, entre autres, les œuvres de jeunesse du maître du cubisme, qui vécut à Barcelone de 13 à 22 ans. Picasso a peint le quartier de la Barceloneta, le portail gothique de la cathédrale ; il fréquentait le bistrot bohème des Quatre Gats (Quatre Chèvres), toujours ouvert non loin d’ici ; et ses célèbres Demoiselles d’Avignon doivent leur nom aux prostituées de la rue d’Avinyo, près de la place Reial.
Hôpital quatre étoiles
À moins d’un kilomètre de la Sagrada Família, l’hospital de Sant Pau n’attire pas les foules, loin de là. Il s’agit pourtant de l’ensemble moderniste le plus important d’Europe ! Jusqu’en 2009, on soignait encore des patients dans ses incroyables pavillons Art nouveau, bâtis entre 1902 et 1930 par Lluis Domènech i Montaner. Le bâtiment principal mérite à lui seul le déplacement : une tour clocher de 62 mètres coiffe une façade foisonnant d’anges, de mosaïques et de médaillons. Pau Gil, le banquier de la reine, voulait que sa fortune servit à un hôpital pour les pauvres. Ces derniers étaient soignés dans des palais de céramiques aux couleurs apaisantes, éclairés de lumière naturelle, entourés de verdure. Tout était conçu pour l’agrément des patients et des médecins. La salle de chirurgie avec sa verrière en demi-lune permettait d’opérer à la lumière du jour. Heureux convalescents ! Dans le pavillon central, la décoration des salles est si riche que l’oeil ne sait où se poser : volutes, torsades, mosaïques, peintures, vitraux…
Une "casa" des 1001 nuits
Sur la large avenue passeig de Gràcia, les visiteurs se ruent sur la célèbre casa Batlló. Préférons plutôt la casa Amatller voisine, une autre splendeur du modernisme 1900. Pour montrer sa fortune, le chocolatier Amatller fit appel à l’architecte Josep Puig i Cadafalch, qui lâcha la bride à son imagination. Imaginez une demeure flamande transformée en un palais des mille et une nuits par une cinquantaine d’artisans, artistes et industriels. Le résultat, tantôt néotroubadour tantôt arabisant, est éblouissant et donne toute la mesure de l’effervescence artistique de Barcelone au tournant des XIXe et XXe siècles.