Tizzano et Senetosa : un paysage emblématique de la Corse
Au sud-ouest de Propriano, entre Campomoro et Tizzano, le sentier du littoral offre une escapade sensorielle à travers un paysage emblématique de la Corse. Nous voilà entre terre et mer, parmi les rochers sculpturaux et les plantes odorantes du maquis, sous la vigilance des tours génoises.
C’est une côte sauvage longtemps restée à l’écart des voies de communication et désertée par les populations locales pour se protéger des attaques de pirates barbaresques. Un rivage de granite, sculpté de caps acérés et d’une myriade de rochers arrondis ou écorchés, livrés au ressac. Pas d’abri sûr pour le marin mais quelques criques de sable pour le promeneur. Nous sommes sur le domaine de Campomoro-Senetosa, désormais préservé par le Conservatoire du littoral. Un sanctuaire entre mer et maquis, parcouru d’un sentier du littoral que nous empruntons au départ du hameau de Tizzano, au sud, pour réaliser une boucle de quatre heures avec le phare et la tour de Senetosa en point d’orgue.
Une boucle entre terre et maquis
À nos côtés, Stéphane Rogliano, un horticulteur féru de plantes sauvages. À quelques mètres de la mer, il prélève avec un petit sécateur les brins d’un arbuste vert ardent, froisse leurs feuilles et nous les met sous le nez. « Vous sentez ce parfum capiteux ? C’est la myrte, au féminin en corse. Une plante typique de notre maquis dont on fait une liqueur par macération des fruits. Au Moyen Âge, elle servait au tannage des cuirs. Ses rameaux souples et imputrescibles sont encore appréciés des pêcheurs. Ils les utilisent pour tresser des nasses à poissons. »
La mer. Elle est ourlée de blocs de granite percés ou creusés d’une cavité, taillés avec un profil aigu. On les appelle taffoni, littéralement « rochers troués », tafone signifiant trou en corse. « La pluie, le vent et, sur le littoral, la mer, provoquent un phénomène d’érosion qui entaille la pierre avec un mouvement ascendant », explique notre guide naturaliste.
Une côte sublime et dangereuse
De la mer aux collines, un chaos rocheux scande le paysage. Le sentier divague entre ces totems de pierre, la végétation arbustive et les criques. Sur celle de Cala Longa, un épais tapis de posidonies séchées, rempart naturel à l’érosion des sols, feutre le son de nos pas. La mer est calme : deux bateaux de plaisance ont accroché leurs amarres aux roches grises scintillant de nuances miel ou roses. Plus loin, la Cala di Tivella forme un croissant de sable doré, veillé par des tamaris d’Afrique enracinés près d’un paisible ruisseau. Selon une légende locale, au Moyen Âge, le diable aurait jeté l’âme damnée de la cruelle châtelaine d’un village voisin dans le lac sans fond du ruisseau. Châtiée pour avoir refusé l’aumône à un mendiant, elle reviendrait hanter certaines nuits les rives du torrent...
Chênes verts brossés par le vent, genévriers de Phénicie aux branches sinueuses, cistes et immortelles exhalant leurs parfums... Le maquis emplit tout l’espace en arrière de la mer. « Le mot maquis vient du corse macchia qui signifie tache, macule. Une allusion au patchwork de couleurs que revêt cette végétation au printemps quand fleurissent les bruyères, puis les cistes, les genêts, les lavandes... Un vrai tableau impressionniste », s’enthousiasme notre guide.
La silhouette de la tour de Senetosa pointe bientôt à l’horizon, sur un ressaut à flanc de colline. Elle fait le lien avec celles de Campomoro, au nord, et Roccapina, au sud. Achevée peu avant 1610, elle est l’une des dernières tours génoises bâties en Corse. La surveillance de ce morceau de côte s’impose en 1601, après le débarquement de pirates barbaresques qui pillent les villages des alentours et enlèvent hommes, femmes et enfants pour les revendre comme esclaves. Ironie du destin pour une tour de guet, Senetosa est plus tard badigeonnée à la chaux, en 1884, pour servir d’amer aux marins... jusqu’à la construction d’un phare.
L'étrange phare à deux tours
Justement, nous apercevons bientôt en contrebas un bâtiment immaculé, flanqué de deux élévations. Derrière ses faux airs de château d’opérette, le phare de Senetosa peut s’enorgueillir d’être le seul de France à posséder deux tours à sa création. On l’érige après le naufrage du Tasmania, un vapeur britannique qui heurte en avril 1887, les récifs des Moines, le plus grand danger maritime du sud de la Corse, au large du cap de Roccapina. Le navire fait route entre Bombay et Londres, avec près de 300 personnes à bord, les cales gorgées d’ivoire, de coton, d’opium et d’épices. 35 membres de l’équipage périront. L’Histoire a retenu le sauvetage d’un coffret de pierres précieuses, cadeau des rajahs indiens à la reine Victoria pour son jubilé.
Pour éviter de tels drames, un phare à secteurs est érigé sur la pointe de Senetosa, choisie pour son excellente visibilité sur les récifs des Moines. Ce type de phare indique aux navires leur entrée dans une zone dangereuse avec un feu coloré. Ce sont les techniques imparfaites de fabrication des verres colorés de l’époque, en 1890, qui entraînent la construction de deux tours. Pour signaler clairement en rouge le secteur dangereux, il faut éloigner la plaque de verre coloré de la lanterne blanche du phare et donc bâtir deux tours. Gardé jusqu’en 2008, le phare accueille à nouveau des habitants... éphémères. D’avril à octobre, les marcheurs aiment passer la nuit dans ce refuge insolite. Un lieu inspirant pour songer à la vie des gardiens, parfois prisonniers d’un site exposé à des tempêtes fracassantes alors que la relève s’effectuait par bateau.