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Visite d'un colosse normand des mers

À l’extrémité nord-est du Cotentin, soumise à un fort courant de marée, se dresse le phare de Gatteville (xixe siècle), indispensable « cierge de pierre » mesurant près de 75 m de hauteur. À l’extrémité nord-est du Cotentin, soumise à un fort courant de marée, se dresse le phare de Gatteville (xixe siècle), indispensable « cierge de pierre » mesurant près de 75 m de hauteur. - © Jérôme Houyvet / Détours en France

Publié le par Dominique Roger et Stéphanie Grésille

Le deuxième plus haut phare de France, solidement ancré au cœur du raz de Barfleur, l’un des endroits les plus dangereux de la Manche, a vu le jour afin de mettre fin à une série de terribles naufrages. La visite de ce colosse normand impressionne.

Gatteville : deuxième plus haut phare de France. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Vos mères vous ont peut-être dit que les phares étaient là pour éclairer la mer, n’en croyez rien ; ils sont là pour dire aux marins où ils sont », plaisanta un jour en interview Éric Tabarly. Et tout marin digne de ce nom confirmera que sans les éclats codifiés de ces vigies cyclopéennes des mers, point de salut.

Juché en sentinelle dans le passage du raz de Barfleur, à la pointe nord-est du Cotentin, le phare de Gatteville est exemplaire. Deuxième plus haut d’Europe après celui de l’île Vierge (Lilia-Plouguerneau dans le Finistère), le phare d’atterrissage de Gatteville est érigé après plusieurs naufrages tragiques. Outre les écueils, la zone maritime tire sa réputation de grande dangerosité d’un puissant flot et jusant créant une mer très formée par tous les temps. On notera que le raz de Barfleur verra l’installation de la première station de sauvetage française sous la houlette de l’ancêtre de la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer), laSCSN (Société centrale de sauvetage des naufragés).

 fichée au sommet de la tour, la lanterne est équipée d’une double optique de Fresnel et de deux lampes de 400 W.
Fichée au sommet de la tour, la lanterne est équipée d’une double optique de Fresnel et de deux lampes de 400 W. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Se déroulant sous les règnes de Charles X et de Louis-Philippe, le chantier relève de la prouesse technique puisque aucun échafaudage n’a servi à ériger la tour cylindrique de 9,25 mètres de diamètre à la base et de 6 mètres à la passerelle. C’est l’architecte et ingénieur des Ponts et Chaussées manchois Charles-Félix Morice de la Rue, maître d’œuvre également du phare de La Hague, qui, dans le cadre du programme d’éclairage des côtes de France, dirigea les travaux six années durant. 

Le colosse normand, tour de granit extrait à même la roche portant l’édifice (11 000 blocs taillés manuellement, pesant au total 7 400 tonnes), entre en service en avril 1835 ; il sera classé monument historique en juin 2009. Avec ses 74,75 mètres de hauteur et son feu tournant à 360 degrés et d’une portée de 29 milles nautiques (une cinquantaine de kilomètres), il fut longtemps le plus haut phare du monde. 

Pour visiter le phare et se hisser jusqu'à la spectaculaire lanterne, nous avons le plaisir  d’être accompagnés par Delphine Foucoin en poste  à Cherbourg (voir interview ci-contre), qui fut cheffe de poste au sémaphore de Barfleur (l’ancien phare érigé en 1775) ; celui-ci accueille aujourd’hui une équipe de guetteurs qui, de jour comme de nuit, se relaient pour assurer la surveillance du trafic maritime dans le nord-est du Cotentin.

Prêt pour l’ascension ?

Après une montée de plusieurs centaines de marches – selon la légende, il y en a autant que de jours dans l’année –, la passerelle déploie un panorama hors du commun sur le très sauvage val de Saire et les eaux bleu gris de la Manche.
Après une montée de plusieurs centaines de marches – selon la légende, il y en a autant que de jours dans l’année –, la passerelle déploie un panorama hors du commun sur le très sauvage val de Saire et les eaux bleu gris de la Manche. © Jérôme Houyvet / Détours en France

« Prenez le temps de respirer et de faire des pauses, prévient-elle, sinon vous risquez de sentir les 349 marches dans vos jambes pendant plusieurs jours ! » 100, 150, 200... les chiffres marqués en rouge indiquent que le sommetse rapproche mais qu’il se mérite aussi. Les 52 fenêtres réparties de bas en haut offrent des respirations visuelles sublimes, à en faire tourner la tête. Dix bonnes minutes sont nécessaires pour atteindre la passerelle. La lanterne est réellement impressionnante et porte la signature d’Augustin Fresnel (1788-1827), ingénieur des Ponts et Chaussées et physicien, qui n’est autre que l’inventeur des lentilles à échelons au début des années 1820. Une avancée capitale pour la sécurité de la navigation en mer.

L’éclat d’un cyclope

la lentille à quatre faisceaux lumineux diffusés en croix a une portée de près de 60 km.
La lentille à quatre faisceaux lumineux diffusés en croix a une portée de près de 60 km. © Jérôme Houyvet / Détours en France

Appelé « lentilles de Fresnel », ce dispositif optique permet, à partir d’une source lumineuse ponctuelle, de créer un faisceau de rayons parallèles. Pour mettre au point son invention, l’ingénieur avait fait appel à un constructeur d’instruments scientifiques réputé et au nom prédestiné, François Soleil (1775-1846). L’optique en verre taillée de Gatteville, véritable œuvre d’art, pèse environ 800 kilos et repose sur une cuve à mercure. Son électrification sera effectuée en 1893. Le faisceau lumineux, qui croise ceux des phares de l’île de Wight (Grande- Bretagne) et de la Hève à l’entrée du port du Havre en Seine-Maritime, fascine. Jusqu’à l’automatisation du phare en 1984, six gardiens, qui avaient l’obligation d’être mariés, vivaient sur place avec leur famille etse relayaient. Leur mission était de veiller à l’entretien du titan de pierre − un atelier et même une forge permettaient aux gardiens de tout réparer −, mais surtout d’assurer l’allumage de la lanterne.

Sources

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