À Marennes, capitale ostréicole de Charente-Maritime impossible de manquer le clocher-porte de l'église Saint-Pierre-de-Sales. Avec ses 85 mètres de hauteurs, cette massive tour gothique sert aussi bien d'amer aux marins qui croisent sur les eaux du bassin de Marennes-Oléron que de repère aux randonneurs qui s'aventurent dans les marais alentour. C'est ici que commence notre périple sur la Vélodyssée, cet itinéraire cyclable qui longe le littoral atlantique sur 1300 kilomètres, de la Bretagne au Pays basque. Notre objectif, plus modeste, est de remonter la côte jusqu'à l'estuaire de la Loire. Notre premier itinéraire sera de filer de Marennes jusqu'à La Rochelle, via Rochefort, soit 90 kilomètres en trois jours. Sitôt quitté le bourg de Marennes, nous "plongeons" dans le marais de Brouage, labyrinthe de canaux qui se déploie au milieu des près-salés, à quelques encablures de l'océan et de l'île de'Oléron.
Mosaïques de salines
Nous nous retrouvons au cœur de l'ancien golfe de Saintonge, dont la mer s'est progressivement retirée à partir du Moyen Àge. De part et d'autre de l'étroite route, le soleil fait miroiter la mosaïque des salines exploitées jusque dans les années 1950. Quelques vaches maraîchines, robe café au lait et yeux cernés de khôl, broutent paisiblement. Unique repère dans ce paysage aquarelle : les remparts de la cité fortifiée de Brouage, où l'on entre à bicyclette par la porte nord. Gravés sous la voûte de dix kilomètres direction pierre, des graffitis de navires La Rochelle, une première surgissent d’un autre temps.
Des rues à angles droits bordées de maisons basses à volets gris, une petite école, quelques commerces et une vieille église qui célèbre le souvenir de l'enfant du pays Samuel Champlain, qui fonda la colonie de Québec en 1608. Difficile aujourd'hui d'imaginer que cette citadelle endormie, à 3 kilomètres de la mer, fut à son âge d'or l'un des ports les plus actifs de la côte atlantique. Les 2 kilomètres de fortifications qui l'entourent, ponctués de bastions, d'échauguettes et autres courtines, disent pourtant son glorieux passé. "Au début du XVIIe siècle, Brouage prospérait grâce au commerce de l'or blanc, le sel récolté dans les marais alentour. Elle comptait alors 4500 habitants, contre 120 aujourd'hui et jusqu'à 200 navires marchands, bricks, hourques et autres frégates pouvaient mouiller en même temps le plus profond estuaire qui jouxtait ses remparts", explique l'historienne Léa Verges, en nous entraînant à la découverte des vestiges de la ville royale, désormais délaissée par l'océan. Ici, on découvre les forges, plus tard devenues prison, aux murs couverts de graffitis par des prêtres réfractaires enfermés sous la Révolution ; plus loin, la poudrière de la Brèche et le clos de la Halle aux vivres, où les marins s'approvisionnaient en blé et salaisons ; enfin, l'ancien port souterrain avec ses quais de déchargement, caché au creux des remparts...
Le sentier des polders

Quelques kilomètres plus loin, nous arrimons les vélos devant la ferme de plaisance, tapie au milieu des marais. C’est un des QG de la réserve naturelle de Moëze-Oléron, 6 500 hectares protégés entre terre et mer et une étape privilégiée pour les oiseaux sur la voie de migration Est- Atlantique. Longue-vue sur l’épaule, l’animatrice de la LPO Nathalie Bourret nous accompagne sur le sentier des polders (1,4 km en boucle). Entre les coursives, ces chenaux remplis d’eau de mer à chaque marée, la salicorne déploie un tapis rougeoyant, déjà aux couleurs de l’automne. Nous sommes aux premières loges pour observer le petit peuple des limicoles, juchés sur leurs longues pattes, qui reviennent chaque fin d’été fouiller de leurs becs courbes la vase des marais et des estrans. Bilan de la balade : des escadrilles de courlis cendrés aux tweets mélodieux, des bécasseaux variables à dos roux, quelques avocettes élégantes avançant à pas de danseuse... Maintenant, cap vers l’océan ! En face du village de Port-des-Barques, la marée basse a découvert la passe aux Bœufs, le cordon de sable d’un kilomètre qui relie le continent à l’île Madame. Une unique piste fait le tour de ce minuscule confetti semé de criques sauvages, de cabanes à carrelets et de petits bois de pins. Retour à l’enfance, parfums de mûres, panoramas sur l’estran et les îles voisines d’Aix et Oléron... En chemin, on s’arrête à la croix de galets, élevée à la mémoire des prêtres réfractaires déportés ici à la Révolution ; on grimpe au fort du XVIIIe siècle, autrefois partie du système de défense de l’arsenal de Rochefort et on découvre la ferme aquacole de l’île, propriété de la famille Mineau depuis trois générations.


Après une nuit à l’hôtel La Chaloupe de Port-des- Barques, nous voilà repartis. À 3 kilomètres, sur la rive sud de l’estuaire de la Charente, se dresse la fontaine royale de Lupin, élégante aiguade en pierre de taille. « Au XVIII e , quand l’arsenal de Rochefort était au pic de son activité, le va-et-vient était incessant sur le fleuve, raconte notre guide Christophe Richard. Chaloupes et navires venaient se ravitailler en eau potable à cette fontaine, où l’eau captée sur les coteaux de Saint-Nazaire- sur-Charente était stockée dans des caves voûtées. Les équipages embarquaient à Port-des-Barques vers les qui tentaient d’y échapper risquaient le bagne... » C’est aussi de cette époque que date le fort Lupin, que l’on découvre un peu plus loin. Batteries en demi-cercle face à la Charente, remparts en étoile et douves en eau côté terre, cette forteresse conçue par Vauban était le dernier rempart de protection de Rochefort. Depuis les années 1960, elle est la propriété de la famille Descubes.

Pour rejoindre Rochefort, il faut traverser la Charente. De septembre à avril, le bateau- passeur du port fluvial de Soubise ne fonctionne que le week-end. Alors on suit la piste balisée jusqu’au pont transbordeur du Martrou. Sa nacelle suspendue nous transporte en un clin d’œil sur la rive nord. De là, le chemin de halage mène à l’ancien arsenal royal de Rochefort. Créée ex nihilo au XVIIe siècle puis fermée dans les années 1930, cette gigantesque base navale est devenue l’Arsenal des Mers, un musée consacré à l’histoire de la marine à voile. Sa pièce maîtresse ? La Corderie royale. L’impressionnante longueur de ce bâtiment, 300 mètres (hors pavillons aux deux extrémités) procède d’un calcul d’ingénieur. Pour obtenir un cordage à la longueur réglementaire d’une encablure, soit presque 200 mètres d’un seul tenant, il fallait torsader les fibres de chanvre sur 300 mètres, le mouvement de torsion réduisant le câble d’un tiers.

Plan militaire en damier, avenues bordées d’hôtels particuliers, majestueuse place Colbert... La ville qui a poussé autour de l’arsenal déploie son décor « grand siècle » et résonne du souvenir des Demoiselles de Rochefort, comédie musicale tournée en 1967 par Jacques Demy. Pour se consoler de la fermeture de la maison de Pierre Loti, en travaux jusqu’en 2025, on pousse la porte du musée Hèbre, dédié à l’art et à l’histoire locale. Entre des paysages orientalistes et des pièces rapportées des quatre coins du monde, on y trouve l’étonnant plan-relief de la ville, conçu par l’ingénieur Pierre- Marie Touboulic en 1835. Puis on prend nos quartiers au Roca Fortis, un ancien hôtel particulier du XVIIe siècle. Demain, la Vélodyssée nous entraînera en ligne droite à travers les marais d’Yves puis par la route-digue qui longe les plages de Châtelaillon, Angoulin, Aytré... pour une arrivée en beauté dans la cité maritime de La Rochelle.