En 1843, dans Voyage aux Pyrénées, Victor Hugo loue les beautés du petit village de Biarritz et s’inquiète à l’idée qu’il pourrait devenir à la mode. Prescience ? Onze ans plus tard, le coup de cœur d’une petite fille, adepte des bains de mer, devenue impératrice des Français, concrétise alors ses craintes. À peine marié, Napoléon III achète des terrains et fait édifier la villa Eugénie pour plaire à sa jeune épouse. Rares sont les étés où ils ne viennent pas profiter du bon air iodé du port de pêcheurs, attirant à leur suite tout ce que l’Europe compte de têtes couronnées, et la France d’hommes d’affaires et de femmes du monde.
Des Biarrotes aux doigts d’or
Il faut bien habiller et satisfaire cette nouvelle population, avide de bains de mer, de dîners mondains et de fêtes endiablées. Dans son sillage, c’est tout l’univers du luxe et de la mode qui pose ses malles à Biarritz, bouleversant le mode de vie des autochtones et leur offrant aussi du travail. Ainsi, c’est à Biarritz que Guerlain et Hermès ouvrent leurs premières boutiques après celles de Paris.
La guide Nathalie Beau de Loménie nous a donné rendez-vous à l’Hôtel du Palais, dont la longue rénovation s’est achevée en 2021.

Quel plus bel endroit pour parler de la Belle Époque et des Années folles, périodes magiques qui ont fait la légende de Biarritz ? Ses deux passions pour le tourisme et la mode sont réunies dans Biarritz & la mode. La haute couture et la mode sur la côte basque, de 1854 à nos jours (aux éditions Atlantica), livre qu’elle dédie à sa grand-mère, Germaine Long-Savigny, qui tenait une maison de couture dans le Biarritz des années 1930. « On parle toujours de Coco Chanel, mais tous les grands noms de la haute couture sont passés par Biarritz : Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet, Paul Poiret, Jean Patou, Worth ; puis, Courrèges ou Balenciaga... La clientèle était richissime, il y avait des fêtes tous les soirs : les femmes changeaient de tenue jusqu’à trois fois par jour. » Boutiques mais aussi ateliers de confection ont fleuri dans le centre-ville. « Les femmes d’ici étaient réputées pour leurs doigts en or. Elles avaient l’habitude de coudre les voiles, les vêtements de travail de leurs maris pêcheurs, de les repriser quand ils étaient abîmés et de travailler les fanons de baleine pour en faire des corsets. »
Nathalie nous propose de retrouver les témoins de ces folles années. À commencer par les villas de l’avenue de l’Impératrice, toute proche et plébiscitée par les grands couturiers. Au passage, un coup d’œil au n° 4 à la maison Goyard, dont les malles de voyage ont accompagné les grands de ce monde, tels les Romanov, Sacha Guitry, Coco Chanel, Jeanne Lanvin, Cristobal Balenciaga... Lancée à la Belle Époque puis fermée dans les années 1930, la maison a rouvert ses portes en 2016.

Chapelle impériale

Dix ans après la construction de la villa Eugénie, actuel Hôtel du Palais, Napoléon III offre à son épouse une chapelle, pour qu’elle puisse prier en toute intimité. Signée Émile Boeswillwald, élève de Viollet-le-Duc, elle ne passe pas inaperçue. Si la façade est plutôt sobre, l’intérieur est exubérant, dans un style hispano- mauresque avec une tendance romano-byzantine pour la coupole dorée et le plafond à caissons peints. Le luxe des matériaux –azulejos en porcelaine de Sèvres sur un dessin de Mérimée, cabochons en verre de Murano –, les symboles impériaux et les grenades des chapiteaux composent un décor magnifique. Elle est aussi chargée d’un message politique, car en pleine guerre contre le Mexique, elle est vouée à Notre-Dame de la Guadalupe, patronne du pays, et reçoit les têtes couronnées de l’époque pour témoigner de la puissance de l’Empire. Visites guidées avec l’office de tourisme.
Plages, luxe et volupté
À l’angle de la ruelle des Sables, voilà la villa Marrakech de Paul Poiret, et sa jumelle Casablanca, élue par Jean Patou. Le premier a libéré le corps des femmes en éliminant les corsets, le second a créé le parfum Joy, clin d’œil à la joie de vivre du Pays basque. Patou avait son atelier au n° 1 de la place Georges-Clemenceau : « Il y a toujours sur le côté du bâtiment une petite porte qu’il utilisait pour s’éclipser, car sa vie amoureuse l’accaparait beaucoup », s’amuse Nathalie. Quant aux deux villas, leur style mauresque témoigne de l’engouement pour l’exotisme en vogue dans les années 1920. En surplomb du Miramar, la villa Mirasol (n° 13) appartenait à un Landais assez génial, Pierre Orossen, créateur du dinner jacket, l’ancêtre du smoking. Lui-même anglicisa son nom et fit fortune : la maison O’Rossen était à la mode masculine ce que Chanel était aux femmes. La villa a perdu son jardin, mais conservé un vitrail de Gaudin, au-dessus du porche d’entrée. Au n° 15, la villa Roche Ronde a des allures de manoir anglais. Bâtie par Alphonse Bertrand, architecte de la villa Belza, elle était la propriété de Paul Bernain, un Bayonnais qui a la géniale idée d’inventer des petits cahiers de papier à cigarette, faciles à glisser dans la poche des smokings. Mata Hari y séjourna, tout comme la reine Fabiola de Belgique.
Tout aussi néogothique, la villa Cyrano revient de loin. À l’origine, elle était située au croisement avec l’avenue Victoria. Menacée de destruction, elle a été déplacée pierre par pierre jusqu’au n° 18 et reconstruite à l’identique, grâce à Alfred Boulant, propriétaire du casino Bellevue.

En remontant vers le phare, voici à gauche la rue du Prince-Impérial et la villa Lady Roussel, demeure cossue rebaptisée « Begonia » après le décès de son excentrique propriétaire.

« Voici la plage du Miramar. Devinez ce qui s’est passé ici, en 1920 ? Le premier concours de maillots de bain ! Y ont participé Agnès Souret, originaire d’Espelette et première Miss France, et... ma grand-mère ! Elle est arrivée deuxième. » Le jury était composé de messieurs en canotiers, dont le marquis d’Arcangues, figure du gotha local. La balade continue sur la Grande Plage jusqu’au Casino. « À l’époque, le Bellevue lui faisait de la concurrence. Pour y monter les dames, il y avait une rampe mobile. » À côté du marchand de glaces, des photos anciennes en témoignent : « La robe d’une comtesse s’est prise dedans, son chien aussi, elle a intenté un procès. »
Une clientèle excentrique
L’impasse Gardères remonte au centre-ville. Les ateliers Chanel et leurs 60 employés s’y trouvaient entre la librairie Bookstore et la pizzeria Coco... au n° 5 ! À côté, la galerie La Fonda en a gardé l’escalier Art déco. « Je vais vous montrer l’ancien atelier de ma grand-mère. » L’invitation est d’autant plus irrésistible que Michèle, fille de Germaine et maman de Nathalie, y vit toujours. Rue Carnot, le lierre de la façade a mangé une partie de l’enseigne « Germaine Couture Sport ». Michèle et Nathalie nous montrent de vieilles photos, témoins de l’époque. « Germaine a eu jusqu’à 160 ouvrières, elle a même ouvert sa maison aux Champs-Élysées. » Mère et fille évoquent les clientes, la princesse Wagram, la famille du prince de Galles, Christiane Renault, la comtesse de Paris, Anne-Aymone Giscard d’Estaing... Michèle se souvient de cette marquise qui déambulait nue sous son manteau dans les salons d’essayage, ou de cette autre cliente qui gardait un petit caïman dans sa baignoire et se faisait coudre sa robe d’un soir à même la peau, sans système de fermeture, pour le plaisir de se la faire arracher par quelque loulou rencontré dans un bal populaire... Quelle époque !
Ilbarritz en péril
Entre Bidart et Biarritz, impossible d’échapper au château d’Ilbarritz, manoir solitaire face aux fureurs de l’océan. Son histoire et celle de son commanditaire ont fait couler beaucoup d’encre. Héritier des aciéries de Wendel, le baron Albert de l’Espée fit bâtir en 1894 sur la colline de Handia une propriété extravagante. Selon la légende, il y vivait seul avec ses chiens et s’enfermait les soirs de tempête pour jouer du Wagner sur son orgue Cavaillé-Coll. « C’est faux ! » Historien spécialiste de l’architecture des stations balnéaires, Jean-Loup Ménochet connaît bien Ilbarritz. « Cette époque était très hygiéniste : on vivait dans la peur de la tuberculose. De santé fragile, le baron était un visionnaire qui fit d’Ilbarritz un “home sanatorium”. » Vendu en 1911, le château est passé de main en main sans que jamais aucun projet ne fonctionne. Ce qui désespère l’historien. Depuis 2014, ce château classé est la propriété de l’homme d’affaires Bruno Ledoux et attend le lancement de travaux de réaménagement.