
Carrure massive, regard doux, Guy Rocher nous attend au débarcadère. Lamaneur et patron du transbordeur pour la Penn Ar Bed, patron-pêcheur à la retraite et président des sauveteurs en mer de Molène, l’homme a son île dans la peau. Les coordonnées GPS de sa maison sont tatouées sur son avant-bras. Sur ce caillou de 4 kilomètres de circonférence, avec 130 habitants à l’année, il n’y a pas de voiture. Nous marchons ensemble jusqu’au port, une anse aux eaux transparentes, encadrée par deux cales et protégée par l’îlot Ledenez Vraz, en face, accessible à marée basse. « Molène est une île de pêcheur, explique Guy Rocher, grâce à un port-abri qui protège des vents dominants, exceptés ceux de nord-est. » Une île aussi de sauveteurs en mer, avec une dizaine de bénévoles à l’année intervenant pour la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). Devant nous, l’abri de l’ancien canot à rames de l’association est un monument sur le port. Il arbore une fresque avec les marqueurs historiques de Molène : l’activité goémonière, le secours et la pêche. «Il y a moins de pêcheurs professionnels désormais, insiste Guy Rocher. Seuls trois bateaux vendent à la criée de Brest. C’est difficile de trouver des marins à cause du problème de logement sur l’île. Et il faut être capable de vivre ici, passer un hiver voire deux et ne pas renoncer. Avec le mauvais temps et les tempêtes qui sévissent entre octobre et avril, les gens restent chez eux. Il peut se passer des jours sans que l’on croise quelqu’un. Il faut aimer la solitude. » Et de reconnaître qu’il se passe quelque chose avec l’insularité. « J’ai du mal à partir en vacances. Et quand je pars, c’est sur une autre île, à Belle-Île, mais en février quand il n’y a pas de visiteurs », sourit-il.

Mer de cuivre en Finistère
Sur les hauteurs de Molène, près du sémaphore désarmé et transformé en musée, l’école accueille une dizaine d’enfants de la maternelle au collège. « Les cours commencent à 11 heures le lundi matin après l’arrivée de l’enseignant par le bateau », explique Gwenola Gervais qui scolarise sa petite fille de 6 ans la moitié de l’année à Molène. La jeune femme habite la maison voisine, celle de sa grand-mère, qu’elle a retapée avec des bénévoles de l’association Culture Breizh’îlienne pour la transformer en auberge à tarifs accessibles et en tiers-lieu consacré aux enjeux du littoral. « Je voudrais faire vivre la maison avec la culture de l’île, l’ouvrir aussi aux Molénais qui pourront y témoigner de leur expérience avec la mer », résume celle qui est diplômée en biologie marine ainsi qu’en économie de l’agriculture et de la pêche. Nous avons passé la nuit à Molène dans le gîte Chez Albin. Dans notre chambre sur le port, la fenêtre ouvre sur un tableau. À 7 heures, comme encouragé par le son des cloches, le soleil se lève sur une mer cuivrée et criblée d’embarcations. Quelques pêcheurs godillent sur l’eau pour rejoindre leur bateau. Il suffit d’une heure pour faire le tour de Molène et cheminer sur les hauteurs de la côte ouest, livrée au vent, sauvage. C’est le rituel quotidien de Christine Delerue, gérante de l’épicerie. Il y a dix ans, elle découvre Molène en famille lors d’une brève escale, à la fin de vacances en Bretagne. Elle emprunte le même sentier qu’aujourd’hui, quelque chose se passe. « C’est difficile à expliquer, une sorte de connexion avec l’île, suivie de la nécessité absolue de venir s’installer ici », se souvient-elle avec émotion. De retour chez elle, dans le nord de la France, elle prend sa décision, avec mari et enfants, en quatre jours. Qu’est-ce que la vie à Molène lui apporte ? « La rencontre avec moi-même. J’ai l’impression que l’île m’a révélée. La proximité avec la nature est essentielle aussi. Ici, les éléments te remettent vite à ta place. »

Pêche sous contrôle

Nous avons atteint la table d’orientation, à l’extrémité nord, avec une vue à 360° sur la mer. On distingue le bateau semi-rigide des Affaires maritimes qui s’approche de l’embarcadère. Dans le cadre de leur patrouille, Frédéric Le Meil, chef de l’unité littorale, et son collaborateur Christophe Delaunay ont accepté de nous embarquer pour l’île de Quéménès, distante de 5 kilomètres. « Le Finistère est le plus grand département côtier, insiste le duo, alors que nous mettons le cap au sud-est. Il existe une grande diversité de pêche et de nombreux goémoniers travaillent en mer d’Iroise. Nos missions consistent à veiller à la sécurité de la navigation, contrôler les pêches, s’assurer qu’il n’y a pas d’atteintes à l’environnement et procéder aux vérifications administratives. » Comme pour appuyer ces propos, nous croisons plusieurs navires armés d’un scoubidou, sorte de grand crochet qui extrait le goémon avec un mouvement de rotation. Bientôt, l’île de Quéménès apparaît dans son dépouillement extrême, silhouette plane seulement interrompue par quelques bâtiments de pierre.