L'art dans la vallée de la Creuse
Découvrez la vallée de la Creuse, ses paysages impressionnants et ses cours d'eau, source d'influence artistique. Les artistes du XIXe siècle, écrivains, peintres, poètes, photographes ou paysagistes, se sont entichés de la beauté lumineuse de cette vallée. De méandre en village, suivons leurs itinéraires dans la vallée de la Creuse, au cœur d'une nature généreuse et pleine d'imagination.
Eau de source artistique
La vallée de la Creuse a été immortalisée par les premiers photographes, sublimée par Monet, Guillaumin, Léon Detroy et les centaines de peintres avant-gardistes qui y plantèrent leur chevalet. En amont, la rivière, qui prend sa source dans le plateau de Millevaches, est presque anodine. C’est, dans sa partie septentrionale, à Anzême, depuis la place de l’Église puis en passant son pont du Diable, que l’on ressent sa présence. Les gorges y deviennent profondes, la végétation boisée, touffue et sauvage, épousant les courbes d’un méandre. La voici du promontoire que constitue la colline du village du Bourg-d’Hem, qui, perché, pouvait jadis aisément contrôler les passages sur l’eau. Une impression de puissance se dégage de la rivière encaissée. Une phrase de George Sand, la voisine de Nohant qui contribua au XIXe siècle à la renommée de la vallée de Creuse, vient à l’esprit : « On ne sait pas qui a été le plus hardi et plus tragiquement inspiré, en ce lieu, de la nature ou des hommes ». Nous plongeons ensuite vers La Celle-Dunoise, 600 habitants, bâti littéralement au bord de la Creuse. Le village, avec son vieux pont de style gothique enjambant la rivière, le tout surplombé par le clocher d’ardoise de l’église Saint-Pierre-ès-Liens, se dévoile.
Fresselines et les "eaux semblantes"
Suivons le cours de la rivière. La petite route serpente sur le plateau à travers des hameaux de granit dans un paysage quadrillé par le bocage. À Fresselines, un bas-relief sculpté par Rodin à l’arrière de l’église attire notre attention. Claude Monet se met à peindre cette « satanée Creuse », de mars à mai 1889. Confronté aux caprices atmosphériques et à « la lumière de cette lande mouvante et fantasque, qui se dérobe au pinceau », il y signera là dans la douleur sa première série de peintures – 24 toiles – bien avant les cathédrales de Rouen ou les nymphéas. Du bourg, un chemin mène dans la vallée, jusqu’à l’endroit où il peignait, à la confluence de la Creuse et de la Petite Creuse – site qu’il baptisa joliment les « eaux semblantes ».
Cet austère paysage, hérissé de rocs et jonché de bruyère peint par Monet, a bien changé : quelques kilomètres en aval, la construction du barrage d’Éguzon a littéralement noyé les sites emblématiques sur des kilomètres, gommant ainsi l’aspect tourmenté de la Creuse. « Notre belle rivière est morte », lâchera, dépité, le peintre Eugène Alluaud, après l’inauguration de l’ouvrage hydroélectrique, en 1926. « La montée des eaux a fait disparaître plusieurs moulins et modifié considérablement la physionomie des lieux », explique Christophe Rameix, historien de l’art. Il y avait deux torrents qui coulaient au pied de Crozant, alors qu’aujourd’hui, c’est une tranquille nappe d’eau. Parallèlement, la disparition du travail dans les campagnes a laissé place à une végétation luxuriante sur les bords de la Creuse. La végétation rase et colorée, la bruyère rouge, les ajoncs ou genêts jaunes, les rochers nus… Ce paysage âpre, parfois lunaire, qui fascina les peintres n’est plus là. Les coteaux ont peu à peu été colonisés pas les arbres.
Une école à Crozant
Il n’empêche. Crozant, aux confins nord du département, fascine toujours. Ce village est à lui seul l’emblème de la vallée, par sa situation exceptionnelle. Dominant la Creuse gonflée des eaux de la Petite Creuse et de la Sédelle, sa forteresse en ruine est en à-pic sur un éperon rocheux aux allures de presqu’île. Le château fort des Lusignan, bâti aux XIIe et XIIIe siècles, est en lambeaux depuis les guerres de Religion et un tremblement de terre en 1606. Ses tours déchiquetées laissent entrevoir à quel point la citadelle féodale, verrou du Limousin, devait être grandiose – un kilomètre de remparts, dix tours… Le mieux est de découvrir le site sur l’autre rive, depuis le rocher des Fileuses : la vue sur la tour Colin, aux allures de figure de proue d’un vaisseau, est saisissante.
Des vestiges romantiques, une nature sauvage, de l’eau vibrante… Il n’en fallait pas plus pour aimanter une cohorte d’artistes en quête de « pittoresque ». Ici, il y a carrément eu une École de Crozant, mentionnée dès 1864, dont le chef de file fut un temps l’impressionniste Armand Guillaumin, qui découvrit les lieux en 1892 : « Qu’il existe au monde un pays aussi beau que Crozant, c’est possible, mais un plus beau, je ne puis le croire », disait-il sans nuance ! La vallée de la Creuse sera son obsession, des décennies durant. Dans son sillage, l’impressionniste attirera une foultitude de petits maîtres, mais aussi Pissarro ou Sisley. Dans le bourg, l’hôtel Lépinat fut le QG des artistes. Cette auberge vient d’ouvrir aux visiteurs pour comprendre ce phénomène artistique. « Il s’agit de revenir sur l’École de Crozant. Comprendre à quel point l’endroit a fasciné, a attiré autant de peintres alors que c’est un endroit si peu peuplé », nous explique-t-on durant la visite. Le patron de l’auberge venait alors chercher en charrette les peintres à la gare de Saint-Sébastien et les laissait admirer les cascades de la Sédelle.
Détour par la vallée de la Sédelle
Justement, la vallée de la Sédelle, ce petit affluent de la Creuse, n’a, elle, pratiquement pas changé, conforme aux tableaux. La rivière cristalline est toujours parsemée de gros blocs rocheux, de petites cascades et de moulins. Nous poursuivons le sentier jusqu’au pont Charraud, en granit, où Francis Piccabia entama en 1909 des oeuvres aux contours déjà plus abstraits. Nous nous arrêtons à l’arboretum de la Sédelle. Cette magnifique « cascade de verdure » se jetant dans la rivière a été imaginée par le paysagiste Philippe Wanty, un émule de Gilles Clément, à la fin des années 1980. « C’était une friche agricole, envahie par les ronces, les fougères, les arbres morts, se souvient-il. Un bout de vallée abandonné, inoccupé depuis longtemps… Il s’agissait de redonner vie à l’esprit du lieu, à l’âme de la vallée de la Sédelle. On a défriché, réintroduits des espèces naturelles, telle la bruyère, mis en valeur les rochers, planté de nouveaux arbres et arbustes, des chênes, des érables… J’ai fait un arboretum respectant la nature, ouvert sur la vallée, en gardant la perspective sur la rivière magique et sauvage. »
Chez Georges Sand, côté Indre
Au-delà du barrage d’Éguzon et de son lac, nous avons quitté la Creuse pour le département de l’Indre. Au détour d’un virage, apparaît, croulant sous la végétation, le superbe village de Gargilesse-Dampierre reconnaissable à son château accroché à un rocher dominant la rivière Gargilesse, affluent de la Creuse. Ruelles pittoresques, vieilles maisons aux toits de tuiles brunes envahies par la vigne vierge, ateliers d’artisans perpétuant de vieux métiers… Au fil des rues, on découvre « Algira », le petit refuge que choisit George Sand en 1857, lassée de la vie de « châtelaine » à Nohant, ainsi que la maison du peintre Léon Detroy : l’« ermite de Gargilesse » fera du village son sujet de prédilection au point d’y acquérir une demeure – aujourd’hui occupée par une encadreuse et restauratrice de tableaux.
Sur son promontoire, l’église romane joue les vigies. Sa crypte romane recèle des fresques de style romano-byzantine. Les visiteurs pourront ensuite poursuivre leur voyage jusqu’à Argenton-sur-Creuse. Découvrir cette petite ville procure aujourd’hui le même choc visuel que celui que durent ressentir les peintres au XIXe siècle lorsqu’ils descendaient en gare ici, depuis Paris. La « Venise du Berry », avec ses vieilles maisons colorées à galeries qui s’étagent au-dessus de la rivière, est un tableau dont on ne se lasse pas.
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