Chacun des 525000 visiteurs accueillis en 2023 (record de fréquentation) n’a sans doute pas en tête l’histoire épique de l’exploration du gouffre de Padirac. Avant que le tourisme n’envahisse ce site leader du patrimoine naturel quercynois, bien des efforts ont été nécessaires pour l’inventorier et l’aménager...
Un trésor naturel en profondeur...

Tout commence en 1889, quand Édouard-Alfred Martel, jeune avocat parisien passionné de spéléologie, discipline alors naissante, arrive dans le Lot. L’homme a déjà à son actif quelques explorations de grottes en France, et même en Slovénie. Quand il décide de sonder les tréfonds de Padirac, l’aven, fruit de l’effondrement d’une voûte rocheuse par érosion du calcaire sur le plateau karstique, est un puits naturel, dont des générations de paysans caussenards se sont toujours méfiées. Trou du diable ou bouche de l’enfer, c’est selon, il sert de cimetière naturel pour les bêtes mortes et abriterait, selon la légende, un fabuleux trésor, jeté dans l’abîme par des soldats anglais dirigés par le Prince noir d’Aquitaine, à la fin de la guerre de Cent Ans.
Exploration de la grotte en 1889

C’est donc avec un mélange de crainte et d’envie que les locaux voient arriver au beau milieu de l’été 1889 Martel et ses hommes, avec leur lourd matériel. À l’aide d’une échelle de corde, ils descendent au fond de l’abîme. Durant trois jours, s’éclairant à l’aide de bougies, ils vont inspecter la galerie qui s’en échappe, découvrant la rivière souterraine et les premières salles à concrétions. L’année suivante, une seconde expédition confirmera le potentiel géologique... et touristique du lieu.
Le curé de Padirac
Dès la première descente, Martel a en tête d’aménager le site pour la visite. Autant hier qu’aujourd’hui, monter un tel projet est un combat. Il faut des fonds et des soutiens. Pour devenir propriétaire de la galerie souterraine, dont plus de 2 000 mètres ont été explorés, Martel met plus de six ans à acquérir les terres qui se trouvent au-dessus. Face à des paysans réticents, il bénéficie de l’aide du curé de Padirac, fidèle allié de Martel. Les caussenards n’en exigent pas moins une clause stipulant qu’en cas de découverte du fameux trésor des Anglais, ils puissent le partager avec lui !
Des billets de l’inattendu mécène
Reste à trouver l’argent pour aménager le site. Un coup du destin va aider Martel. Oubliant dans un fiacre des documents contenant les plans de Padirac, ceux-ci sont récupérés par le passager suivant, George Beamish. Héritier d’une marque de bière irlandaise, à la tête d’une agence de publicité, il rend le dossier à son propriétaire, qui lui expose son projet. Séduit, l’homme d’affaires décide de l’aider. En 1897, la Société anonyme du Puits de Padirac est fondée. Après une année consacrée à l’équipement du gouffre de Padirac (puits artificiel d’accès, escalier en fer de 36 mètres de haut, plateforme d’accueil d’un restaurant troglodyte...), les premiers visiteurs sont reçus le 1er novembre 1898. L’inauguration officielle a lieu l’année suivante, avec édiles locaux et nationaux. Martel a gagné son pari.
Nouvelles expéditions à partir de 1937
L’exploration du gouffre de Padirac connaît alors une pause de trente-sept ans. Après avoir découvert le lac de la Pluie, où l’eau disparaît sous des galeries jugées inaccessibles, Martel ordonne l’arrêt des recherches, par mesure de sécurité. Entretemps, le gouffre s’est modernisé : l’électrification est achevée en 1906 ; un ascenseur et un pavillon d’entrée sont aménagés dans les années 1920-1930. À l’initiative de William Beamish, fils de George, les expéditions reprennent en 1937, sous la conduite de Guy de Lavaur, jeune spéléologue.

Visite d'ossements et de silex

C’est le début d’une nouvelle ère d’exploration et d’équipement. Après la fameuse navigation sur la rivière souterraine, le parcours de visite dévoile au public de nouvelles salles, comme celle du Grand Dôme. En 1947, une coloration à la fluorescéine prouve que la rivière résurge au-dessus de la vallée de la Dordogne, à Montvalent. Les années 1970 vont permettre de cartographier le réseau souterrain, avec l’identification de huit affluents. En 1983, des ossements d’animaux et des silex taillés sont retrouvés sur les berges d’un affluent souterrain. À ce jour, environ 20 kilomètres de rivière et 42 kilomètres de galeries ont été répertoriés. Le public, lui en visite, en découvre « seulement » un kilomètre. L’amont de Padirac, en revanche, reste plus mystérieux : un gros siphon bloque pour l’heure toute tentative de remontée de la rivière. Plus de cent trente ans après la première descentede Martel, Padirac a peut-être encore des secrets à révéler.
