Tout au long de la rive droite du fleuve d’Abord, quelques intéressants témoignages de l’architecture coloniale ont résisté aux aléas climatiques qui n’épargnent pas la « côte-au-vent ». De placettes ombragées de flamboyants en ruelles tranquilles, itinéraire urbain à la découverte d’un patrimoine discret labellisé « Pays d’art et d’histoire ». Après un tour sur le port, reconfiguré après le passage d’un cyclone en 1989, où bateaux de plaisance voisinent avec des unités hauturières, barques et vedettes de pêche traditionnelle, commencez la balade à partir du siège des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), abrité dans l’ancien entrepôt Kerveguen, bâtisse édifiée au XIXe siècle par Gabriel Le Coat de Kerveguen, sucrier, riche propriétaire terrien.

Une rive cosmopolite

Si vous voulez rejoindre la place de l’Hôtel-de-Ville au plus court, repérez une petite sente jouxtant la très fleurie grotte de Notre-Dame-de-Lourdes, un oratoire dédié à la Vierge Marie où un miracle eut lieu le 27 mai 1940. Adossé à la grotte se trouve un autre culte, celui dédié à saint Expédit, le saint patron des causes désespérées que les Réunionnais vénèrent. Le bâtiment abritant l’hôtel de ville a été construit en 1770 pour une fonction d’entrepôt, l’administration de la colonie Bourbon utilisant cet emplacement pour faciliter les opérations de manutention entre la côte et la rivière d’Abord toute proche. Depuis cet espace arboré de flamboyants, de cyprès et de palmiers s’ouvre une belle perspective sur l’océan où dodelinent sous l’alizé les mâts de voiliers. Traversant la ville d’est en ouest, la rue des Bons-Enfants est l’artère commerçante. Si les aménagements déconcertent quelque peu, il bat dans cette voie la vie cosmopolite de l’île. Les Chinois y ont ouvert des échoppes d’alimentation où l’on peut consommer bo bun et autres ramens sur le pouce, tandis que les Zarabes commercent plutôt les étoffes. À bien observer l’habitat, on devine que tel commerçant qui logeait au rez-de-chaussée dans son arrière-boutique a érigé un étage à sa bâtisse avec parfois, signe extérieur d’aisance, un balcon en fer forgé surplombant la rue. Les maisons traditionnelles en tôle sont côte à côte, laissant parfois percevoir, là la porte d’entrée d’une mosquée, ici, un temple indien (près du marché du samedi matin). Un air frais, au goût salé, nous rappelle que le front de mer est à une enjambée, avec ses nombreux restaurants et ses animations. En franchissant la rivière d’Abord pour se rendre rive gauche, vous entrez dans des quartiers populaires des plus attachants.

Terre-Sainte, le quartier des pêcheurs...

À l’est du centre-ville, on rejoint Terre Sainte par la Promenade des Alizés, bordée de majestueux banians et de cocotiers. Orthographiée « Sainte », la petite commune d’une dizaine de milliers d’habitants tient son nom d’un arbuste endémique nommé le « Bois de Sinte », qui a aujourd’hui disparu. À l’origine simple village de pêcheurs, le quartier s’est développé en hauteur sur de petites parcelles, mais toute la partie originelle est restée relativement intacte, avec ses ruelles étroites et un plan urbain un rien anarchique, où les passages labyrinthiques, les volées d’escaliers dérobées rappellent certains villages de Méditerranée. Autrefois, les rues fourmillaient de marins pêcheurs, qui rangeaient leurs barques sous des banians aux énormes racines. Ils allaient prier à la croix des Pêcheurs, près de la Vierge Notre-Dame-du-Bon-Port, que l’on peut toujours rejoindre par une ruelle étroite, dallée et pentue. Du calvaire, on domine le village et un joli panorama sur l’océan et le lagon. L’artiste plasticien Stéphane Quinquet est venu y apposer sa touche artistique, en réalisant un chemin de croix en céramique. Rue Auguste-Langlois, remarquez un tout petit temple tamoul familial. Le village de Terre Sainte rassemble, quasiment pêle-mêle, des villas cossues et des cases en tôle bien modestes. Aux côtés de jardins fleuris et aménagés avec soin se retrouvent des tas de détritus. Vu la densité des habitations, on vit beaucoup dans la rue, et il est de bon ton de se saluer avec un sourire lorsque l’on croise quelqu’un. Un Saintais sera toujours prompt à vous donner un renseignement ou à vous aider à retrouver votre chemin dans ce dédale de passages. Justement, pour notre retour sur les rives de la rivière, on nous indique une discrète plage de sable blanc, tout près de la jetée de Saint-Pierre.


Tanambo, l'ancien quartier de la Réunion à esprit "Far-West"
Dans les années 1970, le Tanambo n’était qu’un bidonville insalubre, affublé d’une mauvaise réputation. Ce n’est qu’à compter de la fin des années 1990 qu’une vaste opération d’aménagement urbanistique se met en place. Les baraquements de fortune s’effacent devant des logements « en dur » dont l’accès à la propriété est largement facilité. Prix Talent de l’Outremer 2019, l’artiste plasticien Jean-Richard Riani, 52 ans, est un enfant de Tanambo. Après avoir roulé sa bosse en Europe et aux États-Unis, multiplié les expériences artistiques et les expositions (plus de 350 dans le monde), obtenu une reconnaissance internationale, c’est chez lui à Tanambo quece créateur revient fonder un lieu d’art contemporain ouvert à tous. Riche de ses trente années d’expérience, il souhaite éduquer les jeunes de son quartier d’origineà l’art, partager son engagement artistique et écologique. Se définissant tel un artiste militant, il a également créé l’association « La Réunion durable », qui œuvre contre la prolifération des déchets (il précise avoir recyclé dans ses œuvres 4000 tonnes de déchets en trente-cinq ans) et l’art du recyclage. Avec le concours des habitants du quartier, il réalise des peintures murales, pour redonner gaieté et espoir au quartier.