
Il a connu la fin du tissage à la Croix-Rousse. « J’ai grandi dans ce quartier, sur le plateau. Dans les années 1970, les ateliers fermaient un à un », se souvient Ludovic De La Calle. À 20 ans, passionné par cet art, « la matière et le côté humain des canuts », il se forme dans une école de tissage et une coopérative ouvrière du quartier le prend sous son aile, d’abord en tant qu’apprenti puis comme salarié. « J’ai été canut jusqu’au début des années 2000. Puis j’ai souhaité changer de colline et revenir à Saint-Georges », explique-t-il. Son atelier s’y trouve, en bas des pentes, à l’angle des rues Mourguet et Tramassac, celle-là même qui voit s’envoler la fameuse « ficelle » (le funiculaire) vers Fourvière. Avant l’invention du métier Jacquart au début du XIXe siècle, l’activité de soierie prospérait dans le Vieux Lyon. Imposantes, les nouvelles machines contraindront les ateliers à déménager vers la Croix-Rousse, pour les installer sous de hauts plafonds. Derrière sa boutique où Ludovic De La Calle vend des accessoires en soie fabriqués à façon (foulards, écharpes, étoles…), il a posé dans une pièce voûtée deux bistanclaques (onomatopée qui désigne les fameux métiers Jacquart), un ourdissoir (pour fabriquer les rouleaux de fil) et une tresseuse.
Je travaille sur commande pour la restauration du Mobilier national, des décorateurs, des tapissiers et des grands couturiers, en France mais aussi aux États- Unis et au Japon... Il n’y a plus que trois ateliers de soierie à Lyon, Tassinari & Chatel et Prelle à la Croix-Rousse, et moi, le seul qui soit ouvert au public. Ludovic De La Calle.
Même dans un marché de niche, il faut savoir se distinguer : Ludovic De La Calle s’est spécialisé dans le tissage de fils de soie et d’or.

Soie : quatre siècles de tradition
L’histoire démarre quand François Ier accorde en 1536 aux maîtres soyeux italiens le privilège de s’installer à Lyon, en échange de la transmission de leur savoir aux tisseurs locaux. Le Vieux Lyon se couvre d’ateliers et deux siècles et demi plus tard, on en compte près de 6 000. 30 000 personnes travaillent alors dans le secteur, dont les fameux canuts, les ouvriers tisserands. En 1801, l’invention du métier Jacquart contraint au déplacement sur la Croix-Rousse, car il faut de la place. Les années 1830 sont marquées par la révolte des Canuts contre leurs conditions de travail. L’activité perdure jusqu’à l’entre-deux-guerres où crise économique et tissus synthétiques lui portent un coup fatal. Une poignée d’ateliers et de créateurs indépendants entretiennent aujourd’hui la tradition.
Transmission entre canuts lyonnais

Cette soie si délicate vient du Brésil. « Je l’importe du sud du pays où les cocons sont cultivés par une communauté japonaise, près de São Paulo. C’est la meilleure. Puis je fais dévider ces cocons par un moulinier de la Loire, pour obtenir de la soie grège [fibre brute, ndlr]. Enfin, je l’ai fait teindre en Haute-Loire. À partir de là, je me mets au travail », décrypte l’artisan d’art. Joignant le geste à la parole, il s’installe devant une machine à tisser et fait glisser la navette sur les fils tendus, un « lancer » séculaire que tout Lyonnais ou presque a vu faire. En fond sonore, une radio diffuse de la musique classique. « Ça me détend », dit-il. Répétitif, le travail exige de l’attention. « Les changements de saison posent problème car le bois et la matière jouent en fonction de l’hygrométrie. Quand il fait très chaud, je mets le soir une gamelle d’eau sous les métiers à tisser. Elle s’évapore et humidifie la soie, sinon elle peut casser comme du verre. Autant d’astuces que j’ai apprises grâce aux anciens de la Croix-Rousse, sourit-il. La relève est assurée. Quand je déposerai les navettes, mes fils Romain et Virgile, qui travaillent déjà avec moi, prendront la suite. » La soie lyonnaise de haute volée a un avenir.