Nîmes, balade dans une ville romaine
Dans l'Antiquité, c'est un sanctuaire que l'empereur Auguste a paré d'enceintes et d'édifices publics dignes d'une capitale. Arènes, Maison Carrée, tour Magne... La ville entre Méditerranée et Cévennes a conservé de cette période des monuments remarquables. Et peut s'enorgueillir de la construction d'un des plus fabuleux aqueducs romains, le pont du Gard.
Il nous a donné rendez-vous devant le temple de Diane, dans les jardins de la Fontaine. Au pied d’une colline arborée : des bassins enlacés de balustrades, des vases sculptés, des statues... et les ruines romantiques d’un temple. Éric Teyssier, maître de conférences en Histoire romaine à l’université de Nîmes, a choisi de commencer à cet endroit son récit sur Nemausus, la cité gardoise dans l’Antiquité. « Tout a débuté ici, près d’une source et d’un bois sacré pour les Indigènes. Les Romains qui s’établissent, au Ier siècle avant notre ère, vont adopter ce sanctuaire et le monumentaliser avec des bassins, un théâtre, un temple.»
Namau, le dieu indigène qui habite la source, deviendra Nemausus chez les Romains et reste présent dans le nom de Nîmes. « Au sein de la province de la Narbonnaise, Narbonne était la capitale administrative et politique, Arles la capitale économique, et Nîmes la capitale religieuse. Il faut considérer cette dernière comme la Lourdes des Romains », éclaire Éric Teyssier. Le sanctuaire antique est dédié au culte des empereurs divinisés, en premier lieu Auguste, et prendra le nom d’Augusteum.
Un nymphée en point d'orgue
Du temple de Diane, il reste une vaste salle coiffée d’une voûte en berceau, des niches à frontons le long des murs et quelques caissons sculptés. Des inscriptions trouvées in situ, relatives à la déesse de la Chasse, lui ont donné son nom mais la fonction de l’édifice demeure incertaine. Bibliothèque ? Lieu d’accueil des pèlerins ? Site d’interprétation des rêves ? « Le temple a survécu car il a servi d’église, après avoir été abandonné au Ve siècle, explique Éric Teyssier. Quant aux autres ruines romaines, elles sont mises au jour au XVIIIe siècle, lorsque la ville entreprend des travaux pour utiliser l’eau pour les teintureries. » Les jardins de la Fontaine aménagés au siècle des Lumières, avec en point d’orgue un nymphée, s’appuient ainsi sur des canaux et des infrastructures antiques.
Une terrasse panoramique, des pelouses fleuries et un jardin de rocaille agrémentent la montée de la colline en direction de la tour Magne. « Elle signalait le sanctuaire », précise l’historien à propos de cette massive tour octogonale, autrefois dotée d’une rampe, probablement pour les processions. Elle a été édifiée autour d’une tour du rempart de l’ancienne agglomération gauloise. « Entre -45 et -40, Nîmes qui a déjà une existence de quelques siècles reçoit le titre de colonie latine et non de colonie de droit romain comme Narbonne, insiste-t-il. Cela lui confère une certaine autonomie et ne fait pas de ses habitants, les Volques Arécomiques, des citoyens romains : Nîmes a gardé un substrat gaulois. » La tour primitive disparaît en 1601 quand un jardinier nommé François Traucat la démantèle, pierre par pierre, dans l’espoir d’y trouver un trésor.
Une enceinte de 7 kilomètres
Vers l’an -15, l’empereur Auguste engage ses hommes dans des travaux herculéens à Nîmes. Ils bâtissent une enceinte de 7 km, flanquée de 80 tours. Rien de moins que le cinquième plus grand rempart du monde romain ! Alors que règne la pax romana, l’ouvrage assure une fonction plus statutaire que défensive. Au sommet de la tour Magne, dernière et plus haute des flèches qui hérissaient l’enceinte, Nîmes est à nos pieds.
Parmi les toits de tuile blonde, percent la silhouette ovale des arènes et la canopée verte des quais de la Fontaine, un axe qu’emprunte la voie Domitienne, bâtie par les Romains et reliant les Alpes aux Pyrénées. La route antique est enterrée sous les arbres et le bitume. Mais elle ressurgit à la porte d’Auguste qui découpait l’enceinte romaine de quatre baies toujours visibles, dont deux assez larges pour laisser pénétrer les attelages. Au-dessus des arches, une inscription latine rappelle la faveur particulière d’Auguste envers une ville qu’il dotera de ses monuments les plus emblématiques, hormis les arènes. Un autre vestige de l’enceinte romaine s’élève au sud des arènes : la porte de France. Son arcade unique révèle un rôle mineur.
Un ingénieux château d'eau
Nous quittons les jardins de la Fontaine pour regagner le centre historique. Éric Teyssier veut à présent nous parler d’eau. Nous nous rendons sur les hauteurs de Nîmes, rue de la Lampèze. Là, une pente suffisante permettait à l’eau d’arriver via un aqueduc de 50 km, avant d’être distribuée dans la cité. Face à nous, au pied d’un mur mangé par la végétation, le castellum est un bassin taillé dans la roche et percé d’orifices. Chaque cavité correspondait au départ d’une canalisation en plomb qui acheminait l’eau vers les fontaines, les thermes publics et certaines maisons privées. « Les Romains ont bâti le castellum et l’aqueduc quand la source sacrée et la nappe phréatique de la ville n’ont plus suffi à alimenter la population et à assurer son bien-être. Nîmes doit son développement à cet ingénieux réseau, dont le pont du Gard est le plus prestigieux ouvrage. » Le castellum de Nîmes est le seul au monde, avec celui de Pompéi, à être parvenu jusqu’à nous.
La Maison Carrée, monument emblématique
La Maison Carrée, un des monuments les plus emblématiques de la Nîmes romaine, est située à quelques centaines de mètres au sud du castellum. Depuis la rue Auguste, le temple, « remarquablement conservé car on lui a toujours trouvé des usages au cours du temps », dixit Éric Teyssier, révèle toute sa noblesse. Sur une plateforme surélevée, six colonnes de style classique corinthien délimitent le vestibule et soutiennent un fronton mutilé de petites perforations. Des frises ornées de rinceaux courent sur les trois autres façades. « Les trous indiquent l’empla- cement d’une inscription en lettres de bronze, dédiant le temple aux petits-fils et héritiers d’Auguste, Caius et Lucius Caesar, princes de la jeunesse », précise notre guide.
De près, les colonnes de la façade principale racontent leur histoire : érodées par le temps, semblant trembloter, elles expriment la fragilité plus que la puissance. Notre expert pointe des blocs de pierre dispersés sur la vaste place autour de la Maison Carrée. « Les bases des colonnes des portiques qui encadraient le temple et formaient le forum. Le centre politique et religieux de la ville comprenait aussi l’édifice de la Curie, siège de l’assem- blée politique, et une basilique judiciaire à proximité. » Ces constructions de l’époque augustéenne s’inscrivaient dans un vaste rectangle de 145m sur 65. Avec ses terrasses de café souvent bondées de monde, la fonction publique de la place autour de la Maison Carrée a bel et bien perduré...
Les arènes, bijou architectural
Au sud-est de l’ancien temple, un maillage régulier de rues étroites, truffées de commerces et de restaurants, compose le Vieux-Nîmes. En 470, quand les Wisigoths s’emparent de la ville et mettent fin à six siècles de présence romaine, Nîmes commence à décliner. Au fil du temps, elle perd sa population et se rétracte dans ce quartier, jusqu’à se retrancher derrière une nouvelle enceinte, en forme d’écusson. À la pointe Sud, à l’intérieur du rempart, un immense édifice haut d’une vingtaine de mètres lui sert de forteresse: les arènes. Les Romains n’avaient proba- blement pas pensé à cet usage quand ils bâtissent cet amphithéâtre à l’extrême fin du Ier siècle, tout à leur passion pour les combats de gladiateurs. Ils s’inspirent du Colisée érigé à Rome, quelques années auparavant.
De près, les arènes sont difficiles à appréhender d’un seul tenant mais il suffit de lever les yeux sur les deux rangées d’arches jetées au-dessus de nos têtes, pour que leur grandeur s’impose. Au nord, au-dessus de l’entrée principale, deux avant-corps de taureau sculptés donnent le ton. « Les jeux débutaient le matin par des chasses reconstituées avec des ours, des sangliers, des taureaux... Il y avait peu de lions car il fallait les faire venir d’Afrique », commente en souriant Éric Teyssier. À l’heure du déjeuner, se tenaient les exécutions des condamnés à mort, auxquelles peu de monde assistait. Brigands et criminels étaient jetés en pâture aux animaux sauvages, crucifiés ou brûlés. « Le clou du spectacle, c’était l’après-midi, avec les com- bats de gladiateurs. Des affrontements d’homme à homme, le plus souvent avec des armes non létales car c’est la beauté du geste que l’on venait admirer », poursuit le spécialiste.
Le pont du Gard ou le génie romain
À voir ce colosse de pierre rousse enjamber le Gardon avec ses trois niveaux d’arcades culminant à 50m, on songe au talent des Romains. Le pont du Gard est la pièce maîtresse d’un aqueduc de 50 km, bâti pour acheminer l’eau d’une source près d’Uzès jusqu’à Nîmes, avec un dénivelé de seulement 12m ! C’est aussi le plus haut pont romain de l’époque. Mis en eau autour de l’an 60, l’aqueduc est définitivement abandonné au début du vie siècle mais son âge d’or se limitera aux 150 premières années. Péage jusqu’au XVIIIe siècle, le pont du Gard est devenu, caché dans la garrigue méditerranéenne, le monument antique le plus visité de France.