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En kayak dans la vallée du Ciron

La descente en kayak du Ciron en Gironde La descente en kayak du Ciron en Gironde - © Philippe Roy / Détours en France

Publié le par Sophie Denis

Né dans les Landes d’une étreinte avec le sable, le Ciron folâtre gaiement sous les pins avant de venir s’épanouir dans le Sud Gironde, creusant un chemin d’eau à travers le plateau du Bazadais et les collines moelleuses du Sauternais. Cette rivière quasi inconnue cache bien son jeu. Classée zone Natura 2000, elle abrite la plus vieille forêt de France, quelques fiers châteaux et donne naissance aux plus célèbres vins liquoreux du monde.

Notre aventure en kayak commence à la base nautique de Bommes, au cœur du Sauternais. Le temps d’enfiler le gilet de sauvetage qui tient trop chaud aujourd’hui – mais c’est obligatoire –, de répartir les affaires dans les embarcations, et nous voilà partis derrière Alexis, notre guide.

 

Un milieu vieux de 40 000 ans

La descente du Ciron depuis la base nautique de Bommes en Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

À peine quelques coups de pagaie et les kayaks glissent comme des plumes sur l’onde transparente. Le silence nous enveloppe, à peine troublé par quelques trilles d’oiseaux et le murmure de l’eau. Au-dessus de nos têtes, la forêt galerie, une voûte d’arbres qui nous protège du soleil, crée un cocon de douceur et de fraîcheur. Elle est particulièrement fournie : aulnes, chênes, robiniers faux-acacias et des hêtres, les seuls de la Gironde. La hêtraie du Ciron est vieille de 40 000 ans, d’après une datation au carbone de micro-charbons de bois prélevés dans son sol, nous explique Alexis. Autrement dit, il s’agit d’une forêt relicte, qui n’a pas bougé depuis des milliers d’années. Et dire que des mammouths ont batifolé dans le même décor que le nôtre aujourd’hui ! Cette forêt et la fraîcheur qu’elle génère sont à l’origine d’un microclimat, qui profite à une faune particulière : le vison d’Europe, la loutre, la tortue cistude, l’écrevisse à pattes blanches, l’aigle botté. Alexis calme notre enthousiasme, car la tortue est trop discrète et la loutre ne sort que la nuit. Nous ne croiserons qu’un ragondin affairé, pressé de remonter la rivière sitôt après nous avoir croisés. La forte présence de la loutre dans le Ciron est un gage de la pureté de l’eau, tout comme la vingtaine de variétés de poissons dont il est aussi l’habitat. Classée zone Natura 2000, la vallée du Ciron a été qualifiée par le milieu scientifique d’arche de Noé de la biodiversité.

 

Des moulins qui ravitaillaient Bordeaux

Le Ciron qui favorise le développement de la pourriture noble sur les raisins du vignoble de Sauternes.
© Philippe Roy / Détours en France

Malgré la chaleur de l’été, le niveau du Ciron nous paraît plutôt élevé, plus par exemple que la Leyre, autre rivière dotée d’une forêt galerie qui se jette dans le bassin d’Arcachon. Alexis nous fait remarquer à droite et à gauche les petits bras encombrés de branchages, tout un réseau de ruisseaux qui alimentent la rivière au long de son cours. Cela explique pourquoi il y a ici moins de problèmes de sécheresse qu’ailleurs. Sur la gauche, un moulin nous fait signe. La vallée compte des meuniers depuis le Xe siècle. Au Moyen Âge, ils ravitaillaient les boulangers de Bordeaux. Au XIXe siècle, les moulins se sont mis à fabriquer du papier et des tissus de feutre. On en comptait une quarantaine, impressionnant pour une rivière de moins de cent kilomètres. Alors que nous passons sous le pont de Lassalle à Pujols-sur-Ciron, des randonneurs nous saluent. Sans doute nous envient-ils, car il commence à faire chaud sur la terre ferme. Un autre moulin se profile à l’horizon, il faut franchir une petite écluse. Ouf ! Je suis passée ! « Sur votre gauche, vous avez le vignoble des Graves, à droite celui des sauternes », précise notre guide. Mais où sont donc les vignes ? « Elles ne sont jamais plantées en bord de rivière, toujours plus loin, à cause des inondations durant l’hiver. » Ma question était bien celle d’une citadine.

 

Sans Ciron, pas de sauternes !

La chai à barriques du domaine de Carbonnieu en Gironde
© Philippe Roy / Détours en France

Alexis est très calé en vin, il est propriétaire du domaine de Carbonnieu et se propose de nous faire goûter les vins de la propriété, située en bord de rivière. Encore quelques coups de pagaie, le temps de profiter du vol d’un martin-pêcheur, dernier cadeau de la rivière et nous voilà arrivés. En chemin vers la cave, Alexis explique le lien très fort qui unit le Ciron et les vins de Sauternes : « À l’automne, quand les eaux fraîches de la rivière se jettent dans celles plus chaudes de la Garonne, la rencontre crée un brouillard à l’origine du botrytis cinerea, un petit champignon qui se dépose sur les grains et crée de la pourriture noble. Et si le Ciron n’existait pas ? Les vins de Sauternes n’existeraient pas non plus. » Tortues cistudes, loutres, hêtres rescapés d’une forêt antédiluvienne, grains dorés, concentrés en sucre... tout cela tient à un équilibre très fragile, œuvre de la nature, qui n’a à craindre qu’un ennemi : l’homme. Chaque fois qu’il s’en mêle, il crée un problème. Déjà il a commencé à planter des arbres exotiques, les faux-acacias, utilisés pour les piquets de vigne mais très invasifs. Et voilà maintenant le projet de LGV Bordeaux-Toulouse, dont le tracé va impacter le Sud Gironde et la vallée du Ciron, qui ne méritera peut-être plus son titre d’arche de Noé de la biodiversité. Mais il paraît qu’il faut aller toujours plus vite. Le Ciron, lui, aime prendre son temps.

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