Tumulus de Bougon : site néolitique en Deux-Sèvres
Le tumulus de Bougon dans les Deux-Sèvres est la nécropole la plus ancienne connue en Europe. Le préhistorien Jean-Pierre Mohen a fouillé pendant plus d’une décennie le site néolitique des tumulus de Bougon (Deux-Sèvres). En 1979, il organise le déplacement d’une dalle de 32 tonnes avec les techniques néolithiques. Il nous raconte ses différentes découvertes et ses hypothèses. Fascinant.
La découverte du lieu
Découvert en 1840, le site de Bougon a très tôt livré des éléments parlants – notamment un trésor de 200 squelettes humains et d’offrandes. Ce que l’on prenait pour des tas d’épierrements s’est révélé être une nécropole abritant plusieurs tumulus (dolmens recouverts d’un remblai), dont le département des Deux-Sèvres négocia l’acquisition en 1875.
Après un siècle d’interruption, les fouilles ont repris en 1968 et ont été dirigées de 1972 à 1985 par Jean-Pierre Mohen. Avec son équipe, celui-ci a recueilli 23 000 autres fragments d’os, appartenant à 110 adultes et 35 enfants. Il a aussi avancé dans la reconnaissance et l’interprétation des six tumulus, qui ont été utilisés pendant plus de mille ans, à partir de 4700 avant J.-C.
Le tumulus le plus ancien possédait une coupole en pierre sèche, comme dans les trulli d’Italie du Sud. Le tumulus central avait une toute petite chambre tandis que le tumulus A, de forme circulaire, avait une dalle de 90 tonnes en aigrain, une pierre fossile d’origine corallienne. Quant au tumulus F, long de 72 mètres, il possédait deux chambres, une à chaque extrémité.
Une énigme de poids
La variété des pierres utilisées imposait de déterminer leur provenance, dans une configuration géographique assez simple : un plateau encadré par deux rivières, la Sèvre niortaise et le Pamproux, la nécropole se trouvant à équidistance des deux. La conclusion fut que les pierres de la nécropole provenaient de différentes carrières, ce qui donnait l’impression que plusieurs communautés avaient choisi de réunir leurs morts en un même lieu, bien visible, sur une élévation de terrain.
L’une des dalles de couverture pesait 90 tonnes, l’autre, près de 32 tonnes. Elle était constituée d’une roche dure - du calcaire bathonien à silex provenant d’une carrière située à 4 kilomètres. Comment les hommes préhistoriques s’y sont-ils pris pour déplacer de telles masses sur les tumulus ?
Des habitants coopérants
« Dans les années 1970, des observateurs avançaient que c’était un exploit impossible à réaliser par des hommes du néolithique, explique Jean-Pierre Mohen. Certains “archéologues des forces secrètes” y voyaient l’action de puissances sidérales. Cela m’irritait profondément. Nous commencions à disposer d’éléments, provenant des fouilles, sur le type de pierre et d’outils utilisés, etc.
Il fallait tenter une démonstration pour prouver que cela était possible ! » L’extraction de la pierre ne pose pas de problème. Les strates de la roche sont accentuées par percussion. On introduit des coins de bois mouillés et taillés en biseau et la roche finit par se « cliver » sans besoin de la tailler jusqu’au bout. Elle est ensuite extraite grâce à des pics en bois de cerf. Mais pour le transport ? La réussite de l’opération, programmée pour l’été 1979, passait par la coopération des habitants.
Une mystique commune
« Je suis allé voir les maires en leur expliquant que nous faisions des fouilles depuis dix ans, que nous commencions à comprendre mais qu’il fallait vérifier les hypothèses, poursuit le préhistorien, qui avoue avoir rencontré un certain scepticisme. Bougon se trouve à côté de l’école d’officiers de Saint-Maixent, qui se sont rendus disponibles. Quand les maires l’ont appris, ils ont tout de suite accepté de nous aider ! Le Conseil général, propriétaire du site, a proposé de monter une buvette… Une scierie nous a fourni les troncs pour le roulement. Un vieux couple nous a indiqué les techniques ancestrales pour fabriquer des cordes en fibres de lierre et de viorne. »
Tout est prêt pour l’épreuve le 28 juillet 1979. Cinq cents volontaires sont présents dès le lever du soleil. Empaquetée, encordée, progressant sur des « rouleaux » posés sur des « rails » (d’autres troncs équarris), la dalle tractée par 200 tireurs avance de plusieurs dizaines de mètres dans la matinée.
Cet événement prouve que le défi n’est pas impossible à relever et qu’en plein XXe siècle, avec des acteurs pourtant conscients de participer à une simple reconstitution, l’union des forces crée une mystique commune – la même exaltation qui a dû présider autrefois à l’édification de ces monuments colossaux. Les fouilles ont livré une moisson funéraire qui a soulevé d’autres questions.
À côté d’épingles, de haches polies et de coquillages percés, deux calottes crâniennes ont été trouvées dans le tumulus A. Sur l’un des crânes, il y avait trace de trois trépanations, qui consistent à ouvrir le crâne pour diminuer la pression. Deux de ces opérations montrent des traces d’ossification, prouvant qu’elles ont été couronnées de succès. La troisième n’a pas cicatrisé : le patient est sans doute mort à l’issue de celle-ci. Ou a-t-on voulu lui ouvrir le crâne, post mortem, pour voir ce qui se passait à l’intérieur ?
Bougon a son musée

Les salles y détaillent la géologie du Seuil du Poitou et les caractères principaux de la « révolution néolithique », qui entraîna un changement complet de mode de vie, marqué par l’agriculture, l’élevage, le tissage et la sédentarisation. Le musée propose expositions et ateliers de maniement d’outils néolithiques.
D’autres indices font penser à un rangement ordonné de crânes, comme s’il s’agissait de reliques, et à une manipulation intensive des ossements, dont certains, non retrouvés sur le site, ont dû être emportés en d’autres lieux. Le tout semble militer pour un culte funéraire élaboré.
L’une des hypothèses avancée par Jean-Pierre Mohen est que les tumulus ne servaient pas uniquement à être vus et à abriter des cérémonies, mais qu’ils pouvaient faire partie d’une chaîne de « relais » accueillant ou envoyant des ossements vers d’autres sites comparables. Une sorte de réseau de sanctuaires s’échangeant une part de sacré…
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