« Les arbres qui bordent l’aber ont un rôle : ils vivent, ils perdent leurs fruits, noisettes, glands ou châtaignes, et leurs frondaisons se désagrègent dans l’eau. C’est comme une feuille de thé qui infuse », explique Caroline Madec, sous un grand pin devant un méandre de l’aber Benoît. Sur la rive droite de ce fjord breton, l’ostréicultrice au franc sourire sait reconnaître ce que ses huîtres doivent aux épousailles de la mer et de la terre, à la rencontre de l’eau salée et de l’eau douce. Et si ce mariage était la meilleure définition d’un aber, ce mot celtique qui signifie estuaire et que seuls les Nord-Finistériens emploient quand, ailleurs, on parle de ria ? La jeune femme nous a conduits quelques kilomètres en amont de l’embouchure, à Penhauban. Un bois planté par son grand-père enveloppe de vert et de fraîcheur le sentier qui domine la rive. Peu après, l’aber se rétrécit et s’enfonce dans le paysage champêtre. Sous la surface de l’eau, des stries sombres laissent deviner les parcs à coquillages. « Les huîtres affinées en fond d’aber, les spéciales, sont plus charnues, plus douces et sucrées que celles situées davantage en eau. En amont, le plancton est plus abondant », souligne Caroline avant de nous mener tout près, à Prat-Ar-Coum, fief de l’entreprise familiale. Depuis 1898, cinq générations de Madec se sont succédé dans l’ostréiculture de l’aber Benoît. Au milieu du XIXe siècle, c’est un Normand, Édouard Delamare-Deboutteville, par ailleurs inventeur du moteur à explosion, qui introduit l’élevage des huîtres ici, décelant un terroir unique façonné par les marées. Il fera aussi construire le manoir à l’architecture anglo-normande voisin qui fut la propriété de Jane Birkin, très attachée à l’aber. Pendant la guerre, son père, officier de la marine britannique, y exfiltra des pilotes anglais.

Paysage poétique
Depuis la terrasse de Prat-Ar-Coum, on ne voit pas encore la pleine mer. Sur le coteau d’en face, les maisons blanches aux toits d’ardoise de Saint-Pabu semblent converser avec les embarcations qui mouchettent le fleuve. Caroline Madec a ouvert quelques huîtres, disposé du homard et une araignée de mer sur un plateau. C’est elle désormais qui préside aux destinées de l’entreprise familiale, avec des sites d’élevage situés dans la rade de Brest, la baie de Morlaix, l’Aber-Wrac’h et l’aber Benoît. Les huîtres sont toujours affinées dans ce dernier pour avoir la signature de Prat-Ar-Coum. D’autres ostréiculteurs se sont aussi installés ici, mais les Madec sont les seuls à élever des huîtres au sol. Une technique nécessitant l’usage de trois bateaux dragueurs traditionnels. Sur l’autre rive, Caroline nous mène au chantier naval qui répare l’un de ces navires en bois ventrus, avec une cabine couronnée d’une mâture pour draguer les coquillages. « Quand le bateau est en action et que se déploient les câbles et les mâts, on dirait un papillon », sourit-elle. Son oncle, Loïc Madec, le seul à avoir dérogé à l’histoire familiale pour embrasser une carrière artistique, partage cette vision poétique depuis sa maison-atelier de Prat-Ar-Coum : « L’aber est un espace créatif incroyable qui berce d’un sentiment de paix et de sérénité. »