Détours en France : Rêver et visiter, apprendre et voyager, se divertir et voir la France autrement

La Brenne, mille étangs en terre inconnue

Vue aérienne sur les étangs artificiels de la Brenne, qui en dénombre plus de 2 700. Haut lieu de la pisciculture, refuge pour les animaux, zone humide d’importance internationale... Vue aérienne sur les étangs artificiels de la Brenne, qui en dénombre plus de 2 700. Haut lieu de la pisciculture, refuge pour les animaux, zone humide d’importance internationale... - © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Publié le par Tuul Morandi

Partez à la découverte du parc naturel régional de la Brenne, véritable sanctuaire pour espèces menacées. Tortues d’eau douce, oiseaux migrateurs et lépidoptères vous attendent au cœur d’une mosaïque de paysages époustouflants.

Le soleil caresse de ses premiers rayons une vaste étendue d’eau réveillant en surface une brume dansante, comme un signe de bienvenue dans la Brenne. La journée commence à Rosnay, village indrien de 500 habitants. Carnet de notes et appareil photo dans le sac, nous enfourchons nos vélos pour une balade découverte en compagnie de Cyril Chapelon, le « monsieur Randonnée » du parc naturel régional de la Brenne. Pas ou peu de voitures ou d’engins motorisés sur la départementale où nous goûtons au plaisir de pédaler en pleine nature, tout en écoutant Cyril nous conter l’histoire de la Brenne. Dans les airs, un concert de chants d’oiseaux retentit, harmonie mélodieuse qui semble ne plus se taire. Un héron cendré se tient majestueux sur les berges de l’étang de Montiacre, tandis que des libellules virevoltent au-dessus des nénuphars roses.

Au cœur d’une nature faite de landes, de bocages et de marais, il n’est pas rare d’apercevoir des hardes de chevreuils et de cerfs.
Au cœur d’une nature faite de landes, de bocages et de marais, il n’est pas rare d’apercevoir des hardes de chevreuils et de cerfs. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Les étangs se succèdent le long de la route et difficile de croire qu’ils ont été conçus par la main de l’homme. « Il y a deux mille ans, la région était probablement recouverte de forêt et non pas par des étangs comme c’est le cas aujourd’hui », explique Cyril. Au fil des siècles, l’élevage et l’exploitation du fer ont eu raison du sol, le privant de son rôle de régulateur hydrologique de la forêt, dont l’humidité latente s’accentue. « C’est ce sol argilo-gréseux, difficile à exploiter mais très imperméable, qui permettra à l’homme de créer des étangs et d’apporter une nouvelle source d’alimentation et de richesse avec la pisciculture », continue notre guide. Si l’on attribue aux moines la création des premiers étangs dès le XIIe siècle, c’est probablement avec le début de l’élevage des carpes à partir du XIVe siècle que s’explique leur multiplication. Seigneurs, bourgeois, marchands, paysans... tous se mettent à créer leur étang, la pisciculture brennouse exportant ses carpes vers Poitiers, Châteauroux et Tours. Une activité économique qui ne cessera de progresser jusqu’à aujourd’hui.

Une longue tradition piscicole

Le parc naturel régional de la Brenne s’étend sur quatre régions naturelles : la Brenne, le Boischaut Nord, le Boischaut Sud et le Blancois. Au total, il couvre une superficie de 1 766 kilomètres carrés. La Grande Brenne dénombre quelque 3 300 étangs, mares et autres plans d’eau. Deuxième espace piscicole de France après la Dombes (Ain), le parc accueille 300 propriétaires qui produisent 800 tonnes par an de carpes, brochets, tanches et gardons principalement. Les étangs sont vidangés et soumis à des techniques de pêche traditionnelles entre octobre et avril. La filière comprend une écloserie et un atelier de transformation (Fish Brenne), et exporte essentiellement ses poissons vers l’Allemagne et la Grande-Bretagne. La pisciculture brennouse figure au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

Le petit peuple ailé des marais

En outre, le parc recense plus de 2 300 espèces animales, parmi lesquelles de nombreux oiseaux, comme le grèbe à cou noir ou le busard cendré.
Le parc naturel régional de la Brenne recense plus de 2 300 espèces animales, parmi lesquelles de nombreux oiseaux, comme le grèbe à cou noir ou le busard cendré. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Lentement, nous nous enfonçons dans une forêt via un layon. La vie sauvage abonde, des signes discrets de présence animale se dévoilent, ici des empreintes fraîches de chevreuils, là des traces de renards dans la terre meuble... Au bout du sentier, à l’orée d’une clairière, nous retrouvons Valérie Le Mercier, de l’équipe du parc naturel régional de la Brenne. Chapeau de cow-boy vissé sur la tête, freloche (petit filet très léger) à la main, cette spécialiste de l’observation des lépidoptères nous entraîne dans une chasse très pacifique. « La Brenne est le paradis des papillons, ils sont nombreux là où la biodiversité est riche », explique-t-elle. L’attente est de courte durée. Un spécimen au battement d’ailes vif et léger est en vol stationnaire au-dessus d’une fleur jaune. D’un coup de poignet assuré, elle capture le lépidoptère dans son filet, une espèce rare : le cuivré des marais, déployant fièrement ses ailes orangées. « Nous dénombrons près d’une centaine de variétés de papillons de jour dans la Brenne sur les 256 que nous trouvons en France, c’est le reflet même d’innombrables micromilieux riches en biodiversité dans la région. Et voici un gazé, ajoute-t-elle en pointant un papillon blanc. Un des seuls dont on entend battre les ailes, tendez l’oreille... » Nous nous livrons à l’exercice, et lorsque nous réussissons enfin à capter ce bruit infiniment discret, quelle heureuse sensation de communion avec la nature. L’azuré des mouillères, le sylvandre ou le grand-nègre-des-bois... autant de minuscules chefs-d’œuvre vivants qui, capturés quelques instants dans le filet de Valérie, nous offrent un pur moment d’émerveillement.

L’animatrice Valérie Le Mercier nous initie au petit monde des lépidop- tères qu’elle affectionne tout particu- lièrement.
L’animatrice Valérie Le Mercier nous initie au petit monde des lépidoptères qu’elle affectionne tout particulièrement. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France
Azuré des mouillères, sylvandre, dryade, cuivré des marais... l’observation de ces papil- lons rares est un enchan- tement pour les yeux.
Azuré des mouillères, sylvandre, dryade, cuivré des marais... l’observation de ces papillons rares est un enchantement pour les yeux. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

La colonie des étangs Foucault

Nous retrouvons nos vélos électriques, direction les étangs Foucault, pour tenter d’observer le héron dont une grande colonie aurait investi les lieux. Prairies, bois, landes, bocages, étangs... on traverse une mosaïque de paysages différents. La richesse biologique résulte justement de cette juxtaposition de milieux divers, peu touchés par l’agriculture intensive et l’urbanisation. Les sols pauvres ne permettent que l’élevage extensif des bovins et quelques élevages d’ovins. Ainsi voit-on régulièrement des troupeaux de charolais paître en liberté dans les prés et « les prairies entretenues par le pâturage sont de véritables refuges pour de nombreuses espèces d’insectes », précise Cyril. Bientôt, on atteint le site des étangs Foucault, oasis de vie où se joue sans discontinuer le ballet aquatique des oiseaux. À l’observatoire Foucault, nous retrouvons Tony Williams, naturaliste britannique et « enfant adoptif de la Brenne depuis trente ans ». Ce passionné de nature, ancien permanent de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), devenu guide nature en Brenne, a pour mission de nous initier à l’observation de la vie des oiseaux. « Venez vite, vous n’avez même pas besoin de jumelles, regardez », nous indique-t-il en montrant par la petite fenêtre de l’observatoire un majestueux héron pourpré posé juste au pied d’un roseau tout près de nous, son plumage roux pourpre contrastant à merveille avec les feuillages jaunes. Soudain, une guifette moustac fend le ciel. Rapide et habile, elle improvise une acrobatie gracieuse avant de plonger dans les buissons en piaillant un chant étrange. Cet oiseau rare et emblématique construit son nid flottant sur la végétation aquatique. Un grèbe castagneux, petit oiseau à tête couleur châtaigne, glisse sur la surface de l’eau, indifférent au groupe de poussins qui le suit, petites boules de duvet déjà à l’aise dans leur environnement. Un milan plane au-dessus d’eux. Une loutre curieuse semble les observer depuis les roseaux. Plus loin, sur un îlot, une échasse blanche promène ses longues pattes roses et délicates au milieu d’un groupe de canards fuligules morillons qui vaquent à leurs occupations. Au cœur de cette volière grandeur nature se côtoient plus de 300 espèces d’oiseaux, pour beaucoup des migrateurs (telles les grues cendrées qui, venues de Scandinavie, font escale ici chaque automne) et pour moitié des espèces nicheuses.

La prairie aux orchidées sauvages

Nous faisons une pause à la Maison du Parc, le temps de savourer une carpe de la Brenne, spécialité du restaurant. La balade se poursuit ensuite à pied en compagnie de Tony qui souhaite nous faire découvrir un button excavé, spécificité géologique de la Brenne. Au bout d’une heure de marche, nous voilà au sommet d’une petite colline. « Les buttons excavés résultent de l’érosion des grès rouges, la même pierre que l’on trouve dans le bâti brennou, les parties les plus résistantes de la roche formant une butte », explique-t-il. Depuis le sommet, la lecture du paysage est captivante : devant nous de vastes étendues de prairies, des landes parsemées de bois et partout des étangs, des mares, des plans d’eau divers. Au loin, perché sur le plus haut button de la Brenne, le château du Bouchet domine l’ensemble. « Depuis la terrasse du château, la vue est imprenable sur l’étang de la Mer-Rouge, le plus grand de la région avec 160 hectares, et s’étend sur 80 kilomètres à la ronde », précise notre guide.

À Rosnay, détour par le château du Bouchet. Cette ancienne forteresse médiévale, dotée d’un logis Louis XIV au rez-de-chaussée, dispose d’une large terrasse qui domine tout le parc.
À Rosnay, détour par le château du Bouchet. Cette ancienne forteresse médiévale, dotée d’un logis Louis XIV au rez-de-chaussée, dispose d’une large terrasse qui domine tout le parc. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

D’un pas discret, nous gagnons une grande prairie. « Bienvenue dans mon jardin sauvage à la Monet !, s’exclame Tony. Ici, vous allez découvrir les fleurs les plus rares, de véritables trésors botaniques, ce sont  des orchidées sauvages. » Une nature différente de celle offerte par les étangs s’ouvre à nous. Des coassements de grenouilles viennent remplacer les chants des oiseaux. Un sentier sinueux bordé de roseaux et d’herbes hautes nous permet d’avancer avec précaution en évitant de perturber l’équilibre fragile qui caractérise un habitat si particulier. Bientôt, Tony nous indique la première orchidée, la serapia langue, qui apparaît timide et gracieuse avec ses épis de fleurs rose vif se dressant fièrement vers le ciel. Nous nous penchons pour l’observer de plus près, fascinés par la complexité de sa structure. « À la saison de floraison, cette prairie est quasiment tapissée de cette espèce rare, devenue emblématique de la Brenne », s’émerveille Tony. Nous découvrons ensuite d’autres espèces aussi étonnantes les unes que les autres : l’orchis à deux feuilles aux teintes blanches éclatantes, tandis que l’orchis moucheron surprend par son parfum délicat, attirant les insectes qui participent à sa pollinisation. À chacune son mécanisme de reproduction sophistiqué et d’adaptation à l’environnement spécifique de la Brenne.

Des tortues très discrètes

Nous reprenons nos vélos, direction la réserve naturelle de Chérine, à Saint-Michel-en-Brenne. Nous espérons un rendez-vous avec la Cistude d’Europe, unique espèce de tortue d’eau douce française. Cécile Danel, animatrice nature du site depuis trente ans, nous accueille. « Avec ses 13 étangs, la réserve naturelle de Chérine abrite une grande diversité de milieux offrant un écosystème unique et un nombre important de plantes et d’animaux rares ou menacés comme la cistude », nous annonce-t-elle. Le spectacle commence dès la passerelle qui mène à l’observatoire où des canards sauvages plongent bruyamment dans les eaux, tandis que des grenouilles sautillent en faisant des petits flops. Une fois installés à notre poste et équipés d’une paire de jumelles, nous scrutons dans un silence quasi religieux l’horizon lisse de l’étang tapissé ici et là par le tableau impressionniste des renoncules aquatiques. Soudain, une petite tête émerge discrètement à la surface de l’eau, suivie d’une carapace bombée. « C’est une cistude ! », confirme Cécile. Nous retenons notre souffle pour ne pas effrayer ce petit reptile sorti du fond des âges. Menacée par la perte de son habitat naturel et la fragmentation de ses zones de reproduction, l’espèce a vu sa population décliner de manière alarmante au cours des dernières décennies. Grâce aux efforts de préservation menés par la réserve de Chérine, cette tortue d’eau douce emblématique bénéficie d’une chance de renaissance et son retour en nombre, avec plus de 100 000 individus en Brenne, est une victoire. « Une victoire certes, mais une autre espèce, le butor étoilé, un échassier, fait toujours l’objet d’une grande préoccupation car leur nombre ne cesse de chuter », s’inquiète l’animatrice.

La journée touche à sa fin, la lumière décline, le soleil envisage de se coucher sur la Brenne, peignant le ciel de teintes orangées. Les balades de la journée nous ont permis de parcourir à vélo 43 kilomètres de paysages variés ponctués d’immersions inoubliables au milieu d’une nature préservée. Si une phrase pouvait résumer notre journée se serait celle de notre guide Tony Williams : « Ce n’est pas qu’il y ait des choses particulièrement rares en Brenne, mais c’est le règne du vivant. La nature est partout et bruisse de mille nuances. C’est ça que j’aime, c’est aussi cela que j’aime partager. » 

Sujets associés