N’en déplaise au Lot voisin, la vallée de la Dordogne ne se limite pas au Périgord noir. Née dans les hauteurs du Massif central, la rivière s’épanouit aussi en majesté côté Corrèze. D’Argentat à Beaulieu, elle longe une vallée verdoyante, jalonnée de villages de schiste le long de la D12. Verdoyante ? Exotique, même ! Grâce à un microclimat ensoleillé, palmiers, bananiers, figuiers, grenadiers et hibiscus poussent comme en Méditerranée. Une douceur méridionale qui vaut à Beaulieu son surnom de « Riviera limousine ».
Visite d'une Dordogne tranquille

Ici, la tuile remplace l’ardoise. Adieu granit, c’est déjà l’Occitanie, le Sud ! À Beaulieu, on savoure les fraises locales et on se baigne sans façon dans la Dordogne. Une fois sec, on déambule dans les rues pavées de galets, parmi les maisons cossues à encorbellement, en pierre et à pans de bois. Sur la place de la Bridolle, une foule de personnages sculptés peuple une belle façade Renaissance. Sur les quais de la Dordogne où une gabare ventrue rejoue le passé des gabariers, l’auberge de jeunesse a conservé sa galerie quercynoise typique du XVe siècle.
Le joyau de Beaulieu se trouve à l’entrée de l’abbatiale Saint-Pierre, en plein cœur du bourg. Le portail sud, qui aborde le thème rarement représenté de la Parousie (l’apparition du Christ à la fin des temps) fourmille de détails, sculptés dans la pierre au XIIe siècle et miraculeusement protégés des destructions durant les guerres de Religion. Assurément l’un des plus beaux tympans romans de France.

25 kilomètres en amont, Argentat-sur-Dordogne offre un visage plus austère, même si de ravissantes maisons à galerie de bois se font face de part et d’autre de la Dordogne où évoluent canoës et kayaks. Les ruelles caladées descendent toutes à la rivière, mais ne négligeons pas le vieux bourg où se cachent quelques demeures bourgeoises et une viguerie à échauguette. C’est ici que les gabares construites en amont à Spontour étaient chargées pour Libourne et Bordeaux.

Tour dans les coseigneuries de la Xaintrie

À Brivezac, les visiteurs à vélo peuvent passer sur la rive gauche et longer tranquillement la rivière jusqu’à Argentat. Mais il faut de solides mollets pour s’arracher à la vallée et grimper jusqu’à la Xaintrie, qui la domine. « C’est un plateau granitique, qui s’en va vers le Cantal. Un pays de bâtisseurs : maçons, couvreurs, tailleurs de pierre », dit Pierre Gire, un rien bourru sous son béret.

Cet autodidacte sait de quoi il parle. Avec son père maçon, il a bâti de ses mains tout un village du XVe siècle baptisé les Fermes du Moyen Âge. La chapelle, le moulin, la ferme du tisserand-laboureur, la métairie, la grange coiffée de bardeaux et bourrée de foin, la maison du bailli, le cimetière... tout a été rebâti pierre par pierre, avec des outils traditionnels, dans un souci du détail qui laisse pantois. On croirait parfois que les laboureurs ont tout juste quitté leur chaumière. « J’ai épluché les archives pour être au plus près de la vérité historique », confie le maître des lieux, qui a aussi œuvré à la mise en valeur des tours de Merle.


Allons-y, ça n’est qu’à 14 kilomètres d’ici. Au détour d’un virage, les voici : sept tours en ruines échappées du Moyen Âge, surgissant d’un océan de verdure.

La rivière Maronne ceinture l’éperon rocheux, perché à 30 mètres de haut. Cette cité médiévale avait la particularité d’abriter non pas un, mais plusieurs seigneurs qui cohabitaient et gouvernaient ensemble. On retrouve ce système de coseigneurie, courant dans le Limousin médiéval, sur le site des tours de Carbonnières, à 8 kilomètres de là. « C’est moins sauvage, plus authentique. Et contrairement au site de Merle, le château a conservé une partie de son village à ses pieds », nous dit Pierre Gire. Confirmation sur place : pas un visiteur sur ce promontoire où deux seigneurs vivaient chacun dans sa tour, au-dessus de jolies gorges noyées dans la végétation. En forêt, on découvre des ruines de maisons enfouies sous le lierre et la mousse. Comme une cité perdue qui attend d’être mise au jour...
La nature touffue et échevelée de la Xaintrie s’assagit au jardin Sothys, à Auriac. Ces jardins contemporains conçus par la marque de produits de beauté proposent de se ressourcer au fil d’ « escapades sensorielles ». Ici les plantes se caressent, se touchent, se sentent. Des brumisateurs nous aspergent, une pièce d’eau bucolique prolonge la bulle zen. Qu’en aurait pensé Denis Tillinac ? L’écrivain corrézien, disparu en 2020, portait un œil caustique et affûté sur son pays comme sur son époque. Il avait son fief tout près d’ici, au hameau de Lalo. Son Dictionnaire amoureux de la France consacre d’ailleurs un chapitre au village d’Auriac.

Paysages aux airs de « Toscane »

Sur sa rive droite, la vallée de la Dordogne offre un tout autre visage. La route passe devant des fermes qui vendent leur huile de noix et se tortille pour gagner les hauteurs de Puy-d’Arnac. Au belvédère de la Cafoulière, un paysage de collines et de vallons s’étend vers l’ouest. On aperçoit les tours de Curemonte, une autre coseigneurie perchée sur son promontoire rocheux. Là flotte le souvenir de Colette, qui y trouva refuge pendant la Seconde Guerre mondiale. Tandis que l’écrivaine contemple les charmes de sa « Toscane limousine », sa fille Colette de Jouvenel, dite « Bel Gazou », s’engage dans la Résistance. Elle ravitaille les maquisards, fédère les villageois, cache des Juifs. À 30 ans, en 1944, elle sera élue au conseil municipal de Curemonte avant de se lancer dans le journalisme.

À 15 kilomètres de là, Collonges-la-Rouge est un autre « Plus Beau village de France ». C’est même le premier, puisque grâce à l’action de son maire Charles Ceyrac, la ravissante cité de grès rouge est devenue le premier village labellisé ainsi, en 1982.

Bien sûr, la beauté purpurine de Collonges attire les foules en été, et sa grande rue est monopolisée par les commerces. Mais en fin de journée, même au cœur de l’été, les ruelles se vident par miracle et Collonges redevient un charmant village de Corrèze... dans un registre flamboyant. Tout ici est fait de ce grès rouge, riche en oxyde de fer, issu de la faille de Meyssac, une incongruité géologique coincée entre le bassin de Brive et le causse calcaire du Quercy. On flâne devant les vieilles portes des remparts, le tympan de l’église, les superbes manoirs à tourelles Renaissance...


Tournée des châteaux
Les soirs d’été, une comédienne en verve emmène les curieux visiter le village au flambeau, en terminant par le château de Vassinhac, occupé par la famille Faige depuis dix générations. C’est ici qu’on apprend que Collonges n’a pas toujours été aussi rouge. Les murs des demeures étaient couverts d’enduit jusqu’à la restauration du village dans les années 1930, où on décida de laisser le grès rouge à nu. Collonges sera rebaptisée Collonges-la-Rouge en 1969...
Dernière étape à Turenne. On s’est éloigné de la Dordogne, qui coule 17 kilomètres plus au sud, face au Quercy. Le village agrippé à son rocher ne manque pas de maisons nobles à tourelles Renaissance. Les ruelles coupe-jarrets montent à l’ascension du château médiéval, qui toise
la ravissante campagne bosselée.

Habiles diplomates, les vicomtes de Turenne battaient monnaie et accumulaient les privilèges. L’un d’eux, Henri de La Tour d’Auvergne, fut maréchal de France sous Louis XIII et Louis XIV, et reste considéré comme le plus grand homme de guerre avant Napoléon. Il faut monter au sommet de la tour César tout en haut de l’éperon rocheux pour jouir d’une vue à 360°. Paradoxe qui ne fera pas rire à Beaulieu : le plus beau panorama de notre périple en vallée de la Dordogne est peut-être celui où on ne la voit pas...

Quand la Dordogne « portait bateau »
La Dordogne est surnommée la « rivière Espérance » depuis la parution du roman éponyme de Christian Signol, récit de l’histoire des bateliers, qui descendaient autrefois la Dordogne en gabare. Pour fournir le Bordelais en piquets de vigne et en bois de tonneaux, on fabriquait des gabares ou courpets (de 14 à 20 mètres de long) du côté de Spontour, à raison de 300 à 400 par an. À la fin du printemps, lorsque la Dordogne devenait grosse donc navigable, les équipages partaient. La navigation jusqu’à Argentat était périlleuse en raison des « malpas » (mauvais passages) : remous, tourbillons, pointes de roche... Le gabarier et le gaffeur devaient manœuvrer dans les rapides, car les gorges étaient escarpées. La Dordogne, qui n’avait pas encore été mise en eau, était alors plus étroite et moins profonde qu’aujourd’hui. À Argentat, les gabares étaient chargées de bois, de charbon, de fromages d’Auvergne et de châtaignes. En aval, la navigation se faisait plus facile jusqu’à Souillac. Une fois déchargées à Libourne (360 kilomètres en aval), les gabares étaient cassées et leur bois, vendu. Il fallait alors une dizaine de jours aux gabariers pour rentrer chez eux à pied. De quoi dilapider leur gain dans les auberges en chemin ! L’arrivée du chemin de fer mit fin à l’épopée des gabariers. À Argentat, Beaulieu et Spontour, des promenades en courpet font revivre le temps des gabariers. Certaines sont animées par des comédiens en costume. Intéressant et garanti sans malpas !