Les gorges de Daluis et du Cians : le Colorado niçois
Dans l’arrière-pays niçois, le Var et son affluent, le Cians, ont creusé de profondes gorges aux surprenantes couleurs rougeoyantes. Un paysage de canyon, qui offre comme une immersion dans le Colorado américain ! Ce territoire réserve d’autres sources de dépaysement, avec un village aux allures tibétaines et une petite Cappadoce version Alpes du Sud...
Perchée sur son éperon rocheux dominant la vallée du Var, la citadelle d’Entrevaux semble encore garder, plus de trois siècles après le passage de Vauban, les gorges de Daluis, la haute vallée du fleuve. Passé la cité fortifiée, la D2202, qui remonte en corniche la rive droite du Var jusqu’au bourg de Guillaumes, offre soudainement une immersion dans un décor plutôt inattendu en France. Sous le regard, un paysage rougeoyant totalement unique, comme un petit morceau de Colorado qui se serait égaré dans les Alpes-Maritimes. « Ces roches de couleur lie-de-vin, creusées par le Var, sont appelées pélites, précise Aymeric Saulnier, de la Réserve naturelle régionale des gorges de Daluis, et géologue de formation. Elles correspondent à des cendres volcaniques et à des sédiments déposés il y a plus de 250 millions d’années, ayant subi une oxydation. Une couleur et un patrimoine minéralogique exceptionnels. » Le résultat, en effet, est presque irréel. En outre, le secteur possède une faune et une flore d’une grande richesse.
Des sculptures naturelles
La route en lacet serpente de tunnel en tunnel, de canyon en à-pic. Par endroits, elle surplombe le Var, presque au bord du vide, de plus de 300 mètres. Vertigineux! Au fil de la route, se découvrent des sculptures naturelles, qui ont été dessinées par l’érosion. Tel ce rocher en forme de tête de femme, laquelle est devenue dans l’imaginaire collectif local « la Gardienne des gorges ». C’est justement là, avant le village de Daluis, au niveau du pont de Berthéou, qu’une randonnée facile permet de traverser ce paysage de schiste rouge. Un ancien chemin de transhumance mène jusqu’au point Sublime, un belvédère à 900 mètres d’altitude, qui mérite pleinement son appellation : il offre une vue grandiose sur ce paysage minéral. Reprenons la route, qui est jalonnée d’ouvrages spectaculaires.
Au pied des « Demoiselles »
Premier d’entre eux : le pont de la Mariée, jeté au-dessus du Var. Il fait aujourd’hui la joie des amateurs de saut à l’élastique. Mais à l’origine, il a été construit pour... le passage d’un tramway ! Car un audacieux tortillard assurait jadis la liaison Pont-de-Guey-dan-Guillaumes. Il fallait une heure pour parcourir quelque 20 kilomètres ! En 1929, devant le coût colossal de l’entretien de la ligne, l’exploitation de celle-ci fut arrêtée, six ans à peine après son ouverture... Nous arrivons à Guillaumes, bourg encore dominé par les ruines de son château-donjon construit au XVe siècle par le roi René, comte de Provence – il fut démantelé au XVIIIe siècle. Pour gagner Beuil, il faut prendre de préférence la route départementale 29 qui propose, en suivant le courant sauvage du capricieux torrent du Tuébi, un détour par Péone : ce village médiéval de bout du monde est blotti au pied de gracieuses et hautes aiguilles dolomitiques, appelées les « Demoiselles », modelées au fil des millénaires. Ces cheminées de fée donnent au lieu des allures de petite Cappadoce, une région turque connue pour ses remarquables formations géologiques ! Sur les hauteurs de Péone, passé l’église baroque Saint-Arige-et-Saint-Vincent-de-Saragosse (XVIIIe siècle), la promenade des « Demoiselles » permet d’approcher ces pitons de cargneule impressionnants.
Un ciel caché
Beuil, au milieu des alpages du Mercantour, dominé par la pyramide grise du mont Mounier (2 817 mètres), fut quant à lui le berceau du ski et des sports d’hiver dans les Alpes-Maritimes. Ce gros bourg, resserré autour de sa belle église Saint-Jean-Baptiste-Notre-Dame-du-Rosaire (XVIIe siècle), a gardé son caractère alpin, avec ses maisons coiffées de bardeaux de mélèze, où s’accrochent encore des souleiaires, ces balcons-greniers où l’on faisait sécher les récoltes. Beuil est au débouché des gorges du Cians, affluent du Var, qui prend sa source au mont Mounier. Le paysage, de schiste rouge, est proche de celui des gorges de Daluis. Mais ici, la route, inaugurée à la fin du XIXe siècle, s’engouffre au fond du relief. Comme on s’y sent petit, soudainement ! D’autant que par endroits, notamment dans la Grande Clue et la Petite Clue, les gorges se rétrécissent, refermant les falaises au-dessus de la rivière, et cachant presque le ciel. Dantesque !
Touët-sur-Var, le village tibétain
En redescendant la vallée, via les gorges inférieures de couleur blanche, surgit bientôt Touët-sur-Var, qualifié de « village tibétain ». Lorsqu’apparaît le bourg, le long de la très passante Départementale 6202, la vision nous transporte, il est vrai, en Asie, tant il semble défier les lois de l’équilibre. Les maisons à grenier ouvert, hautes et étroites, serrées les unes contre les autres, évoquant un assemblage de briques Lego, s’accrochent superbement à une vertigineuse falaise verticale. Nul besoin d’aller au bout du monde pour voyager, quand Colorado, Cappadoce et Tibet s’invitent dans le décor des Alpes-Maritimes !