Une balade en Solex dans le vignoble de Gaillac

Le moteur du Solex pétarade joyeusement en entrant dans le village de Puycelsi. Nous venons de gravir une belle côte à une allure « rétro », qui permet d'admirer le paysage du Gaillacois. Vincent Pinel, notre guide à deux-roues, nous conduit dans les ruelles étroites du village, ses maisons à encorbellement, son chemin de ronde panoramique. Puis nos Solex descendent la pente à 30 kilomètres/heure. Pédalant dans les montées, nous contournons Puycelsi perché sur son puech. Des rangs de vigne annoncent bientôt le domaine du château de Terride.
Nous faisons halte dans cet ancien relais de chasse tenu par une figure des vins de Gaillac, Alix David. Cette viticultrice au verbe haut (et drôle) nous fait déguster quelques cépages locaux aux noms chantants, comme le braucol (« un cousin du cabernet, une signature rustique »), le mauzac (« qui nous fait un pétillant aux arômes de poire et de pomme »), et le loin de l'œil.

À l'ombre du cèdre, la vigneronne organise en été des apéros concerts, une spécialité du Gaillacois. Une façon conviviale de faire connaître les vins de Gaillac, mais aussi de financer les projets des Z'elles gaillacoises, une association de vigneronnes qu'elle a fondée en 2015. Leur projet ? Sauver de la ruine les pigeonniers de la région. « Il en existe plus de 300 sur l'appellation. C'est un patrimoine viticole qui remonte au Xe siècle, quand l'abbé Michel, fondateur de l'abbaye Saint-Michel à Gaillac, a mis en place les règles de production du vin. Le seul engrais dans la vigne autorisé était la colombine (fiente de pigeons). Tout le monde s'est donc mis à avoir un pigeonnier. Et au prix actuel de l'urée foliaire, on ferait bien d'y revenir ! », rigole-t-elle.

L'histoire du pigeonnier restauré
Le premier pigeonnier restauré grâce aux Z'elles fut celui de Louis de Faramond, au château Lastours. Un bel édifice de 1650, perché sur des piliers étudiés pour empêcher rats et fouines de grimper jusqu'aux pigeons. « On a progressivement abandonné les pigeonniers avec l'arrivée des engrais chimiques. Et puis on a arrêté de manger des pigeons », souligne Alix. Cinq pigeonniers ont déjà été restaurés, un sixième est en cours. Les ventes aux enchères financent les caisses, et des randonnées commentées autour des pigeonniers sensibilisent les propriétaires.
Découverte de la Toscane occitane

À quelques kilomètres de là, Alix David nous emmène au château de Saurs. Au cœur d'un jardin planté de cyprès et de pins parasols, cette superbe villa palladienne domine légèrement la vallée du Tarn. La « Toscane occitane » vantée par l'office de tourisme prend ici tout son sens. « La belle cave voûtée a d'abord été construite, puis le château a été bâti au-dessus, ce qui est une autre particularité du patrimoine gaillacois », observe la viticultrice.

On retrouve l'élégance toscane des collines gaillacoises du côté de Montels.
Un vélo électrique permet d'avaler facilement les petites côtes. C'est que la route ondule joyeusement, l'air de rien ! Des groupes de vendangeurs font des taches colorées dans les vignes. De beaux mas sont posés au sommet de mamelons, parmi les pins et les peupliers aux airs de cyprès. Le domaine Plageoles n'est pas loin. C'est là que les cépages autochtones ont été replantés dès les années 1970 : duras, ondenc, loin de l'œil et mauzac. La famille Plageoles a marqué l'histoire des vins de son empreinte. Damien Bonnet, au domaine de Brin, le sait bien.

Comme les Plageoles, ce viticulteur a replanté mauzac, prunelard, ondec, duras, « des cépages adaptés au terroir ». Il a délaissé la cave coopérative pour faire son propre vin, bio, vendangé à la main, élevé en barrique, en foudre, en jarre de grès et même en amphore de terre cuite. Une approche plus pointue pour une qualité bien meilleure. Ce qui ne l'empêche pas de proposer un large choix : blanc, rouge, rosé, vin perlé, vin voilé, vin orange, vin doux… « Les dégustations peuvent durer un moment ! », sourit-il.
De superbes villages : Puycelsi, Cordes-sur-ciel, Castelnau-de-Montmirail...

Lorsqu'on quitte les caves et les petites routes, on tombe sur des perles de villages. Puycelsi, bien sûr, l'incontournable Cordes-sur-Ciel, mais aussi Castelnau-de-Montmiral, lui aussi juché sur son promontoire et comme ramassé autour de sa charmante place. Le long des rues pavées, la brique et les pans de bois ornent les façades, des arches en ogive scandent la place des Arcades. Gaillac elle-même a de l'allure avec son abbatiale au bord de l'eau. Tous les vendredis d'été, un apéro-concert se tient dans les jardins de la vieille abbaye.
Découvrez le vignoble de Fronton

À 50 kilomètres plus à l'ouest, nous entrons dans le vignoble de Fronton. C'est ici, entre Toulouse et Montauban, que l'on produit « le vin des Toulousains ». Comme à Gaillac, la vigne remonte à l'époque romaine. Et comme à Gaillac, le vin monte en gamme depuis que les vignerons de l'AOP Fronton ont décidé de perpétuer la culture d'un cépage local oublié, la négrette. La légende dit que ce raisin aurait été rapporté de Chypre au XIIe siècle par les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. « Ça, on n'en sait trop rien, mais ce qui est sûr, c'est que la négrette a perduré car c'est un cépage adapté au terroir d' ici, généralement des boulbènes, alluvions composées de galets, graviers, sables et limons », explique Frédéric Ribes, qui dirige avec sa fille le domaine Le Roc.

La négrette a longtemps été méprisée : trop fragile, supportant mal les grosses productions, on lui a préféré d'autres cépages pour faire du vin de table. Depuis quelques années, elle revient en force. Elle doit rester majoritaire dans chaque cuvée, et certains vignerons font même du 100 % négrette. « Profondeur, douceur et persistance », juge le magazine américain Wine Spectator. « Un placard à épices, avec des notes de paprika et de cardamome ! », observe Frédéric Ribes. « Un arôme de réglisse ! », dit-on au château Saint-Louis.
Halte au château Saint-Louis

Cet étonnant domaine a été façonné par un physicien iranien, Ali Mahmoudi, hélas précocement disparu. S'il fut le premier à convertir l'ensemble du domaine au bio, il apporta aussi sa touche exotique au château. Passé la belle allée de pins, un pigeonnier se croit en Orient avec sa faïence bleue et sa coupole. L'ancien hangar à tracteurs a été transformé en un chai sorti des Mille et une Nuits ! La brique est soulignée de carreaux de faïence bleue, des tapis persans côtoient des panneaux peints. Le clou de la visite reste la « salle des coffres », une rotonde de brique et de céramique d'Iran où les bonnes bouteilles sont entreposées dans de petites niches.
Visite de Villemur-sur-Tarn

Le vignoble de Fronton s'étend dans une plaine, offrant des paysages moins riants que ceux du Gaillacois. Heureusement, le territoire recèle quelques trésors du patrimoine. À Villemur-sur-Tarn, il faut admirer l'étonnante fresque de la « guerre des Anges », peinte par Bernard Bénézet, né dans l'Aude et qui a fini sa vie à Toulouse. D'autres anges ont fait la fortune de la ville : les cheveux d'ange, pâtes alimentaires produites dans l'énorme manufacture de 1872, sise de l'autre côté du Tarn. Du patrimoine industriel, et du beau ! L'usine en friche s'apprête à connaître une seconde vie.

Villemur-sur-Tarn abrite aussi les beaux greniers du Roy, dotés d'une galerie à arcades Renaissance, et une tour de défense du XIIe siècle les pieds dans l'eau. Il faut passer la Garonne, plus à l'ouest, pour tomber sur une merveille médiévale : la halle de Grenade. L'ancienne bastide a conservé cette halle marchande, l'une des plus vastes et des plus anciennes de France. Sa charpente est soutenue par 36 piliers de brique octogonaux et est coiffée d'un beffroi. Surtout, elle abrite entre ses poutres une véritable maison suspendue où se réunissaient jadis les consuls et les gardes. Verdict de notre match œnotouristique : le Gaillacois l'emporte en termes de paysages, mais le Fronton se défend sur le patrimoine. Quant à départager les vins, entre braucol et négrette, nous laisserons chacun juge !